Après les expériences satisfaisantes du weekend Poco Loco en Bretagne et de SCOPS Along, l’idée de me frotter à un exercice un peu plus long s’est mise à me trotter en tête, devenant même assez prégnante à mon retour de Dijon. Cette envie, j’imaginais assez mal la concrétiser en solo et c’est donc de façon fort heureuse que j’ai rencontré Raphaëlle, une amie d’amis du vélo en mai dernier. Elle aussi se chauffait à participer à ce genre d’événement, avec les mêmes doutes quant au fait d’y aller solo. Quelques sorties à la journée entre mai et juillet nous ont permis de nous rendre compte qu’il y avait une bonne base de compatibilité, tant sur la vitesse que sur l’équipement et sur nos personnalités respectives.
Nous avions parlé de cette Poco Loco entre Aix et Milan avec gourmandise et nous y inscrire, c’était donc l’évidence ainsi qu’un premier gros test en longue distance, tant en solo qu’en fonctionnement en duo ! Dont acte : nous voilà inscrits pour ces quelques 700 kilomètres partagés entre route et gravel. Le programme est étourdissant : Lubéron, Roussillon, le Ventoux, le Gapençais, Serre-Ponçon, la vallée de la Durance, Briançon, le col de Montgenèvre, la Strada dell’Assietta, la plaine du Pô et enfin les lacs Italiens pour un final sur les bords du lac de Côme. Milan ? Nous irons en train, depuis Côme. La banlieue nord de Milan présente à peu près autant d’intérêt et de risques que celle de Paris, autant s’en passer.
Je vous passe les discussions qui s’ensuivirent sur l’équipement de chacun, sur la préparation physique (coucou le Galibier) ou sur les interrogations nécessairement sans réponses en l’absence d’expériences passées sur une distance ou un temps équivalent ! J-1, nous sommes dans le TGV, enfin presque. Il faut d’abord démonter le biclou, les OuiGo pour Aix-en-Provence TGV n’ayant pas la décence en 2023 de proposer des espaces vélo dédiés. Première expérience de la chose pour moi et : je. déteste. le. retard. intersidéral. de. la. SNCF. C’est désagréable, pas pratique, merdique, chiatique. Heureusement, il fait beau, chaud et ça sent bon le pin quand on arrive en gare d’arrivée.
L’ambiance au check-in est chaleureuse. Je retrouve là l’esprit Poco Loco qui m’avait bien plu lors du weekend en Bretagne. Il y a qui plus est un beau paquet de visages connus, rencontrés qui en Bretagne, en Bourgogne, à Paris ou dans les Alpes ! La communauté de la longue distance n’est pas immense et elle a cette chance pour l’instant, de compter beaucoup de « gens bons » qu’il est plaisant de (re)trouver au gré des rendez-vous plus ou moins organisés. Distribution du tracker GPS, photo d’identité avec les talentueux FLoÉ (Florent et Chloé, pour les intimes), contrôle (très gentil – libre à chacun de prendre des risques en mentant…) de la liste de matos obligatoire, récupération des goodies et rendez-vous demain !
Jour 1 / mettre un mouchoir sur nos ambitions
Demain ? Nous avons passé la soirée chez des amis, distants d’une quinzaine de kilomètres du centre d’Aix-en-Provence. Compagnie et vue superbes, bon dîner, madeleines fraîchement cuites pour le petit-déjeuner, il fut difficile de nous arracher de ce petit coin de paradis et la sanction est tombée dès le début de l’aventure : on a raté le sas départ… en tout cas le nôtre. Il faudra donc rouler à deux et à deux uniquement, sauf à réussir à rattraper les autres au fil de la journée. Nous ne le savons pas encore mais cette première péripétie, sans remettre en cause la pertinence d’autres choix futurs, aura un impact non négligeable.
Dès le départ, de premiers raidards font leur apparition, nous faisant sortir de la cuvette d’Aix-en-Provence pour nous engager sur les crêtes environnantes. Le parcours alterne route et sentiers roulants, avec des vignes omniprésentes et un joli canal pour nous guider au travers de la lumière matinale. La couverture nuageuse est bien là, assurant une température correcte en comparaison des plus de 30°C du jour précédent. On arrive au bout d’un petit temps sur une splendide crête où le gravel se corse gentiment. C’est l’occasion d’avoir une vue dégagée sur le premier gros obstacle de la journée : la crête du Lubéron.
Après une rapide pause déjeuner, on attaque l’épreuve car, pas le choix, il va bien falloir traverser pour rejoindre la zone de Roussillon ! La trace nous fait longer la montagne en direction de l’ouest et du point le plus bas de la crête. Bonne nouvelle ! Sauf que… La piste DFCI que l’on emprunte prend rapidement la forme d’un sentier peu roulant, très pentu et peuplé de caillasses de bonne taille qui sont tout sauf stables. Autrement dit, ça ne se roule pas avec nos vélos chargés, ça se pousse et ça se pousse pendant un bon moment. Le moral en prend un coup. La fatigue aussi. Le pire, c’est qu’il n’y a pas de vue en haut pour nous récompenser. Double coup au moral.
Le superbe village de Bonnieux se trouve juste en bas et on rattrape alors un certain nombre de participants, arrêtés là pour leur pause déjeuner. Cela veut dire que le rythme n’est pas trop mauvais, malgré tout. Dans une section mêlant vignoble et garrigue, c’est un autre groupe que l’on rattrape, en pleines réparations. Le plus malchanceux en est à sa quatrième crevaison… et un peu plus loin, c’est Julien que l’on dépanne pendant un bon moment ; il n’arrive pas à mettre la main sur la fine aiguille qui s’obstine à percer et percer encore sa chambre à air. L’autonomie est certes un des points importants des Poco Loco mais l’entraide, c’est aussi important, même si ça « coûte » du temps !
La suite du parcours nous emmène à travers les ocres de Roussillon, après une crevaison chez Raphaëlle. Les micro-aiguilles qui ont fait crever la quasi totalité des participants montés en chambre à air ont fait une victime supplémentaire. Le moral, à dire vrai, a repris un petit coup en regardant le kilométrage parcouru : c’est bien simple, on n’avance pas assez… alors qu’on s’était naïvement dit qu’on pouvait atteindre Bédoin ce soir-là. Qui plus est, dans le sentier des ocres, ça ne roule pas ou alors pas vraiment. La piste est technique et nécessite de mettre régulièrement pied à terre avec nos vélos chargés.
On arrive à Roussillon avec les gourdes à sec et le moral dans les godasses. La météo est devenue maussade, même si on a évité la pluie pour aujourd’hui. Les prévisions météorologiques (merci Météo Blue, tu ne déçois jamais) se confirment aussi pour la nuit : orage, déluge et re-déluge sont attendus pendant la nuit et quasiment toute la matinée du lendemain. Notre train Milan – Paris n’étant que le mardi suivant la butée horaire de la « course », la décision est facile à prendre : on s’arrête et on temporise. Il reste à trouver une solution de logement et heureusement, un hôtel de Roussillon a encore une chambre !
Bon, autant pour le camping, autant pour le bivouac, autant pour ma tente et autant pour le bivy de Raphaëlle, on dort en dur mais la météo nous incite fortement à le faire, notre moral aussi. Nous sommes les derniers sur la trace, les autres ont continué en direction de Murs tandis que d’autres font le franchissement des gorges de la Nesque sous la pluie, voire à la nuit tombée. Nous ne le savons pas encore mais nous avons pris la meilleure décision, celle de « perdre » du temps pour se garantir une météo optimale pour le reste du voyage. En attendant, on met un mouchoir sur nos ambitions en buvant des coups au bistrot de Roussillon.
Jour 2 / savoir dire « pas aujourd’hui » au Ventoux
La pluie qui tombe, battante, achève de nous réveiller. Le sentiment d’être bien au chaud, dans une chambre, en pensant à celles et ceux qui sont en bivouac, est très satisfaisant. L’échec, ça a du bon, parfois. Les prévisions météo annoncent une fin de la drache sur les coups de 11h, alors on décide de prendre le temps de petit-déjeuner et de ne pas regarder le programme de la journée, en se disant « on verra bien ». Pour quelqu’un qui aime bien planifier et prévoir, ce lâcher-prise n’est pas anodin et c’est peut-être bien ce qu’est en train de m’apporter la longue distance à vélo.
Vélos équipés, secs, la journée démarre tard mais elle démarre bien, sauf quand on roule dans les ocres derrière Roussillon. Oh, la vue est superbe, oui. Mais les ocres, détrempés, se transforment en une boue collante qui agrège herbes, cailloux et autres jusqu’à boucher les passages de roue ! Allez, on est bons pour se trouver chacun une immense flaque pour rincer le vélo et espérer qu’il n’y aura plus de tronçons de ce type par la suite. La journée a à peine commencé qu’elle est stoppée par une indispensable mission propreté.
La suite se déroule beaucoup mieux : c’est de la montée, sur du bitume, en direction du joli village de Murs. Pas de ravito possible en revanche là-haut, on est dimanche et tout ferme tôt, si tant est que ça ouvre. Alors on continue, en direction du petit col voisin, là où s’arrête le bitume et où commence une longue et géniale descente gravel vers les gorges de la Nesque. C’est technique, parfois cassant, parfois roulant, cela nécessite concentration et humilité aussi avec les vélos chargés. Pas étonnant qu’il y ait eu de la casse et de la chute le jour précédent, de jour comme de nuit.
Clairement, je n’aurais pas aimé faire ce tronçon en fin de journée, à moitié dans le noir et sous la flotte. Là, le sol a eu le temps de drainer et l’adhérence est bonne, tout comme la visibilité. Mieux, on débouche dans les gorges de la Nesque sous un ciel gris mais clément, avec de belles flaques partout et un paysage de toute beauté. Traverser tout ça de nuit ? Quel dommage ! Il n’empêche que le rythme n’est toujours pas incroyable, gravel un brin technique oblige. La journée avance vite et on regarde rapidement les options pour la trace…
Les prévisions météo sur le Ventoux sont mauvaises pour la journée. Pour demain, c’est encore pire avec du -10°C ressenti et pas loin de 100 km/h en rafales ! Une petite vidéo d’Antoine, au sommet au même moment, confirme la chose. On ne voit rien, il fait froid et humide. Bon, il faut savoir dire « pas aujourd’hui » ou « non », parfois, même au légendaire Ventoux. Nous sommes à l’intersection des traces gravel et route de la Poco Loco. A gauche, le gravel et le Ventoux. A droite, le village de Sault et la remontée par la route des gorges de la Nesque.
Ce sera la droite et à l’instant comme à posteriori, je ne regrette pas d’avoir pris ce chemin. La section de route qui remonte la Nesque est incroyable, c’est un régal de pouvoir en profiter lentement et en pouvant s’arrêter quand on veut pour profiter du paysage. Le choix de cette coupure, c’était aussi la possibilité de compenser un peu la courte journée d’hier et le démarrage tardif de cette seconde journée et ainsi de faire la jonction avec d’autres participants de la trace gravel.
Nous les retrouvons à Sault, autour du camion à pizza qui doit faire le chiffre de sa journée ! Il n’est pas loin de 16h mais qui a dit que le goûter devait absolument être sucré ? Les premiers arrivés se remettent en route peu après notre arrivée et deux petits groupes se constituent autour d’autant de tables du café voisin. Alice, Elise et Stéphane avaient déjà entamé une discussion « logement » et « dodo en dur » et il se trouve que leur chambre d’hôtes, à Montbrun-les-Bains, a deux chambres… L’occasion fait le larron.
Allez ! C’est parti pour encore quelques kilomètres, de route cette fois-ci, en petit train et avec une belle ambiance. La bonne nouvelle, c’est qu’on est majoritairement à la descente et que les paysages sont superbes, avec quelques petits villages perchés ici et là. L’arrivée à Montbrun-les-Bains, dans son joli cirque montagneux, achève la journée, avec une dernière montée, à pieds, jusqu’à l’ancienne maison abbatiale qui nous hébergera pour la nuit et nous protégera de la pluie de la nuit et du petit matin. Conclusion ? On a certes dit « non » au Ventoux, mais on a aussi fait la rencontre de trois jolies personnes.
Jour 3 / la dernière des petites journées
Petit-déjeuner avalé, la petite troupe se met en route de concert pour attaquer la première montée du jour, celle du col de Macuègne. Le Ventoux, visible le soir précédent, est totalement masqué par les nuées matinales. Le paysage n’en est pas moins splendide, dans la vallée de Barret-de-Lioure. La trace nous fait quitter la route peu avant le col pour nous engager sur une petite piste gravel qui débouche rapidement sur un autre tronçon de route, encore moins usité que la route du col.
On quitte de nouveau celle-ci, après avoir perdu Elise. Alice a pris un peu d’avance de son côté en n’empruntant pas le gravel. Stéphane avance plus vite mais s’arrête pour nous attendre, régulièrement. La descente, en gravel, offre un joli panorama sur les baronnies provençales et les Alpes de Haute Provence que l’on aperçoit, ennuagées, au loin ; Elise nous rattrape après un détour hors GP ! Un bout de route nous emmène tous les quatre à vive allure de Séderon à Lachau. La pause café est passée par là et rend le raidard de Ballons tout à fait acceptable, ce d’autant plus que le soleil pointe le bout de son nez.
Le bout de gravel entre Ballons et Châteauneuf-de-Chabre, c’est du caviar de bout en bout ! Roulant, tantôt en balcon sur les hauteurs des gorges de la Méouge, tantôt en forêt enchantée et à la descente, on y a tous pris un plaisir immense avant de déboucher sur l’embouchure des gorges, photogénique à souhait. Le van de FloÉ nous attend dans la descente, leur drone aussi. Nous sommes à priori les seuls à avoir franchi cette zone sous le soleil et en pouvant profiter tranquillement du panorama et de la variété des roches environnantes.
La suite est moins impressionnante mais pas moins belle puisque la route et les chemins nous emmènent dans le sud du gapençais et en direction de la vallée de la Durance. Les montagnes se font plus hautes, le ciel au loin est largement menaçant, là-aussi en conformité avec les prévisions météo. Pour nous, pas de pluie, de la lumière et un paysage impressionnant, mêlant arbres fruitiers à l’infini et horizon alpin. La troupe réduite à quatre se sépare petit à petit. Alice est devant, Elise vise Embrun à tout prix, Stéphane s’arrêtera quand il s’arrêtera et nous devons rejoindre Melve, où la cousine de Raphaëlle nous héberge pour la nuit. Un petit raidard pour se finir… C’est la dernière des petites journées, nous avons fait en trois jours ce qui était prévu en deux mais peu importe, on est totalement secs et on a profité des vues !
Jour 4 / les Alpes, l’Escale, enfin !
Pour cette quatrième journée, pas le choix : il faut avancer, coûte que coûte. Le programme est chargé, assurément, mais il sera splendide, sous le beau temps et l’objectif est clair : il faut rejoindre l’Escale, la mi-parcours, ce soir. C’est le dernier soir d’ouverture et aussi l’occasion de retrouver la fine équipe des jours précédents et quelques autres qui sont sur un rythme à peu près équivalent. L’immense majorité des participants route et gravel est passée le soir précédent et ils étaient quasiment 70 à l’escale. Soyons clairs, ça avait l’air d’être un joyeux bordel, un peu trop pour moi et je me réjouis d’avoir une troupe à taille plus humaine ce soir.
Raphaëlle et moi roulons à bon rythme pour commencer la longue montée vers Briançon. Depuis Melve, d’abord de la descente pour retrouver la vallée de la Durance et puis une belle route touristique, avec le château de Tallard en panorama, la traversée sous Valserres et ensuite, une splendide portion gravel en direction de Chorges. La météo est au beau fixe, le moral aussi, ça roule et la pause boulangerie de Chorges permet de faire le plein juste avant la première grosse montée, sur la route balcon qui surplombe le lac de Serre-Ponçon.
Cette route, je la connais pour l’avoir arpentée en voiture et ces paysages, je les connais aussi bien pour y avoir randonné à pieds ! Quel plaisir immense que de rouler ici à vélo, à une allure plus rapide qu’avec ses petons mais aussi bien plus lentement et avec une liberté autrement plus grande qu’en voiture. Les vues sur le lac, baigné de soleil, sont un délice et un banc, idéalement situé juste avant le village de Saint-Apollinaire, fait office de coin déjeuner avec panorama.
Le reste de la route balcon, passant les Rousses puis les Méans, est du même acabit, même si le ciel se couvre un brin avant d’entamer la longue et réjouissante descente vers Embrun. Lancés à pleine vitesse, nous ratons la bifurcation gravel qui était prévue sur la trace, très typée VTT selon les dires des uns et des autres. Pas de regrets, le temps gagné ici nous permet de faire un stop baignade sur la base de loisirs du lac, au pied de la ville d’Embrun, toujours aussi majestueuses sur son roc taillé par la Durance.
On emprunte ensuite une autre route balcon, sur les hauteurs de la Durance, du côté de Saint-André d’Embrun et plus avant jusque Mont-Dauphin. Une rapide traversée de la Durance, lourde de sédiments arrachés à la montagne, permet de profiter d’une vue dégagée sur la forteresse verrouillant les vallées de la Durance et du Queyras. J’adore ce secteur des Ecrins et du Queyras, là-encore quel immense pied que de rouler ici ! Le plaisir continue au pied de Mont-Dauphin avec une section gravel en bord de Durance qui a eu le bon goût de (quasiment) sécher après les inondations des deux jours précédents.
La journée, déjà longue, n’est pourtant pas finie car il y a un peu plus de 130 kilomètres à parcourir et 2300 mètres à avaler. Direction l’Argentière-la-Bessée pour l’ultime ascension vers Briançon. La route des Vigneaux, porte d’entrée sur Vallouise et le coeur du parc national des Écrins, est un délice autant qu’un supplice pour des jambes qui commencent à être fatiguées. Un dernier effort et Briançon apparaît au loin, avec sa cité Vauban et sa ceinture de forts de toute beauté. L’Escale nous attend à Villar-Saint-Pancrace, au sommet d’un dernier raidard casse-pattes.
Nous y retrouvons notre petit groupe et le reste des participants de la troupe gravel. Seize personnes au total, de la bière qui coule quasiment à flots dans des gosiers assoiffés, une tablée fatiguée mais de bonne humeur qui dévore la soupe au pistou faite maison, il ne reste plus qu’à déballer le sac de couchage pour se poser au chaud, au sec, douché et rassasié avant d’attaquer la plus grosse mais aussi la plus belle journée du séjour. Nous sommes dans les Alpes, enfin. Les trois premières journées, rudes, sont comme oubliées.
Jour 5 / la Strada dell’Assietta, point d’orgue du séjour
C’est jour J, celui pour lequel toutes et tous sont venus : le franchissement des Alpes ! Tout le monde est levé tôt et se lance le plus rapidement possible pour réussir à s’en sortir sur une journée. Le menu fait un peu moins de 100 kilomètres de long mais il fait surtout plus de 2500 mètres de dénivelée positive… Cela attaque d’ailleurs très fort puisque la trace nous fait descendre de Villar-Saint-Pancrace jusqu’au centre de la ville nouvelle de Briançon, pour mieux remonter jusqu’à la cité Vauban ! J’avais oublié ce raidard… c’était déjà dur en voiture, je vous laisse imaginer avec le vélo frôlant les 25 kg.
La suite est plus douce, du moins au début. La trace a fait le choix de nous faire passer sur quelques kilomètres de la nationale faisant le lien entre la France et l’Italie. J’aurais préféré la version gravel passant par les forts mais la journée était très longue, ce n’est peut-être pas plus mal de rester sur la route jusqu’à la Vachette, où cette fois-ci on bifurque dans la forêt pour continuer l’ascension sur les chemins. La montée est raide et nécessite de mouliner avec régularité mais la récompense est au rendez-vous avec de belles vues sur Briançon et le massif des Écrins.
Après une section plus plane dans les bois de Sestrières, on atteint la station frontalière de Montgenèvre que l’on quitte aussitôt, à la descente sur l’ancienne route de Clavière. Anciens tunnels par endroits effondrés, route fermée à la circulation, la pointe de vitesse est là et vient là-aussi récompenser la belle montée qui a précédé ! Malheureusement, il faut remonter ensuite… depuis le fond de la vallée et jusqu’à la station de Sestriere. Il y a quelques camions au début de la montée mais ils disparaissent rapidement, la route pour Sestrières faisant l’objet de restrictions de circulation que nous ignorons, faisant aussi l’impasse sur un bout de gravel jugé peu utile et satisfaisant par un autre comparse passé le jour précédent.
A Sestriere, royaume de béton sans âme, un petit restaurant accueille nos ventres affamés. Après ce repas satisfaisant, il est temps d’attaquer le gros de la journée : la Strada dell’Assietta ! Cette haute route miliaire fait le lien entre Sestriere et Susa, perchée à quelques 2000 mètres d’altitude. Elle est globalement interdite à la circulation, en tout cas celles et ceux qui s’y engagent avec un engin motorisé sont sous leur propre responsabilité et ils ne sont donc guère nombreux ! C’est tant mieux.
Il va m’être difficile de trouver les mots pour vous décrire cette Strada dell’Assietta, sauf à vous dire qu’elle est très roulante et tout sauf technique. C’est en revanche un gros morceau à franchir avec une longue ascension depuis Sestriere, agrémentée sous le soleil de vues à vous couper le souffle, si la pente ne le fait pas. Le premier col à franchir est le col Basset, à un peu plus de 2400 mètres d’altitude. Arrivés là, on profite totalement du paysage derrière soi mais surtout, on découvre la suite des réjouissances.
La Strada dell’Assietta devient plus plane, surfant de col en col et passant d’un côté à l’autre de la crête montagneuse. Les vues sont à la fois statiques tant la zone de jeu est immense et changeantes au gré de tous les virages et des petites montées et descentes. C’est aussi là que mon ventre décide de me faire des blagues et je découvrirai plus tard qu’Alice a eu le même problème, quand les autres ont aussi ressenti une gêne. Altitude et effort ? Peut-être. Souci avec le restaurant ? Y a des chances.
Bref, je vous épargne la douleur stomacale, heureusement sans autre grande conséquence… qui ne m’a que très peu gâché le plaisir, à dire vrai ! Il faut dire que pour gâcher ça, il aurait fallu de vrais problèmes. La casse de l’un de mes supports de sacoche de selle, rapidement solutionnée avec un fast strap, n’y fait rien non plus. C’est beaucoup trop beau, beaucoup trop jouissif de rouler sur cette route, que ce soit à la montée ou à la descente.
Après deux changements de flancs de montagne, on attaque la dernière montée avec vue sur le lac Lauson et puis c’est le lac dell’Assietta et son refuge que l’on atteint ! Chiens prenant le soleil, berger adorable, c’est à proximité que le groupe « bivouac » emmené par Max a passé la nuit précédente. Je les envie, même si je n’aurais sûrement pas tenu avec mon duvet 7°C. En attendant, je me régale d’un café et d’une pâtisserie. Le mal de ventre est passé. Tant mieux.
La suite ? Encore et encore du bonheur et une descente absolument interminable, dans le sens sublime du terme ! Si la montée côté Sestriere est raide, là ça descend progressivement et longuement, avec toujours des vues incroyables pour ne rien gâcher. Il faut bien sûr rester humble et ne pas trop prendre la confiance car la marge d’erreur est bien fine. Piste peu large, à-pics impressionnants, le respect des freins, des trajectoires et un minimum de concentration sont requis.
On déboule finalement sur un bout d’asphalte en parfait état, sous le col delle Finestre. Car oui, ce monument du Giro est aussi au programme de la journée ! L’ascension du col, courte, se fait du côté sud, via la route. On débouche au sommet alors que le soleil commence à se barrer à l’horizon et que la montagne passe doucement mais surement dans la nuit. La descente du col delle Finestre est un autre morceau de régalade du jour et du séjour. Sur la première moitié de la descente, on avale du gravel roulant mais sautillant avec gourmandise. Sur la seconde, toute en lacets étroits et serrés, l’asphalte est en parfait état !
Je dégoupille pendant toute la descente, ne m’arrêtant qu’une fois ou deux pour prendre quelques photos et pour le reste, je profite, soignant mes trajectoires et mes points de freinage. J’arrive au village de Meana di Susa avec quasiment un quart d’heure d’avance sur mes trois acolytes, autrement plus prudents à la descente ! Je n’aurai finalement pas eu besoin de la frontale et des lumières à la descente mais pas le choix pour les derniers kilomètres nous emmenant au logement réservé pour la nuit, il va falloir les utiliser.
Restaurant réservé in-extremis par notre loueuse, nous savourons un repas délicieux, encore éberlués par les paysages traversés et par la chance incroyable d’avoir pu arpenter cette Strada dell’Assietta sous un franc soleil, avec des sommets saupoudrés d’une neige splendide déposée par la tempête des jours précédents. « Perdre » du temps lors de la première moitié du séjour n’aura jamais eu autant de sens et nous aura bel et bien donné les meilleures conditions météo de toute la troupe.
Jour 6 / du plat, mais mouillé !
Après une journée aussi intense, la remise en route est un peu difficile et commence par une étape boulangerie à Bussoleno où nous faisons le plein de calories et de soleil. Alice a pris un peu d’avance tandis que Stéphane, Raphaëlle et moi prenons un peu plus le temps, arpentant la voie francigena de village en village et nous ébahissant en voyant l’abbaye Saint-Michel-de-la-Cluse perchée sur les contreforts de la vallée alpine. Quelle vue il doit y avoir de là-haut ! Nous rattrapons finalement Alice, en plein doutes quant à l’état mécanique de son vélo après une crevaison. Rien de grave finalement, nous reprenons notre route ensemble.
Après un passage « roulant » (nope) à souhait, nous empruntons une splendide section gravel avec vue, moult épines, cailloux et autres, le tout sous le regard du Monte Musine dont le chemin épouse les pentes. On file ensuite dans le début de la plaine du Pô pour rejoindre le non moins bucolique et superbe parc de la Mandria. Ce parco naturale, ancienne grande propriété, a été aménagé et est traversé de nombreuses routes et pistes bien roulantes. L’alternance continue avec de nouvelles sections en plaine et à proximité de la réserve naturelle della Vauda, de nombreux franchissements de rivière !
Alors oui, aujourd’hui c’est plat, avec à peine 700 mètres de dénivelée, mais c’est mouillé et ludique au possible ! Le village de San Benigno Canavese accueille nos mollets et vélos boueux pour une petite toilette et un remplissage de gourdes. La fatigue accumulée commence à se faire sentir, avec aussi un petit effet de groupe quant aux décisions à prendre pour la nuitée à venir. Les campings ne sont pas si nombreux que ça en Italie et ceux qui pourraient nous accueillir sont largement au nord de la trace. Dormir en bivy/bivouac, avec les moustiques tigres qui pullulent dans la plaine du Pô ne me fait guère envie.
Personne ne réussissant à décider et la frustration commençant à monter chez tout le monde, je prends pour ma part le parti d’avancer le plus loin possible, en visant la ville de Santhia, gros point de rendez-vous sur la trace. Je continue de suivre la trace pendant quelques kilomètres, longeant les canaux de la plaine, quand je me décide enfin : je réserve un logement sur AirBnb tout en roulant. L’heure d’arrivée limite semble OK mais il va falloir bombarder un peu et le tarif est très doux, que je sois seul ce soir ou que nous soyons quatre. Je préviens les autres et active gentiment le mode fusée car je souhaite suivre la trace jusqu’au bout.
Rouler en groupe est un plaisir mais rouler seul l’est aussi, quand on a bien les jambes, la motivation et une sorte d’objectif que l’on s’est fixé pour clore la journée. Mission récupération des clés pour moi, mission courses pour les autres. Mission bière pour tous en arrivant. Le logement est parfait, la proprio adorable et il y a une cuisine. Ce sera donc un repas fait maison pour ce soir, bien arrosé et riches en rires. J’ai encore mal aux joues quand j’y repense ! Encore une nuit au dur, me direz-vous ? Oui. Mais bon, foutu pour foutu, hein… autant faire voyager la tente !
Jour 7 / un camping au bord du lac, pour la forme !
Ce matin-là, Alice a pris encore un peu plus d’avance sur le réveil et c’est la bonne pour elle, nous ne la reverrons pas. Le début de la journée ressemble fortement à la fin de la précédente : la plaine du Pô, des rizières à perte de vue, des canaux et de belles demeures dispersées ici et là. La trace a le bon goût d’alterner sections gravel et sections route pour qu’on ne s’ennuie pas trop mais sans nous faire zigzaguer non plus car bon, une plaine reste une plaine. La progression est donc assez rapide sur ces premiers tronçons qui nous emmènent enfin le long du fleuve Sesia.
On atteint les alentours de Gattinara puis Prato Sesia, où une pause déjeuner (des sushis, oui oui) s’impose. Il reste encore un paquet de bornes à faire et si l’avancée est bonne, la journée file et le dénivelé – car oui il y en a aujourd’hui – est encore devant nous ! De Prato Sesia à Borgomanero, on traverse une splendide région boisée, avec ensuite quelques vignobles et puis une progression moins intéressante jusqu’à ce qu’enfin, le premier lac italien fasse son apparition : le lac d’Orta !
Quelques singles coquins, plus ou moins roulants, permettent de le longer en hauteur plutôt que de subir la circulation automobile en bord de lac. C’est largement bienvenu car les italiens sont à peu près aussi cons avec les cyclistes que les français, juste différemment. Mais cons, globalement. Le bout du lac se profile avec de nouveaux enchaînements de singles ludiques, détrempés et techniques. C’est honnêtement beaucoup de plaisir, même s’il est aussi vrai que la fatigue continue de se faire sentir.
D’Omegna à Gravellano Toce, on essaie d’éviter la circulation assez dense ici et là. La trace réussit généralement à nous épargner et nous mène doucement vers les rives du Lac Majeur. La réserve naturelle de Fondo Toce est agrémentée de nombreux campings dans lesquels nous espérons trouver notre bonheur. Il y a absolument foule en cette fin août, là où nous pensions trouver des campings déjà partiellement désertés ! Point de bungalows d’une part et simplement deux emplacements campings disponibles. Dingue.
Alors, la voilà, la nuit en camping du séjour ! Courses faites rapidement à l’épicerie du camping, Stéphane sort le réchaud qu’il a fort à propos emmené avec lui et l’apéro / dîner s’improvise à côté des tentes, après une douche bienvenue. Deux tentes sont sorties, je prête ma 1 place à Stéphane tandis qu’il nous prête la 2 places, puisqu’au cours de nos conversations avec Raphaëlle, nous avons évoqué l’abandon du bivy pour le partage de matériel pour de futures aventures. C’est l’occasion de tester et ce sera concluant, tout comme le repas chaud, qui donne envie d’avoir son propre réchaud à terme. On en reparlera…
Jour 8 / Terre, terre !
Le dernier matin a des airs de vacances. La détente est là, plus que les deux autres jours, quand bien même les Alpes étaient franchies. Il ne reste qu’un peu moins de 80 kilomètres à faire et un ferry à prendre pour traverser le lac Majeur. La trace, d’abord aventureuse sur les chemins bordant le lac, nous pousse sur la piste cyclable qui dessert Verbania. Le prochain ferry est dans 20 minutes, pile le temps d’aller faire le plein à la boulangerie locale, d’avaler un café et d’embarquer au son de la corne de brume du bateau.
La traversée du lac Majeur, immense comme son nom l’indique, se fait sous le soleil et le sourire vissé sur nos lèvres. Vraiment, ça sent la fin et la rive opposée qui s’approche a d’ores et déjà un goût d’arrivée ! Terre ! Terre ! Une belle voie verte nous emmène à travers le paysage, avec quelques petites pentes ici et là. La descente sur le lac de Varese nous remet une petite touche de civilisation mais là encore, une voie verte longe le lac, nous évitant la circulation au prix d’un certain nombre de zigzags.
Il est temps d’affronter la dernière vraie montée du voyage, en direction du village de Bizzozero. Monter, ça ouvre l’appétit et la journée étant bien entamée, une pause déjeuner fait consensus avec une formule entrée/plat/dessert de compétition à 12€, agrémentée d’une petite bière. Après tout, c’est le dernier jour et il reste à peine 30 bornes sur les 750 annoncées par Poco Loco ! Alors, on profite, on savoure, on déguste avant de continuer de filer en direction de Côme.
C’est comme si on avait hâte d’en finir et à la fois que l’on prenait le temps de retarder l’échéance. Les voies vertes et autres petites pistes s’enchaînent, agréables et appréciées, jusqu’à la dernière mini côte, avalée en danseuse pour en finir ! Via Raimondi. Raymond. C’est un signe, non ? Le parc régionale Spina Verde, sur les hauteurs du lac de Côme, est notre écrin de verdure avant la descente vers le lac, abrupte et rapide, nous ramenant soudainement à la réalité, au tourisme massif et à l’urbanisation quelque peu à outrance du lac de Côme.
Qu’importe, l’essentiel est ailleurs. Dans ce vélo posé contre le muret au bord du lac. Dans les sourires et rires échangés entre nous trois. Dans la dernière ligne droite jusqu’à la gare pour attraper le premier train pour Milan. Poco Loco Aix-Milan, c’est fini et ce fut une superbe aventure gravel, avec des hauts, des bas, des doutes, des paysages incroyables, des rencontres de qualité, des moments de grâce et cette Strada dell’Assietta qui justifiait à elle seule le périple. Ce fut loin d’être aisé, ce fut même parfois très dur mais le goût qui me reste en bouche, c’est celui du reviens-y.