DeuxMille Challenge – une journée incroyable entre l’Alpe d’Huez et le Galibier

Si vous suivez un peu le milieu de l’ultra distance à vélo, de l’autonomie et du nomadisme, le nom de Maximilian Schnell ne vous est sûrement pas inconnu. Il faut dire que le garçon, depuis sept ans qu’il est sur la route, a fait tourner ses jambes sur un nombre de kilomètres absolument effarant. Mais quitte à passer beaucoup de temps sur ses vélos, il a fait de tout cela un certain nombre de projets ou challenges : déménager à vélo, traverser les Amériques du Nord au Sud ou encore boucler les Trois Grands Tours (Vuelta, Giro, Tour de France) sans assistance et en faisant également les transferts à vélo… Tout un poème et tout un programme !

Le Deux Mille Challenge, c’est la rencontre entre DeuxMille.cc et Max et un tout nouveau projet, qu’il avait introduit chez Weelz! au mois de mai dernier. Le principe était « simple » : arpenter et franchir toutes les routes situées au delà de 2000 m d’altitude, dans les Alpes et les Pyrénées. Vous l’aurez compris, cela implique un certain nombre de cols mais aussi un sacré paquet de bouts de route sans issue qu’il faudra ensuite arpenter en sens inverse. 200 routes au total au delà de 2000 mètres d’altitude et plus de 200 cols à passer (204 !). Alors il est parti, le 27 Mai et il ne s’est plus jamais arrêté.

Il aura fait un bout de route ici et là avec d’autres cyclistes venant le rejoindre, lui tenir compagnie mais aussi vivre une part de cette aventure qui est celle d’un dépassement de ses propres limites, d’une quête romantique et d’une démonstration au monde que la liberté, c’est bien celle-ci, celle du mouvement libre, autonome, sur la selle d’une bicyclette, seul engin au monde à tenir les promesses non tenues par tous les engins motorisés inventés depuis plusieurs décennies.

Et moi là-dedans ? J’ai prévu mes vacances à Bourg d’Oisans depuis un moment quand je vois passer une story sur Instagram de Sybille. La conclusion du Deux Mille Challenge est annoncée, le 12 août, sur le col du Galibier. Autrement dit, pas bien loin de Bourg d’Oisans… Je regarde les détails et voit que le départ de cette ultime journée sera donné au Bourg d’Oisans. L’évidence me frappe : je n’ai pas le choix, je « dois » y aller. Je n’ai pas le bon vélo ? Et alors ? Je n’ai jamais monté de col ? Et alors ?

Max a décidé de partager autant que possible ce Deux Mille Challenge, de rendre cette aventure sociale quand l’ultra distance est souvent un monde de loups et louves solitaires ; il a voulu qu’un maximum de monde puisse être présent sur cette ultime étape et l’invitation et l’occasion sont bien trop belles pour être ratées. Alors j’y serai, avec l’envie de gravir l’Alpe d’Huez, d’aller au lac Besson, de passer le col de Sarenne pour ensuite rejoindre le Lautaret et enfin, le Galibier. Il faudra ensuite redescendre, mais qu’est-ce qu’une longue descente après tout ça ?

Le soir précédent cette journée finale, j’ai passé un petit temps avec la fine équipe qui s’est assemblée au cours des dernières semaines autour de Max. Je ne bivouaque pas, ayant la chance (?) d’avoir mon logement en dur sur Bourg d’Oisans et je pars donc assez tôt, les laissant profiter de ces ultimes moments, de cette dernière nuit avant toutes les autres suivant le challenge. Certains ne seront pas là demain, d’autres doivent encore arriver. Nous devrions être une quarantaine à la fin, certains devant nous rejoindre à l’Alpe ou au Lautaret. Social, flexible, le challenge.

Alors voilà, il est 6h30 et je suis au point de rendez-vous. J’ai étonnamment bien dormi, alors que mon corps a tendance à me tenir éveillé quand je dois me lever tôt pour un train, un avion, une course ou tout autre rendez-vous très matinal. Les cyclistes s’agrègent, plutôt à l’heure, au point de départ. Les visages sont un mélange de sommeil résiduel et de sourires gourmands ! Max est détendu, en tout cas il a l’air, avant de donner le top départ. L’heure, c’est l’heure et il applique cette rigueur jusqu’au dernier jour. Rouler tôt pour parer à l’imprévu, rouler tôt pour rouler au frais et rouler tôt pour rouler tard ou pouvoir profiter d’une fin de journée méritée….

La montée de l’Alpe d’Huez est un mythe du Tour de France et du cyclisme en général. Je ne pensais pas m’y frotter un jour, à dire vrai ; encore moins avec mon petit gravel mono plateau ! Quelques centaines de mètres à peine après le départ, la pente s’infléchit et c’est parti pour 21 virages  à décompter – c’est cruel – avec une pente moyenne aux alentours de 7.9%, 13.8 km à parcourir et 1090 mètres de dénivelée. Le pire, ce sont les premiers kilomètres, à froid, avec une pente autour des 10% ! La station apparaît aux alentours de l’église de Saint-Férréol, encore lointaine, mais la pente a le bon goût de se calmer un peu.

Le groupe a éclaté dans les premiers kilomètres, avec plusieurs poches qui se forment. Certains sont partis très fort et vont rester sur ce rythme jusqu’au lac Besson. Max est avec quelques autres en queue de cortège, ménageant son effort après déjà plus de 200 cols franchis et 76 journées alpines dans les jambes. Qu’il soit là est déjà… monstrueux ? Remarquable ? C’est mon premier col et mes jambes commencent à me dire « merde » à l’approche de la station de l’Alpe d’Huez. Mes ischiaux-jambiers me lancent très douloureusement. Je n’ai jamais connu de telle douleur !

Est-ce la pente ? Le fait que je n’ai pas assez changé de position ou alterné danseuse et pédalage ? Ma selle ? Je ne sais pas. Je sais juste que j’en chie et que je commence à douter de ma capacité à aller très loin dans cette journée. Les derniers kilomètres jusqu’au lac Besson sont un supplice non négligeable. Je suis sûr que je ferais marrer un paquet de femmes ayant accouché avec mon histoire de douleur, mais là tout de suite, j’ai l’impression que mes jambes vont lâcher.

La petite pause au lac fait un bien fou, mais c’est surtout la descente et la vraie pause café à l’Alpe d’Huez qui me font du bien. Je continue la route en ménageant mon effort, roulant en solo jusqu’au col de Sarenne. Les jambes vont mieux, sans explication particulière. La montée du col de Sarenne se fait tranquillement et je rattrape même du monde en route. Bizarre. Mais hey, je prends, hein… Je ne quitte pas la route au col, connaissant déjà le secteur pour y avoir randonnée (jusqu’à la croix de Cassini) et j’attends que les échappés reviennent à leur vélo.

Max continue de donner le tempo, après une petite photo de groupe (ce n’est certes pas un 2000, Sarenne, mais c’est joli quand même). Il demande à toutes et tous de faire très attention dans la descente de Sarenne, qui est technique et piégeuse par endroits, avec des épingles surgissant de nulle part. Je ne l’ai jamais faite en voiture, aussi je me lance avec circonspection mais en prenant tout de même un maximum de plaisir et de vitesse là où la visibilité est bonne !

Quel pied ! Nous nous retrouvons toutes et tous à Clavans-le-Haut, entiers et intacts. Max nous remercie pour la prudence et c’est parti pour la suite de la descente, se faisant désormais sur un billard large et offrant une belle visibilité. Tout le monde se fait plaisir à tracer de belles lignes et à profiter de cette vitesse gratuite, avant un petit raidard des familles pour remonter sur Mizoën et une descente tout aussi raide à suivre jusqu’à la route principale faisant la jonction entre Bourg d’Oisans et Briançon.

La bonne nouvelle, c’est qu’on est samedi. La mauvaise nouvelle, c’est qu’on est samedi. D’un côté, pas de gros camions et autres semi-remorques. De l’autre, toujours du monde sur la route mais… il y a toujours du monde sur cette route de toute façon. Quelques tunnels sont malheureusement présents et force a été de constater à quel point les automobilistes sont globalement cool en dehors des tunnels mais totalement débiles dès qu’ils y pénètrent. Totalement. Débiles. Et ça s’étonne après qu’on cherche à limiter leur capacité de nuire.

Mais trêve de digression : la montée du col du Lautaret est longue, très longue. Elle n’est pas pentue outre mesure en revanche mais elle change régulièrement de rythme, compliquant le pédalage et demande donc une bonne gestion de l’effort. J’ai l’impression de ne pas trop mal m’en tirer au début, retrouvant mes jambes du matin, sans douleurs ! Malheureusement, un changement de rythme et une plus forte pente juste avant le village de la Grave va réveiller tout cela et me crucifier.

Je suis contraint de m’arrêter un temps dans le village, mangeant mon sandwich du matin et dégommant deux bidons d’eau tout en alternant entre position assise et marche légère, mon corps n’arrivant pas à me dire ce qu’il préfère pour gérer la douleur ! Cela finit par se calmer et je reprends doucement la route. Les paysages sur les hauteurs de la Grave, avec la Meije en fond, me permettent de penser à toute autre chose que l’éventuel retour de la douleur !

Après Villar-d’Arène, je rattrape un peu de monde et du monde me rattrape et me dépasse également. Le Lautaret approche et je sens que je lutte de nouveau contre moi quand Gérald me rattrape. Nous entamons la discussion, nous parlons de douleur mais aussi de plein d’autres choses et Gérald reste à mes côtés jusqu’au Lautaret. Je lui ai déjà dit mais je le redis : merci à lui car je ne sais pas si j’aurais réussi à tenir jusqu’au col tant la douleur reprenait le dessus et que mon mental commençait à me dire que bon, l’Alpe d’Huez, c’était déjà très bien…

Grâce à lui, j’ai pu me reposer, faire le plein d’eau et de nourriture au Lautaret. Certains étaient déjà arrivée, d’autres étaient encore derrière. Nous avons attendu d’avoir tout le monde pour la photo de groupe et puis Max a lancé le départ pour l’ascension finale : le col du Galibier. Là encore, le groupe a rapidement éclaté dans la pente. Je suis parti avec Gérald, Antoine et quelques autres dont les prénoms m’échappent ou ne m’ont jamais été fournis.

La montée du Lautaret jusqu’au Galibier ne fait que 8.65 kilomètres et la pente est finalement raisonnable, avec une moyenne à 6.75%. L’avantage, c’est qu’on ne va pas vite et qu’on peut se gorger d’un paysage de plus en plus lunaire mais toujours grandiose. Connaissant déjà bien la route, j’arrive à mesurer ma progression et à me motiver en sachant que les kilomètres défilent plutôt bien et sans retour de la douleur. La dernière pause était à priori la bonne.

Juste avant le tunnel, notre petit groupe rejoint les premiers de cordée. Le mot est passé : on attend Max, qui continue de monter à rythme régulier, parfois en selle, lançant parfois une danseuse millimétrée et extrêmement efficace que je n’ai cessé d’observer pour apprendre. Son petit groupe arrive, avec quelques voitures en queue. Tout ce petit monde comprend qu’il se passe quelque chose et observe ce groupe de vélos et cyclistes totalement disparate, avec en tête un grand barbu au vélo chargé et optimisé au possible.

Les derniers 900 mètres d’ascension sont les plus ardus, avec une rampe à 11% pour finir. Max est en tête, en danseuse. Le reste du pack s’y met aussi et c’est parti. Au début, ça monte à bon rythme, on se remet en selle pour mouliner et puis arrive la dernière rampe. Les 2642 mètres d’altitude du col ne sont plus loin, tout le monde le sent. Il y a des regards qui se croisent, il y a une tension, une émotion dans le groupe. Les poils. Les yeux qui picotent aussi. Des « Max, Max, Max » qui résonnent. Pas le temps de faire une photo, pas envie de faire de photo en fait. Juste envie de (res)sentir cette énergie et ces émotions qui électrisent tout le groupe.

Et c’est le col. Les vélos s’arrêtent. L’émotion déborde de Max, d’autres aussi. Le Deux Mille Challenge est fini mais surtout, Max a réussi ce dernier tour de force qui était de nous faire vivre ça, de partager un morceau de sa vie et des émotions que chaque cycliste, en courte ou en longue distance, peut ressentir face au dépassement de ses limites et à l’accomplissement de ce genre d’ascensions qui vous laissent à la fois vide et repu. J’ai du mal à trouver les mots pour décrire ces derniers mètres, l’arrivée au col, c’était un tel débordement d’énergies positives.

Les quelques dizaines de minutes qui suivent sont floues. Il y a tous les automobilistes qui nous observent, qui posent des questions car il y a des caméras un peu partout. Des bouteilles de champagne jaillissent et tout le groupe se retrouve sous le panneau légendaire, Max au sommet et au centre, bien entouré. Les bulles jaillissent, le moment est immortalisé en photo mais surtout, il s’ancre dans mon cerveau et, j’en mets ma main à couper, dans le cerveau de toutes et tous.

C’est le moment de se quitter. Le groupe, tantôt distendu, tantôt soudé, toujours à la disposition de l’autre, doit se décomposer. Des trains à Briançon, d’autres dans la Maurienne voisine, un van à récupérer à Valloire, la vie en dehors de cette ultime journée du Deux Mille Challenge doit reprendre, « normale » pour certains, aventureuse pour d’autres, plus riche de cette journée dans tous les cas. Nous formons un petit groupe avec Max pour attaquer la descente vers Bourg d’Oisans.

Les corps sont fatigués et après toute cette adrénaline, la perspective d’une gigantesque descente est un régal autant qu’un piège. Je descends toutefois le Galibier avec gourmandise, allant chercher un maximum de points de freinage et de trajectoires. Que n’ai-je un vélo route pour aller encore plus vite… La descente du Lautaret est du même acabit, plus longue, un peu moins intense globalement. Là-aussi, j’aurais aimer avoir un vélo plus véloce pour en profiter encore plus !

Les tunnels se passent étonnamment mieux dans ce sens là, y compris les derniers tronçons nous approchant du barrage du lac Chambon. C’est le moment de quitter Max, qui fera ensuite un bout de route en voiture (OH LA LA – pardon) avant de filer vers les prochaines aventures. Suivez-le sur Instagram, sérieusement… vous allez baver si vous aimez le vélo et sinon, vous allez simplement halluciner ! Nous ne sommes plus que quatre à faire le dernier tronçon entre le lac et Bourg d’Oisans. Allez.

Les dernières descentes avant la vallée de Bourg d’Oisans sont sublimes mais j’avais oublier que pour les atteindre, il y avait un petit jeu de montagnes russes sur la route en balcon entre le lac Chambon et le Fresney d’Oisans. Les jambes ne souffrent pas mais clairement, l’énergie n’est plus trop là dès que ça monte un peu trop fort. Je m’accroche aux roues des autres, rattrapant une part de mon retard dans les descentes où je semble être un peu plus à l’aise (ou bête).

Bourg d’Oisans. Enfin, la vallée. Nous tentons des passages de relais à un bon 30-35 km/h, alors que nous avons quasiment 120 bornes dans les pattes et surtout plus de 3000 mètres de dénivelée avec ces histoires de cols, là ! Mon relai sera le dernier et je n’arriverai pas à tenir bien longtemps. Les trois loulous me reprennent et j’ai du lâcher sur les dernières centaines de mètres avant Bourg d’Oisans. Les petites bières avec Luke (suivez-le aussi) seront salvatrices et la discussion finale, éclairante aussi pour les mois à venir de ma vie.

Je ne sais pas vraiment ce que l’avenir me réserve. Je ne sais pas non plus quels sont les futurs projets de Max. Je sais juste que je dois encore le remercier d’avoir tout fait pour partager ces ultimes kilomètres de « son » challenge. Le souvenir de cette journée n’est pas près de s’effacer de ma mémoire et les rencontres de ce jour demandent des retrouvailles et de nouvelles aventures à vélo. Merci, Max.

Les photos de cette journée clôturée du col du Galibier

Quelques photos de Mickael Gagne
Le parcours de la journée

Carte bientôt disponible.