Sri Lanka – émotion et démesure à Sigirîya

Il y a des lieux qui comptent dans une vie de voyages, dans une vie de lecteur aussi avec ces fameuses Fontaines du Paradis de Arthur C. Clarke. Sigirîya est l’un de ces lieux uniques qui fracassent l’esprit, abrutissent, laissent pantois et coi. Vestige d’une folie dévorante, d’une mégalomanie galopante et d’une paranoïa démesurée, ce Rocher au Lion, Simhagîri ou Sigirîya, me laisse marqué à vie.

Pour y accéder, il aura fallu deux bus depuis Polonnaruwa, un de la cité jusque Inamaluwa et enfin un pour les derniers kilomètres jusqu’à la bourgade qui a poussé au pied du célèbre rocher. On l’aperçoit un peu, depuis la route, se dressant de temps à autre entre les arbres, déjà imposant et pourtant si lointain. La petite route qui mène à Sigirîya ne le montre point, la végétation est dense par ici. Il faut atteindre la guest house et sa situation idéale pour se rendre compte, depuis le toit d’une future bâtisse destinée à accueillir d’autres touristes. Il est là.

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C’est la fin de l’après-midi, la lumière tombe peu à peu. Il est temps de slalomer entre les chiens à moitié errants et à moitié agressifs (prévoir une lumière et un bâton… ou bien prendre un taxi tuk-tuk pour quelques centaines de roupies pour le kilomètre à parcourir) pour aller boire un verre et penser au lendemain.

Lever du soleil, départ au plus vite après le petit-déjeuner. Il y a déjà foule. Oui, le lieu est touristique. Comment pourrait-il ne pas l’être ? Il faut donc faire contre mauvaise fortune bon cœur et accepter cet état de fait. Cela n’empêchera pas de savourer l’extraordinaire beauté du lieu. Ticket acheté, je m’engage dans les anciens jardins du palais. Les fontaines fonctionnent encore, grâce à leur ingénieux système à gravité, plus de 1500 ans après leur mise en service par le parricide roi Kassapa. Le réservoir qui alimente les jardins est situé à 10 kilomètres de là et l’eau était également acheminée sans mécanisme particulier jusqu’au sommet, grâce à un système de différences de niveaux et pressions. Incroyable pour l’époque, incroyable encore aujourd’hui. Le rocher est là en tout cas, de plus en plus grand, écrasant de ses 370 mètres la perspective, rendant presque difficile par sa présence l’observation des alentours, focalisant le regard.

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Toujours plus près, je découvre un autre bassin, à la forme octogonale inhabituelle. On note l’entaille dans le rocher en forme d’éléphant, destinée soit à abriter le Roi du soleil, soit à créer un plongeoir. Nul ne sait. Il fauten tout cas toujours faire silence sur le site, les frelons qui gardent le site pouvant se montrer très agressifs. Imaginez des nuées de frelons énervés se jetant sur les hordes de touristes ! Cela arrive d’ailleurs parfois, d’où un certain nombre de cages situées ici ou là sur le site. Autrement dit : silence, observez !

Il est temps de monter. Les postes de gardes sont visibles ici et là, au travers des entailles creusées dans le rocher, créant de drôles de trajets dans les roches et ailleurs. Les escaliers démarrent au niveau du palais d’été, au pied du roc. Cela grimpe sec mais sans problème, dans la chaleur qui monte tout aussi régulièrement. Certains touristes souffrent au bout des premières volées de marches, en sandales pour la plupart. Souvenez-vous si vous venez ici : vous allez manger 370 mètres de dénivelée en très peu de mètres parcourus, équipez-vous un minimum !

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Une sombre verrue se laisse soudainement découvrir à mi-hauteur du rocher. Dessous, une sorte de passage protégé, sorte de promenade bien carrossable, est également visible. On approche de la première merveille de Sigirîya : ses demoiselles. Dûment protégées désormais, sauvegardées des outrages du temps grâce à la corniche qui les surplombe, ces fresques méritent les escaliers escarpés qui mènent à elles. Elles méritent même cette première larme d’émotion et j’aurais grimpé dix fois plus de marches pour les voir.

Le roi Kassapa vécut reclus dans sa forteresse pendant 18 ans, guettant le retour de son frère voulant venger l’assassinat de leur père. Il y entretint une cour assez restreinte, passant la majeure partie de son temps au sommet, descendant parfois. Les courtisanes étaient évidemment nombreuses et on retrouvera sûrement dans ces fresques quelques-unes d’entre elles, seuls témoins de la femme médiévale de Ceylan, avec également deux servantes plus couvertes.

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J’arpente enfin le mur des témoignages, protégé tant bien que mal des vandales. Ce mur, dissimulé du regard extérieur, longe le rocher et arbore de nombreux gribouillis millénaires, témoignages de celles et ceux ayant gravi le roc pour rencontrer le roi.

On atteint enfin les abords de la terrasse du Lion. Un rocher toujours perché sur ses quilles est près à dévaler la pente pour écraser les assaillants. D’anciens restes de cellules et cahutes sont visibles, tout comme les pires cellules de prisonniers, pour peu qu’on lève la tête ! Les prisonniers étaient descendus dans ces anfractuosités de la roche à bout de corde pour y purger leur peine. Minuscules, ces espaces ne toléraient clairement pas qu’on s’y endorme. Funeste endroit mais vue d’ores et déjà magnifique.

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Les pattes du Lion. Enfin. Seconde larme. L’ascension finale est là, défiant celles et ceux souffrant de vertige. Imaginez qu’il y avait ici une statue gigantesque de Lion en sus des pattes survivantes. Quel lieu, quel lieu ! Jugez plutôt !

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Alors je grimpe. Certains suivent leur ami voyageur une main accrochée à la ceinture, yeux fermés, pour atteindre le sommet. D’autres se dépassent. Certains sont restés en bas. Le chemin est parfaitement sécurisé, sans risque pour le voyageur si tant est qu’il ait la forme pour grimper toutes ces marches. Il n’empêche, il est à flanc de rocher et impressionne les visiteurs, pas les singes locaux, débonnaires.

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Sommet. La troisième larme n’est pas loin, la quatrième non plus. Les restes du palais sont là, à portée de main. La vue est incroyable. Quelques marches de plus et la vue s’élargit encore avec ce gigantesque bassin ou gigantesque piscine, nul ne sait. Tout est en ruines mais la vue est royale. Kassapa resta ici 18 ans à observer les alentours, qui pourrait lui en vouloir ? Son frère, furieux contre le parricide, qui l’assiégea une semaine avant que Kassapa ne renonce, ayant pensé à tout sauf à un long siège pour Sigirîya.

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Je suis les écrits d’un de mes auteurs favoris. Je marche dans les pas du dernier voyage de mon père disparu. J’ai choisi également de perdre l’un de mes frères. La symbolique de ce lieu m’assomme, m’assomme encore aujourd’hui en écrivant ces lignes. Mon histoire personnelle résonne fortement à Sigirîya, rendant cette visite encore plus passionnelle et bouleversante, j’en ai bien conscience. Il me reste ces images, cette émotion en les revoyant, en pensant à cette ascension le cœur battant, au bord des lèvres et la certitude d’y retourner un jour.

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Comment se rendre à Sigirîya ?

En bus pardi ! Comme évoqué dans le premier paragraphe : un bus depuis Polonnaruwa jusque Inamaluwa et un autre depuis ce point jusqu’au pied du rocher. Simple, efficace, pas cher et rapide !

Où dormir à Sigirîya ?

L’offre est vaste, très vaste ! J’ai vraiment apprécié de boire une bière dans le jardin avec vue de ma guesthouse, à deux pas d’un hôtel fort connu (le Lakmini Lodge, pas trop bruyant pour les voisins malgré mes craintes). Il s’agit de Sigirya Paradise Inn Guest House. Petit-déjeuner très correct, clairement pas de dîner possible sauf demande insistante. L’endroit va sûrement grandir dans les années à venir avec ce nouveau bâtiment qui offrira une vue magnifique sur les rizières, les éléphants (à la bonne saison) et Sigirîya en fond.

Où manger et boire un verre à Sigirîya ?

J’ai mangé le soir et le midi après la visite, avant le bus pour Dambulla, dans l’un des restaurants de la rue principale, Ahinsa. Nourriture très honnête, un brin salée mais saine et bien fichue. Pas transcendant mais correct donc en terme de tarifs et de carte.

Combien de temps rester à Sigirîya ?

En partant tôt le matin, on peut aisément en avoir terminé avec le site pour la mi-journée. Une demi-journée me semble donc suffisante pour découvrir le site. Soit le matin pour profiter de la lumière rasante, soit en fin d’après-midi pour profiter du soleil couchant. Les enthousiastes resteront une journée complète pour voir les deux !