Essai – Toyota GR Supra

Supra. Il est des patronymes qui réveillent le passionné automobile plus que d’autres et celui-ci, issu du giron Toyota, en fait assurément partie. Absent depuis bien longtemps de nos contrées mais aussi de celles du soleil levant, le coupé sportif renaît de ses cendres sous la forme d’une auto très fortement inspirée du délicieux concept FT-1 qui nous avait tant mis l’eau à la bouche en 2014.

2014. Il aura fallu tout ce temps à la Toyota Supra pour revenir sur le devant de la scène, toujours forte d’un six cylindres, annoncée comme hautement personnalisable comme dans nos sessions plus ou moins adolescentes de Gran Turismo (à défaut d’avoir été japonais et d’avoir justement eu une vraie Supra entre nos mains là-bas !) et à peine plus sage que le concept original qui était à couper le souffle.

La particularité de cette GR Supra ? Elle n’est pas intégralement japonaise. Au même titre que le GT86 et le BRZ sont nés d’un mariage entre constructeurs, la Supra est intimement liée au tout dernier BMW Z4 même si les uns et les autres clament à qui veut l’entendre que la base est commune mais que tout ce qui a suivi fut indépendant.

Alors, cette Toyota Supra, un « vulgaire Z4 rebadgé » comme certains malappris le claironnent, ou vraie sportive à la sauce GR déjà à l’origine de la truculente Yaris GRMN ?

Il y a déjà la ligne… Le goût de ces choses est éminemment personnel mais pour ce qui me concerne, je me prosterne, je tire mon chapeau ou encore me pâme devant la nouvelle Toyota Supra. De la récupération de l’auto au parc presse de Vaucresson aux multiples arrêts photos du weekend en passant par quelques séquences de discussion ici et là, mon avis et celui de la multitude m’ayant interpellé ce weekend est unanime : le coup de crayon est saisissant.

A l’avant, le capot semble infini, enrobant les belles roues à cinq branches, se prolongeant sur un nez aquilin cerné par des optiques effilées et des prises d’air béantes, certaines plus ou moins factices que d’autres (autant que l’on peut ouvrir pour tuner, gaver et faire respirer le six ?). Le charisme frontal de cette auto, qu’il soit de face ou en 3/4 avant est indéniable, avec en sus un pare brise particulièrement penché et la ligne de toit laissant de la place aux casques au travers du double bossage.

Les flancs sont galbés, très musculeux, nerveux, tendus. Ils débouchent sur une poupe singulière ! Le petit aileron en queue de canard qui n’est pas sans rappeler une célèbre teutonne détonne, tout en ayant le mérite de sauver l’élégance générale de la ligne qu’un aileron aurait massacré. Les feux arrière semblent fondre et s’écouler dans les ailes callipyges (oui, j’ai pas mal lu Sport Auto récemment), mettant ces dernières encore plus en évidence.

Au centre de tout cela trône le patronyme à la typographie elle aussi reconnaissable : Supra. Reste aussi un petit badge GR en bas à droite, au dessus de la relativement discrète double sortie d’échappement. Timide, presque trop timide. Annonciateur ? Si l’on excepte cela, la ligne de la nouvelle Toyota Supra fera date : elle est sublime à mes yeux, absolument sublime. Strictement rien à jeter.

Toutes ces lignes dithyrambiques, il va bien falloir à un moment que ça coince. Non ? Bon, un peu. A l’intérieur, la fête est nettement moins belle ; elle est juste terriblement sérieuse. B-M-W. Vous pourrez dire ce que vous voulez, l’ajout d’un logo Toyota sur le volant et ailleurs ne sauraient masquer les gênes de Munich dans cet habitacle.

C’est à la fois une critique et un compliment à dire vrai. Les habitacles japonais, issus d’une culture d’ingénieurs jusqu’au-boutistes, sont rarement un régal pour les yeux et s’ils sont assurément fiables et maîtrisés, ils manquent souvent d’un truc qu’on appelle « le design ». C’est de moins en moins vrai avec l’internationalisation des équipes mais certains bastions résistent encore.

Ici, pas de doute quant à la filiation : la Supra est bien un BMW Z4 rebadgé pour ce qui est de son habitacle. C’est plutôt cossu, très joliment fini et assemblé et on retrouve le système d’info-divertissement allemand qui a largement fait ses preuves. On retrouve aussi l’écart existant entre BMW et d’autres allemands sur certains choix de matériaux avec quelques plastiques et choix ergonomiques que je trouve sans grand intérêt ou dépassés.

Pendant ce temps-là, Apple CarPlay a le bon goût d’être sans fil, le coffre est plutôt raisonnable pour deux, il y a ici et là des détails pratiques à vivre, on est en bonne position de conduite et plutôt bien maintenu mais les compteurs n’ont que très peu d’intérêt et semblent surtout pleins de vide en terme d’affichage. En somme : la GR Supra est très pratique à vivre, généralement bien finie, mais il n’y a rien de « Toyota » là-dedans, pour le meilleur comme pour le pire.

A ce stade de l’essai, on oscille donc entre le pragmatisme de l’habitacle et l’incroyable coup de crayon qui rend une Supra environ 8000 fois plus belle qu’un « vulgaire Z4 » (que je trouve assez fade à titre personnel, sauf en version colorée). Il est temps de démarrer le six cylindres bavarois pour aller limer quelques rubans de bitume et se faire un avis sur la génétique prépondérante de cette auto à la croisée des chemins.

Commençons justement par ce six cylindres. Il s’agit du bien connu 3.0L TwinScroll développant ici 340 ch mais aussi et surtout la bagatelle de 500 Nm de couple, respectivement à 5000 et 1600 tr/min. Voilà qui annonce la couleur : oubliez les hauts régimes, ce moteur est plutôt un gros généreux du bas des tours. Il gronde, il éructe un petit peu et il est globalement mélodieux.

Surtout, il est plein, mais alors plein à craquer. On a presque l’impression qu’il pourrait développer 200 carnes de plus sans sourciller tant il distribue sa puissance et son couple avec générosité. Pas un moteur de caractère et pointu comme on pouvait l’espérer, mais de quoi largement motoriser l’auto et relancer de n’importe quel rapport depuis à peu près à n’importe quelle vitesse.

Les gommes encaissent sans broncher, passant la puissance sans jamais vraiment sourciller. Amateurs de virgules, il va falloir un peu violenter l’auto pour que ça savonne (c’est possible, regardez les gens qui savent drifter genre Chris Harris, Soheil Ayari &co) car en conduite normale ou dynamique, l’arrière pousse mais pivote assez peu.

Cela m’amène maintenant à la boîte, une traditionnelle ZF à 8 rapports que l’on retrouve un peu partout dans la production automobile actuelle et plus particulièrement chez BMW. Toyota embarque logiquement la pignonnerie en attendant de doter sa sportive d’un levier manuel qui aurait un certain intérêt avec un tel moteur et la lignée Supra. Elle n’est pas lente, pas non plus foudroyante de rapidité, c’est une boîte réussie, comme d’habitude. Sportive ? Surtout polyvalente.

Passons maintenant aux enchaînements de virolos. J’avais comme petite idée d’aller faire un tour dans les Pyrénées-Orientales avec cette auto mais le kilométrage était un peu trop important. Je me suis donc cantonné à mes circuits normands que je connais parfaitement et qui me permettent de rapidement jauger d’une auto sur divers revêtements et différents enchaînements de courbes.

Les mises en vitesse de la Toyota Supra sont logiquement (très) velues avec cet ensemble moteur / boîte plein de punch et de sérieux. La bonne nouvelle, c’est que les freinages vont avec. Si je ne garantis pas que l’ensemble tienne fort longtemps sur circuit, il assure sur route ouverte des décélérations puissantes et rassurantes, d’autant plus que ça tient plutôt bien dans le temps, à l’exception d’un attendu léger allongement de la course pédale.

En ligne droite, tout va donc bien, y compris sur le bosselé où la suspension pilotée en lien avec les différents modes de conduite fait du bel ouvrage, se montrant parfois un peu trop souple à mon goût et peinant surtout à ne pas trop restituer en détente sur le bosselé dans son mode le plus verrouillé. L’auto ne lit en tout cas pas trop la route et maintient son cap en toutes circonstances ; dans l’ensemble l’auto est là-aussi très polyvalente.

C’est finalement quand ça tourne que je commence à me poser quelques questions. Mes reins ne me remontent pas beaucoup d’informations, mes mains non plus. Le toucher de direction est un brin artificiel, ne me restituant pas vraiment ce qu’il se passe aux roues avant. A l’arrière, c’est un peu pareil. Tiennent ou tiennent pas, les pneus ?

J’ai du mal à trouver mon équilibre, son équilibre. Alors certes, la semaine précédente, j’étais au volant de la Trophy R, une petite danseuse tranchante comme un rasoir aiguisé à la pierre japonaise… Mais quand même, il y a un côté GT plutôt que du sportif dans tout ça, un léger manque de connexion à la route malgré un excellent équilibre général et une auto bien née.

C’est assez cohérent à dire vrai avec ce que j’ai pu lire sur pas mal de modèles BMW dernier jus, M2 Competition et CS mis à part. Pas trop avec l’esprit Toyota sportif et pas trop en lien avec le badge GR, aka « Gazoo Racing ». Bon, je manque d’essais récents chez BMW pour me faire une référence, la marque étant encore drôlement organisée entre cartes presse et « le reste ». A revérifier, en 2021 probablement.

Les sensations viennent peu à peu mais un autre sentiment apparaît alors que le rythme augmente fort logiquement. Une pesanteur, une sensation de « masse ». Retour au point stop effectué (12.3 L/100 sur 530 km par ailleurs – vraiment pas mal), je vérifie la fiche technique, chose que je n’avais pas fait comme le gros fainéant que je puis être. 1570 kg en ordre de marche. Avec votre serviteur et un éventuel sac de sable, ça commence à faire très lourd pour une auto qui semble extrêmement ramassée, compacte et agressive.

Mais tout me semble désormais plus logique dans mon ressenti : les difficultés de la suspension en détente dans certains cas, ce sentiment de pesanteur à l’avant pour changer de cap. Oh, elle y va, ne nous trompons pas ! C’est une voiture qui va vite, très vite, un peu partout. Au delà de l’exercice du 0-100 annoncé en un tonitruant 4.3 secondes, la GR Supra est véloce, très véloce, mais il y a un « truc ».

Il y a ce manque assez évident de connexion au conducteur qui me désole un peu, qui me fait dire que les gênes BMW modernes sont là, trop présents. Pas assez de la volonté récente de Toyota de renouer avec le sport. Pas assez de la folie Gazoo Racing. L’auto devrait s’appeler simplement « Supra » et une version GR serait à mes yeux plus affûtée, plus pointue et engageante, avec aussi des Pilot Sport 4S par exemple pour remplacer les SuperSport un peu moins affûtés.

La nouvelle Toyota GR Supra, c’est donc avant tout une ligne à vous couper le souffle à chaque fois que vous posez le regard sur elle ! Une certaine idée de la sportivité est bien présente, l’efficacité aussi, en témoignent les performances générales et l’incroyable santé du moteur qui aspire à en donner bien plus.

Il faut en revanche revoir la copie du côté des liaisons au sol et de la direction pour reconnecter le conducteur à son auto, non pas que tout cela soit drastiquement raté, c’est juste en retrait des attentes, particulièrement élevées par rapport au célébrissime patronyme évoqué dès le premier paragraphe. Ou alors, il faut laisser faire les tuners, dans le plus pur esprit des générations précédentes de Supra ?

Mon essai étant tardif, l’annonce des déclinaisons « 2020 » sonne à mes yeux comme une sorte d’aveu. D’un côté, une version nommée 2.0L avec un quatre cylindres lui aussi connu pour être « plein » mais aussi plus léger (-90 kg), lâchant 258 ch. De l’autre, toujours la version 3.0L mais avec une puissance majorée à 387 chevaux et des liaisons au sol justement revues du côté assistance de direction et suspension.

En cela, la Toyota GR Supra montre qu’elle a bien une part du Japon en elle, celle de l’amélioration permanente, de la culture du détail, de l’optimisation, de la résolution de défauts ici et là ; avec un méthodisme tout à fait impressionnant pour des européens. Civic Type R et GT-R passent par ces évolutions régulières, la Supra annonce aussi la couleur en faisant très rapidement de même.

On imagine la naissance d’un tel projet assez douloureuse. Le résultat sur la Supra 2019 n’est pas à jeter mais il mérite amélioration et pour cela, il nécessite une appropriation plus profonde de l’auto par les équipes de Gazoo Racing. Voilà qui s’annonce chose faite et j’ai hâte de me remettre au volant de l’une des plus belles autos, symboliquement et esthétiquement, de ces dernières années.