Essai – Tesla Model S P85D

Dire que j’attendais l’essai de la Tesla Model S P85D avec une énorme impatience est un doux euphémisme ! Entre les communications de la marque, les multiples vidéos de runs contre les supercars les plus puissantes du monde, les essais parus ici et là dans la presse d’un côté et une certaine propension à aimer la voiture électrique qui s’assume de mon côté, toutes les conditions étaient réunies pour me coller un énorme sourire à la récupération de la voiture ! Le weekend passé à son volant fut donc l’occasion de vérifier tout ce qui se dit au sujet du modèle le plus puissant et exclusif de la marque.

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Elon Musk aime la disruption et recrute en conséquence, y compris dans le domaine automobile où les ingénieurs et chefs de projet du monde automobile vieux de cent ans ne sont guère les bienvenus. Ainsi, Model S, Model X et bientôt Model 3 sont nées de feuilles blanches et avec la volonté de s’affranchir d’une certaine uniformité automobile. La roue n’a tout de même pas été réinventée et la Tesla Model S P85D ressemble bel et bien à une voiture : quatre roues, une ligne fluide, des proportions habituelles, ce n’est assurément pas un ORNI et on pourrait même la qualifier de très sobre.

En effet, si l’on excepte les (très) grandes roues de 21 pouces, Model S est très épurée et discrète, timide et invisible, presque. Seule excentricité : les poignées de porte rétractables qui se déploient automatiquement à l’ouverture. Pour le reste, du très classique avec des roues, des freins, des rétroviseurs, des adjonctions de chrome, un joli becquet en carbone (optionnel)… la révolution n’est pas dans le design extérieur même s’il reste très clairement identifiable à l’habitué, beaucoup moins au néophyte qui se demandera à quoi il fait face (j’ai vu tellement de regards perdus ou curieux sur cette Model S pendant mon essai !) en cherchant par ailleurs une trappe carburant quelque part sur la ligne de la voiture !

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Du côté de l’habitacle, la nature électrique de l’auto se voit nettement plus puisque l’absence d’arbre de transmission et de toute la tripaille habituelle vide totalement l’habituel tunnel central. C’est de ce côté que la Tesla Model S P85D surprend presque le plus avec ce très grand espace central entre les passagers avant, pouvant accueillir tranquillement le sac, la mallette ou que sais-je encore de l’un ou l’autre habitant principal de la voiture. Certains (dont moi) diront que c’est bien pratique, d’autres diront que cet espace aurait pu être doté de rangements plus pratiques (on me signale que c’est une option, je crois). Les places arrière ont quant à elle été remplacées par deux sièges, plutôt dans un esprit chauffeur et c’est là aussi une option par rapport à la plus traditionnelle banquette. Utile, pas utile ? Aucune idée, je suis resté devant.

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Comme vous pouvez le constater, l’habitacle est plutôt luxueux et bien fini ! Quelques détails sont même particulièrement intéressants comme les portières pleines revêtues de cuir et aux lignes singulières, ou encore la partie haute de celles-ci avec cet éclair d’aluminium avec à son bout la poignée de porte au dessin similaire. La planche de bord revêtue d’alcantara est belle, tout comme les incrustations en bois, même s’il ne faut pas trop jouer sur les assemblages, clairement pas au niveau du tarif. C’est beau, c’est globalement de belle qualité mais il ne faut pas trop jouer avec les éléments car on ne manquera clairement pas de remarquer quelques approximations dans les jointures, les assemblages et les matières, ici et là. La disruption, c’est bien. 100 ans d’expérience dans l’automobile, ça peut aussi servir. Il n’empêche, pour une première (le Roadster ne compte pas vraiment), Tesla fait du bon travail et saura assurément livrer une voiture mieux finie dans les détails à l’avenir. L’essentiel de l’expérience est de toute façon ailleurs !

Je ne m’attarderai pas non plus sur le volant, très classique finalement et quasiment dénué de boutons. Le comodo de boîte est très clairement emprunté à Mercedes tandis que celui des feux et clignotants, tout comme celui du régulateur adaptatif, sont à gauche, standard là-aussi !

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Non, là où l’expérience automobile commence à changer, au delà de l’aspect extérieur et de certains choix de design intérieur, c’est du côté des combinés et écrans de la Tesla Model S P85D. Le combiné central reprend certaines informations habituelles comme la vitesse mais inclut aussi les répétitions des fonctions principales, media et navigation en tête pour le tiers gauche. Le tiers droite affiche quant à lui les informations relatives à la consommation… électrique, avec les prévisions d’autonomie actualisées en temps réel en fonction du rythme de conduite adopté. Pratique et indispensable à la fois, sans être anxiogène puisque Model S peut aisément atteindre les 400 km d’autonomie. On en reparlera plus loin.

L’étape suivante du changement se situe du côté droit du volant, situé entre les deux boutons survivants de la console centrale (feux de détresse / ouverture de la boîte à gants) : l’écran de 17 pouces (oui oui, 17), dalle noire regroupant l’ensemble des fonctions de la voiture. Si avant cet essai j’avais déjà pris en main le Volvo XC90 et son remarquable système, cette Tesla Model S P85D m’a néanmoins bluffé par son approche et la somme de fonctions disponibles très facilement depuis l’écran d’accueil. Navigation, Medias, Agenda, Web, Caméra et Téléphone sont disponibles en « home », l’ensemble se couplant parfaitement avec le téléphone et la voiture étant par ailleurs dotée d’une connexion permanente vers l’extérieur en sus de pouvoir se connecter sur votre WiFi maison pour les mises à jour les plus lourdes ! Connectée, de bout en bout, vous l’aurez compris.

L’ensemble n’est pas parfait avec quelques plantages et quelques commandes pas bien fichues comme par exemple le niveau sonore que le passager aura du mal à piloter dans le coin en bas à droite de l’écran. Même combat pour la climatisation, peu facile d’accès finalement. En revanche, la partie navigation est bien pensée et je n’ai pour ma part pas trop souffert de l’aspect « bêta » du planificateur intelligent. Je m’explique : la navigation va essayer de vous faire passer par les chargeurs ou superchargeurs Tesla afin de vous garantir un trajet à 0€. Si le trajet est faisable sur l’autonomie seule de la voiture, tout va bien. Si le trajet est simple, tout va bien aussi. En revanche, si vous êtes dans un coin où il n’y a pas trop de chargeurs, on peut avoir de drôles de surprises et se voir suggérer de traverser la Manche comme JB de BlogAutomobile ! Avantage de ce système en tout cas : la suggestion de pauses de durée limitée pour recharger l’automobile et se reposer soi-même sans rester le temps d’une charge complète. L’autre bon point également, c’est le calcul théorique et mis à jour en temps réel du niveau de batterie restant à l’arrivée. Pratique, rassurant aussi quant à l’autonomie restante à l’arrivée et supprimant l’aspect anxiogène de l’usage du 100% électrique. Il fallait y penser, tout simplement.

Dernier point, la partie « Contrôles » disponible en bas à gauche et qui regroupe l’ensemble des paramètres de l’automobile, des plus simples comme le toit ouvrant (le coup du slide pour ouvrir / fermer… !), les verrous au plus précis comme la hauteur de caisse ou encore les aides à la conduite.  Pratique, simple avec des commandes activer / désactiver, j’ai retrouvé pour le coup la praticité du XC90.

Dernière étape « tech » (oui il y en a beaucoup dans cette voiture mais c’était attendu) : l’application pour smartphone qui permet à l’avance de démarrer, refroidir, vérifier la charge et ainsi de suite. Pratique, évident, extrêmement pratique même si l’on parle de la climatisation car la Tesla Model S P85D en a eu bien besoin en cette fin août ! Chaleur de four au soleil avec une transmission directe structure aluminium – habitacle… et un énorme bémol : les poignées sont brûlantes, bouillantes, au delà du seuil de douleur donc. Un vrai problème à mon sens et qui mériterait un choix de matériau autre. Dommage.

Passons maintenant à la conduite car finalement, tout ce dont je vous parle pour le moment relève de l’automobile moderne au sens large : un peu de design, des finitions et matières pour l’intérieur et une somme de fonctionnalités connectées et/ou au service de la sécurité des occupants de la voiture, le tout servi par un système bien pensé et conçu ! Si l’on considère tous ces différents éléments, la Tesla Model S P85D est assurément une voiture réussie et en phase avec son temps, en avance sur certains points, souffrant dans le détail de la comparaison avec le premium pour d’autres points. Le bilan est malgré tout positif et on pourra se satisfaire d’avoir opté pour elle une fois le chèque déboursé, que ce soit pour une Model S « standard » ou pour cette démente P85D très bien équipée. Tout ça, c’est du statique. Quid de la mise en mouvement ?

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Moteur(s). Le contact est mis, la voiture indique qu’elle est belle et bien prête à partir tandis que le silence n’est guère troublé que par le léger frou-frou de la ventilation. Difficile à croire mais on a bien sous le pied quelque chose comme 700 ch et 900 Nm en puissance et couple, ceci dans un calme absolu. Les premiers mètres sont parcourus avec, comment dire, beaucoup de respect. Je garde en tête les accélérations déjà surprenantes de Leaf et de i3, aussi me suis-je dit qu’il fallait que je prenne mon temps avant d’y aller franchement. Alors je cruise, je cruise. En ville, sur le périphérique, l’A86 puis l’autoroute enfin. Le silence n’est troublé que par les bruits de roulements, l’aérodynamique se faisant quant à elle très discrète, même à 130 km/h.

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Les deux moteurs, situés directement sur les essieux avant et arrière, délivrent en douceur leur couple, quand bien même le mode « Inouï » est activé du côté des contrôles de l’écran. Pour peu que l’on sache faire autre chose que on et off avec son pied droit, la conduite en douceur de cette montagne de puissance et de couple n’est absolument pas un problème. Le confort est également au rendez-vous malgré les grandes roues et gommes sportives qui équipent la voiture : bonne absorption des chocs, pas de pompage ou de cabrage, la Tesla est facile à vivre de ce côté également et aurait en revanche mérité un système son un peu plus pêchu pour couvrir les bruits de roulement. C’est bien le seul point négatif car pour le reste, c’est un tapis volant que l’on utilise avec ce que ça implique de tranquillité, de qualité de voyage et de silence à bord.

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Les premiers kilomètres parcourus à bord – dont pas mal de bouchons – sont aussi l’occasion d’entendre quelques très vilains crissements à l’avant. Les étriers sont assurément bien dimensionnés et le freinage n’est guère pris en défaut, offrant un toucher de pédale satisfaisant mais ça crisse, ça couine, comme beaucoup d’étriers fixes ! Problème : là où d’ordinaire un gros L6/V8/V10/V12 (fais ton choix, camarade !) est là pour couvrir les plus discrets des couinements, il n’y a rien ici pour atténuer la preuve que la mise au point bruit des freins est largement perfectible pour ce qui est et reste un usage quotidien. Dommage mais on ne peut semble-t-il pas tout avoir !

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Arrive enfin le moment où le ciel est clair, la route dégagée et l’espace dénué de toute chicane mobile. 0 km/h. Pleins gaz. BOR-DEL. DE. MER-DE. 3 secondes plus tard, 100 km/h, le dos bien plaqué au siège et le passager qui te regarde d’un œil torve parce que tu ne l’avais pas prévenu ! Avec cette voiture, l’excuse suivante pourrait fonctionner avec un gendarme : « désolé m’sieur l’agent, j’ai fait 90-130 sans m’en rendre compte ». Vraiment. Bien sûr, on ne s’amuse pas tous les jours et à chaque feu rouge à taper le 0-50/90/130 en mode pleine balle mais Model S P85D rajoute une couche de folie et de confort (c’est lié) aux autres voitures électriques déjà essayées. La motricité n’est pas mise à mal grâce à des gommes qui arrivent semble-t-il a bien encaissé la montée en couple et la moindre insertion / accélération / dépassement est d’une banalité confondante. L’œil écarquillé des autres automobilistes, c’est la cerise sur le gâteau électrique et ça ne gâche clairement rien !

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L’accélération en ligne droite est évidemment au rendez-vous, linéaire et ne faiblissant guère jusqu’aux vitesses légales françaises ; c’est un fait et c’est comme je le disais ci-dessus un mélange de confort et de débilité automobile ! Pour la partie « courbes » des routes, la Tesla Model S P85D n’est pas ridicule non plus, grâce une fois encore à ses gommes mais aussi et surtout à un centre de gravité que l’on sent réellement bas dans le comportement de l’auto. L’ensemble est batteries est effectivement placé dans le plancher de l’auto et sa structure est intégralement en aluminium. Tesla a fait tout son possible pour compenser le poids des batteries grâce à son bon placement en hauteur et à l’usage de matériaux légers par ailleurs. Si la Model S n’est pas une sportive / supercar, elle ne se comporte pas non plus comme un mammouth et permet de tenir de sacrés rythmes en courbes ! Le train avant s’inscrit parfaitement et la rotation se fait sans anicroches, sans prise de roulis non plus avec l’essentiel des masses finalement situé pile au niveau de l’axe des roues. Impressionnant à défaut d’être purement sportif, le comportement dynamique de l’auto quand on hausse le rythme est une vraie réussite avec une direction électrique qui tient le choc en mode Sport et une motricité sans faille.

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Le bilan est intéressant, vraiment. Tesla ne s’est pas contenté de créer un dragster parfaitement capable de terrasser tout ce qui roule à l’essence en ligne droite et jusqu’à 130 km/h, ils ont fait en sorte de livrer une voiture au dynamisme réel, transformant le désavantage du poids des batteries en une force pratique pour l’équilibre de l’auto (répartition 50/50 sur ce modèle) et en entourant les deux moteurs de composants satisfaisants, direction, suspension pilotée et freinage en tête. Cela n’efface évidemment pas totalement le poids de l’auto qui reste conséquent (2,2 tonnes, oui oui) et sensible si l’on cherche vraiment à augmenter le rythme. Model S n’est non plus une supercar poids plume, cela reste une berline à tout faire et il ne faut par conséquent par l’oublier lors des transferts de masse ou des gros freinages !

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Après cette revue de détail, il reste encore un point évident à traiter : la recharge. J’avais fait le choix pour mon weekend d’essai de me rendre en Normandie, terre de mes essais s’il en est et par ailleurs terre de peu de chargeurs électriques aussi ! Point de supercharger Tesla ici et donc pas de parcours client amélioré, ce sera je l’espère pour une autre occasion. J’ai donc du faire avec les moyens du bord, à savoir avec la multitude de câbles fournis par Tesla France : prises standards, tri-phasé, 32A, supercharger, prise Autolib’, tout est possible et si l’ensemble des câbles ne sera évidemment pas fourni en série, chaque client se verra proposer les câbles correspondant à son utilisation quotidienne.

Je digresse : Paris – Normandie – un peu de route. Il me reste quelque chose comme 140 km d’autonomie et le compteur indique un parcours de quelque chose comme 250 km. 390 km… contre 411 indiqués en utilisation « normale ». Promesse tenue par Tesla qui communique très peu sur les 500 km du cycle NEDC et beaucoup plus sur le réel, à savoir ces « plus de 400 km » : une saine initiative de leur part et une réussite à l’usage. Il n’empêche : il faut que je recharge car le retour ne sera pas possible. Pour ne rien vous cacher : je n’ai pas réussi à recharger dans la maison familiale, erreur de transformateur ou d’adaptateur, je ne sais pas. J’ai donc fini sur le parking du Leclerc local avec sa prise 32A, le temps de la pause déjeuner et d’une petite balade digestive. Pas ultra pratique mais rapide néanmoins, une fois la procédure de recharge comprise et le bon séquencement ouverture trappe / branchement borne / branchement voiture / diodes au vert intégré ! Retour à Paris, un peu de roulage fort entre temps, il doit rester quelque chose comme 70 km d’autonomie pour 350 et quelques km parcourus : mission accomplie de nouveau ! Au final, j’aurai donc arpenté 600 km de route avec la Tesla Model S P85D, dans le calme le plus complet et pour un bilan financier de 0€. S’il fallait une preuve supplémentaire du caractère abouti et vivable au quotidien de cette voiture en sus des deux coffres disponibles, la voilà pour ce qui me concerne tout à fait établie !

Le bilan est indubitablement positif, quasiment dithyrambique si l’on excepte les critiques justifiées sur les assemblages et un certain manque de qualité de certains composants de l’habitacle. Alors oui, Tesla Model S P85D est le modèle phare, l’emblème, la démesure et on pourra aisément dire que cela ne sert pas à grand chose de la posséder par rapport à une 70, une 85, une 85D ou autre. C’est à la fois tout à fait vrai et particulièrement faux car si elle délivre des performances totalement ébouriffantes mais stupides et inutiles, elle n’en a pas moins les mêmes gènes que ses petites sœurs que je n’ai pas essayées : la famille Model S est la preuve que l’automobile électrique est vivable au quotidien, sur de longs parcours, avec une utilisation intensive et en conservant une part de la folie du culte de la performance.

Où se situe la différence avec Renault, BMW, Toyota ou Nissan me demanderez-vous ? Tout se passe selon moi du côté du parcours client, la mise à disposition du réseau Supercharger et l’attaque par le haut de la gamme pour mieux convertir à terme les masses (Model 3, dans deux ans ?). Autrement dit, plutôt que de tenter de vendre aux classes moyennes et basses un véhicule électrique à 200 km d’autonomie, sans superchargeurs et à un prix plutôt élevé, Tesla a fait le choix de vendre à ceux qui en ont les moyens des voitures entre 70 et 110k€ abouties et faciles d’emploi, servies par ce fameux réseau de recharge et convertis en ambassadeurs enthousiastes. Quand on a ces moyens financiers et qu’on regarde également un peu l’aspect performance de Model S, le choix est vite fait et la conquête peut commencer.

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On en reparle dans quelques années mais la start-up Tesla est peut-être en train de réussir là où les fabricants d’automobiles historiques échouent plus ou moins, coincés qu’ils sont entre la rentabilité court-terme et les marchés à préserver du côté du thermique.