J’ai commencé cet article il y a un mois, tout pile. Quant à l’essai à proprement parler, il a eu lieu un mois auparavant, presque tout pile. Le blocage. La Ferrari Roma, pourtant, mérite des éloges simples. Mais écrire sur une Ferrari, même quand ça fait plus de douze ans qu’on écrit des choses automobiles, reste impressionnant et peut vous pétrifier. Enfin, ça m’a fait ça, à moi… comme un contrecoup de la fluidité pourtant parfaite de cet essai, de la prise en mains dans le nouvel écrin Pozzi au retour de la voiture, étincelante de pluie après l’orage. Me voilà de nouveau face au clavier. Plus le choix, les mots doivent sortir et s’aligner les uns après les autres, comme ces planètes qui se sont alignées d’un coup, la Ferrari Roma m’ayant été « validée » en à peine quatre minutes, un peu plus de quatre ans après mon essai en V12 majeur de la GTC4Lusso.
Les Ferrari sont choses rares et la Ferrari Roma n’échappe pas à la règle. On ne la croise pas tous les jours, malheureusement ai-je envie de dire tant sa ligne est frappante. Je crois en réalité n’en avoir pas croisé une seule avant mon arrivée chez Pozzi, où je la découvre tapie dans l’ombre avec sa robe carmin, sa grille tranchante et son regard perçant. Les galbes du capot, avec ce bossage central de toute beauté et les arches remontant haut sur les roues, sont un régal. Un double Cavallino Rampante est visible. Le premier, noir sur jaune, trône sur le nez tandis que le second, argenté, semble s’être accroché à la grille de toute sa force. On remarque à peine les petites caméras et capteurs de proximité, bien intégrés ; un peu plus en revanche les drôles de grillages faisant la jonction entre le superbe splitter en carbone et la carrosserie. Une petite langue rouge semble être tirée sous la plaque d’immatriculation, fixée de façon qui semble peu académique mais efficace quand on est habitué aux autos « normales » !
Les roues, chaussées en Pirelli, semblent presque sages, tout comme les flancs très épurés et lisses, seulement soulignés par un bas de caisse également en carbone, comme une continuité de la lame frontale. En fait, le regard n’accroche aucune aspérité et on imagine bien que l’air en fait autant, s’étonnant en passant des poignées de portières dans lesquelles on glisse les mains pour ouvrir l’habitacle. Il s’étonne aussi des répéteurs de clignotants tristement intégrés. En revanche, les yeux restent accrochés par le regard de l’auto qui fait comme un éclair de noir, de lumière et de rouge entre la grille percée et l’arche de roue. Cette signature lumineuse et cette face avant, c’est une nouveauté stylistique et à mes yeux une franche réussite entre la nécessaire sauvagerie d’une Ferrari et l’élégance, la grâce et la suavité tout aussi nécessaires à une grande GT de pure race. La Ferrari Roma innove, utilisant un style bien à elle sans renier certains des codes de la marque. Elle devrait inspirer le Purosangue, le SUV de la marque, que j’ai aperçu en Laponie… et cela devrait être une réussite stylistique pour ce type de véhicules au vu de ses proportions, même camouflées.
La poupe n’est pas en reste et il ne m’est pas facile d’en dire du mal. Le galbe tout en rondeurs de la malle, des arches de roues et de la jonction entre les feux affûtés est une splendeur. Tout est fluide, lissé, élégant. Tout au plus peut-on critiquer, ou remarquer, le diffuseur quelque peu proéminent qui semble faire comme un rajout à cet arrière, avec sa double paire de trompettes et son carbone. Mais tout cela est cohérent avec les éléments du même matériau vu ailleurs sur l’auto. La Ferrari Roma est une GT, une 2+2 (petits, les +2). Mais c’est une Ferrari. La musculature est présente dans les soubassements, dans la largeur des pneumatiques. Elle semble prête à bondir à tout moment, cela se sent, mais elle est surtout élégante et racée, en premier lieu. Sa présence et son charisme sont indéniables et c’est bien ce qui m’a été rapporté pendant cet essai : la première « belle » Ferrari depuis longtemps. Je ne suis pas aussi dur, ayant plutôt apprécié les dernières productions italiennes, mais oui, la Roma est une incroyable réussite stylistique.
Le premier soir, arrivé en Bourgogne, la voiture se repose dans la cour de mon gîte, chez Pat et Thierry. C’est l’occasion de continuer d’en admirer les lignes alors que le soleil se couche doucement. C’est aussi l’occasion de faire un premier bilan d’utilisation de l’auto entre Pozzi, le bureau, la maison et enfin la route jusqu’en Bourgogne. Conduire une Ferrari semble impressionnant et c’est à la fois tout à fait vrai et erroné ! C’est vrai car, c’est une Ferrari, ma foi et l’objet est impressionnant par définition, en plus d’être cher (à partir de 200k€…). Mais une fois les aspects monétaire et symbolique évacués, c’est effectivement erroné car les Ferrari modernes sont très faciles à mener et la Ferrari Roma en est un parfait exemple.
Elle mesure un peu plus de 4,60 m de long et surtout mesure 1,97 m de large mais une fois installé à bord, elle semble petite et parfaitement manoeuvrable, la vue avant étant bien dégagée par le capot galbé et plongeant et la direction s’avérant juste ce qu’il faut de légère. La visibilité latérale est également appréciable, il faudra en revanche faire nettement plus attention pour ce qu’il se passe à l’arrière ! Rien de terrible à dire vrai et je n’ai pas transpiré une seule fois pendant mon essai si ce n’est lors de la sortie du parking de Pozzi, les premiers mètres, donc ; le temps d’évacuer le monétaire et le symbolique, donc. L’émotion… la mauvaise. Celle qui précède le reste des émotions ressenties au volant.
En attendant toutefois, on peut déjà voyager en région parisienne et ensuite vers la Bourgogne en roulant doucement. Le jappement initial du V8 turbocompressé s’est mué en un doux grondement qui sait se faire très discret à allure légale et stabilisée. La Ferrari Roma est une voyageuse, après tout et elle me montre qu’elle sait le faire avec une bonne qualité de vie à bord. La sellerie crème et les très agréables et réglables baquets sont une invitation au voyage, j’ai pu trouver une position idéale au volant, installé bien bas comme il se doit. Certains éléments traditionnels Ferrari se retrouvent à bord, comme le fameux manettino au volant ou encore le sélecteur de boîte avec un air d’ancienne grille en H de boîte manuelle. Le volant est toujours parfait, tout comme les palettes de sélection de rapport. L’interface, en revanche, a drastiquement changé et passé au tactile et au tout numérique.
C’est pour certains cas heureux et pour d’autres, nettement moins, même s’il convient toujours d’être tolérant pour une « première fois » (il paraît que ça va mieux sur les nouvelles 296). La clé de l’auto est déjà beaucoup plus jolie que par le passé, c’est un progrès qui était nécessaire pour de telles autos ! L’interface du volant, quant à elle, surprend. Ferrari reconduit ce qui a pu surprendre par le passé et qui pour moi est un succès : clignotants au volant, manettino actionnable rapidement, mode « bumpy road » d’un simple clic, c’est parfait. La marque innove également puisque le volant se numérise et se complexifie, présentant quand l’auto est éteinte une surface sombre qui s’allume au démarrage, présentant les diverses commandes tactiles associées aux surfaces concernées. Celles-ci se désactivent en roulant en l’absence de sollicitation, évitant des déclenchements intempestifs en cours de conduite dynamique. Pour les réactiver, un léger toucher sur le pad tactile situé au pouce droit et le volant reprend vie. Simple sur le papier, pas toujours évident parfois, avec la navigation tactile parfois légèrement capricieuse et un léger délai entre la tentative d’éveil et la possibilité d’actionner telle ou telle fonction.
Même principe du côté des réglages de rétroviseurs, qu’on espère sincèrement ne faire qu’une seule fois pour ne plus y retoucher ! De retour au volant, j’ai découvert peu à peu qu’il s’était doté d’autres fonctions au travers d’éléments à actionner ou faire tourner au dos du volant, entre la palette de la boîte et le volant. Pas évident à saisir au début, mais une fois intégré, c’est très pratique et le mélange entre commandes tactiles et physiques s’avère finalement assez pratique, à défaut d’être parfait. En revanche, j’avoue avoir du mal à faire le deuil du bouton physique pour le démarrage de l’orgue qui anime l’auto ! Du côté des écrans, c’est simple et efficace, avec une profondeur de menus parfois un peu trop importante mais rien d’insurmontable comme chez certains allemands. L’instrumentation devant le conducteur est extrêmement claire et orientée vers la conduite, tandis que l’écran central reprend les commandes importantes et doit normalement intégrer CarPlay – je n’ai pas réussi à l’activer, bizarrement.
En somme, la Ferrari Roma est à mi-chemin entre les précédentes créations de la marque et une orientation plus numérique et tactile. Les actionneurs principaux et les bons concepts que l’on retrouve avec régal à bord d’une Ferrari moderne sont toujours là, évoluant légèrement. La marque profite toutefois de ce modèle pour numériser une partie de son interface, sans prendre de risques énormes et c’est à saluer. Le résultat reste donc pratique et accessible, même si l’ergonomie surprend et frustre un peu, parfois. Ce genre de bascule n’est jamais évident, même pour des groupes à la force de frappe immense. Ferrari réussit ici à ne pas se prendre les pieds dans le tapis et livre une bonne copie numérique, imparfaite mais très largement vivable. Surtout, l’essentiel pour le pilotage et le voyage est toujours là et parfaitement réalisé.
Mes escapades sur les routes burgondes, pour un total de 854 km et 16.66 L/100 avalés (très raisonnable pour un V8 de cet acabit vs. mon rythme !), vont me permettre de confirmer la dernière phrase écrite au sujet de l’habitacle. La Ferrari Roma, toute GT qu’elle est, est un pur-sang italien qui cache remarquablement son jeu et sait changer de visage en fonction des envies et ambitions de son conducteur. La polyvalence reste toutefois un maître-mot puisque, comme je le disais plus haut, elle sait se montrer extrêmement facile, douce et prévenante quand on souhaite dérouler sur routes ouvertes, se glisser dans une circulation urbaine ou survivre à une pluie sauvage sans faire la toupie. Les modes Comfort et Wet sont idéaux pour cela, la boîte calée en automatique égrenant les rapports en douceur. Il n’y a guère qu’entre la première et la seconde, en suivi de file à basse vitesse, que quelques à-coups peuvent se faire sentir. C’est tout. Pour le reste : suspension impériale de confort sans devenir un tapis volant pour autant, direction plus légère mais là-aussi, sans devenir déconnectée de la route, V8 grondant doucement au gré d’autant de rapports, on est dans un cocon luxueux qui invite à enchaîner les kilomètres.
Toujours dans le mode orienté « confort », une poussée un peu plus franche sur l’accélérateur permet de voir que le V8 a du coffre. La Ferrari Roma s’arrache au bitume, sans trop en faire non plus, privilégiant le kick-down ou bien le couple, selon la vitesse et la pression envoyée à l’accélérateur. Le V8 donne alors un peu plus de la voix, restant toutefois sur un registre grave et grondant. Les 620 ch ne sont pas là mais le couple, massif, de 760 Nm et de 3000 à 5750 tr/min est lui bien là. Pour la puissance, il va falloir franchir la barrière précédente et la tenir jusque 7500 tr/min, un régime sacrément haut perché pour un moteur suralimenté, qui est aussi le régime maximum autorisé. Les deux turbos remplissent donc gaiment les 3,8 L de cylindrée de ce huit cylindres qui, on le verra, sait donc également chanter en sus de gronder. Pour le moment en tout cas, la Roma s’avère être un compagnon de voyage idéal car ne sombrant jamais dans l’anesthésie, y compris à vitesses tout à fait normales.
La tentation est forcément grande, à certains moments, d’augmenter le rythme. Le mode Comfort permet bien sûr cela mais il serait dommage de passer à côté de l’équilibre parfait que représente le mode Sport, combiné selon la route concernée avec le mode de suspension pour routes bosselées. Les cartographies de direction, de pédale de frein, réponse moteur et bien sûr de la boîte changent de gamme pour rendre l’auto autrement plus réactive et avide de bitume. La Ferrari Roma ne se transforme pas pour autant en monstre de puissance incontrôlable mais fait preuve de cette dose idéale d’engagement qui invite à rouler vite et fluide. « Sport », on a dit et oui, cela se sent et cela s’entend, avec le V8 qui va chercher les tours, que l’on soit en mode automatique ou manuel. Dans le premier cas, la boîte fait comme toujours chez la marque montre d’une belle intelligence pour savoir quand la phase sportive du parcours s’arrête et aller chercher les rapports supérieurs plutôt que de s’obstiner à rester à fond de cale en seconde ou troisième. Dans le second, les vitesses de passage des rapports de cette nouvelle boîte et leur fluidité sont à chaque fois bluffants et vous laissent bouche bée.
Ce qui me marque, aussi, pendant ces passages dans le mode Sport, c’est cette capacité qu’a la Ferrari Roma à communiquer ce qu’il se passe sur son train avant mais également l’incroyable motricité dont bénéficie le train arrière. En conduisant de façon engagée mais progressive sur les remises de gaz, pneus chauds, la motricité est impossible à prendre en défaut, donnant une belle confiance pour la suite du parcours. Le train avant, bien aidé par la position quasiment centrale avant du V8, est incisif, léger et précis, se plaçant parfaitement et ne montrant que peu de limites. Tout cela semble rendre l’auto plus petite qu’elle ne l’est et on se surprend à la conduire comme une GTi. Il ne faut simplement jamais omettre qu’elle pèse tout de même 1600 kg mais sait parfaitement les faire oublier grâce à l’élastique toujours tendu qu’est son moteur et à son freinage indestructible.
Non, vraiment, il n’y a strictement rien à jeter dans le mode Sport de la Ferrari Roma, qui fait tout parfaitement bien. On va vite mais on y va bien, en recevant tous les retours nécessaires à une conduite sportive. L’impression d’en faire trop n’arrive jamais tant la voiture se comporte admirablement, même sur les routes bien sélectives et très sinueuses de mon essai. Suspension et direction semblent toujours travailler ensemble, la première stabilisant parfaitement la caisse et la seconde s’obstinant à viser toutes les cordes que je veux bien lui donner ! L’excellente visibilité périphérique mentionnée en introduction aide également à bien positionner l’auto sur la route et à se sentir en confiance quant à son encombrement réel et surtout, à sa largeur qui reste conséquente. Le résultat est là : du plaisir, beaucoup de plaisir, sans trop en faire, avec ce V8 qui fait l’élastique et vous jette d’un virage à l’autre avec gourmandise.
L’essai pourrait s’arrêter là et il serait parfait, sauf qu’il reste encore un mode sur le manettino. En effet, Ferrari a choisi de doter la Roma d’un mode Race qui n’était jusqu’alors pas présent sur les gammes « moins sportives » de la marque. Les seuils d’intervention de l’électronique sont évidemment repoussés et il faudra donc garder en tête que des virgules de gomme sont largement possibles… mais il faudra y aller à grosses louches car une fois encore, la motricité va très bien sur la Roma. Le gain apporté par ce mode est toutefois bien tangible et nécessite de dégoupiller légèrement la caboche pour en tirer profit et amusement. Le moteur semble largement plus explosif, les rapports claquent à la vitesse de l’éclair et les points de freinage semble à la fois beaucoup plus près des cordes et beaucoup plus loin, les vitesses atteintes devenant rapidement affolantes.
Si la Ferrari Roma, jusqu’à présent, avait montré toute sa civilité en mode Comfort et sa maîtrise de l’engagement et du plaisir mécanique en mode Sport, elle montre en Race qu’elle est bel et bien un pur-sang comme je l’annonçais plus haut ! La rage, l’explosivité, sont aussi au répertoire de la Roma et si ce n’est pas son domaine premier, elle sait faire et elle sait bien le faire, avec une direction toujours idéale, une boîte stupéfiante et un freinage toujours rassurant. La limite, c’est assurément le conducteur et le fait qu’il évolue essentiellement sur routes ouvertes. Les montées successives à 7500 tr/min nécessitent une immense concentration et une visibilité lointaine pour être réalisées mais quand toutes les planètes s’alignent, l’illumination est là. Quelle incroyable machine.
On sort de telles sessions quelque peu essoré par les capacités de cette auto à plusieurs visages. Chaque mode a le sien et ce qui est brillant, c’est qu’elle les porte tous à merveille, répondant aux envies du conducteur en un petit claquement du manettino. Il est important de basculer de l’un à l’autre, de ne pas abuser de cette furie qu’est le mode Race, de savoir apprécier le Confort et de passer un maximum de temps sur le réseau secondaire en mode Sport, à l’équilibre si juste. La Ferrari Roma est une Ferrari et une voiture sportive moderne réussie. Elle sait tout faire, sans compromis ou compromission. Elle réintroduit aussi une immense dose de grâce dans la gamme du constructeur avec une ligne incroyable qui vieillira sûrement à merveille. C’est à mon sens un futur classique et si des progrès sont attendus du côté de l’interface, elle coche par ailleurs toutes les cases de l’excellence sportive automobile, sans notion de concurrence possible.
Des éloges simples, avais-je annoncé. Voilà qui est fait.