2h35. C’est l’heure qu’affiche mon téléphone alors que sa sonnerie résonne rapidement dans la chambre. J’ai pris ma décision le jour d’avant, en observant avec attention les prévisions météorologiques du toit de l’Espagne, le Pico Teide. 0°C. Très peu de vent et quelque chose comme -2 ou -3°C ressentis, avec par ailleurs un temps normalement dégagé sur l’ensemble de la journée. Je m’étais dit que le 1er Janvier serait la date idéale mais la météo était un peu plus froide et ma motivation également ! Alors, le deuxième jour de l’année, c’est un bon compromis. Même s’il est 2h35, que j’ai dormi cinq heures au maximum, que mes yeux piquent et que mon corps me hurle de me rendormir.
3h00. Je suis vaguement opérationnel. Les gamelles préparées le soir précédent sont dans le sac, je me suis équipé de sous-couches datant de la Laponie, j’ai un softshell pour l’ascension, une veste à peu près chaude si jamais il fait trop froid là-haut, des sous-gants et des gants également, deux litres de flotte et surtout, un t-shirt de rechange enfin. Par je ne sais quel miracle, j’ai réussi à avaler un vague petit-déjeuner et même un café ! Encore plus miraculeux, mes lentilles de contact ont bien voulu se coller à mes yeux alors qu’à cette heure-ci, ces derniers ont plutôt tendance à les rejeter avec vigueur. Je m’installe au volant, fais un dernier tour mental de tout ce que j’ai dans le sac et mets le contact.
4h00. J’ai doublé deux ou trois voitures à la montée, entre Los Realejos et le parking de Montana Blanca, où la randonnée d’ascension du Teide commence. Nous allons très certainement au même endroit et je sais le nombre de places assez limité. Je ne roulais même pas vite, soit dit en passant, ils étaient simplement très lents. Je double une dernière voiture à la frontière du parc du Teide et quelques kilomètres plus tard, arrive enfin à destination. Il reste… une place sur le parking principal, sans avoir donc à caler la voiture tant bien que mal, en solitaire, sur le bord de la route et en espérant ne rien abîmer par cette nuit noire, la lune ayant décidé de passer à une autre de ses phases. Cela commence plutôt pas mal, cette ascension, mais l’appréhension de le faire en solitaire et pour la première fois reste intacte.
4h05. Premier selfie. J’ai des yeux de lapin radioactif et la frontale, réglée sur la lumière minimale pour ne pas trop gâcher la nuit noire, brille également en rouge. 4h44. J’atteins les « oeufs » du Teide, je les distingue à peine dans la lumière de la frontale. 4h58. J’atteins la bifurcation entre le sentier de Montana Blanca et l’ascension du Teide. Il reste 4,8 km à parcourir et surtout un gros bout de dénivelée positive ! Mon corps réagit bien pour le moment. Le passage des quelques 800 m d’altitude de mon logement à 2000 m du parc du Teide n’est pas sans impact sur le corps et je suis content de n’avoir pas logé au ras des flots, auquel cas l’élévation brutale peut vraiment vous mettre par terre. Les premiers 1000 m de dénivelée qui suivent passent également tout seul. Je suis en sous-couche et softshell, avec des sous-gants en mérinos pour les mains. Sous le pantalon de randonnée, une sous-couche également et très clairement, je n’ai pas froid, j’oscille entre le frais et le chaud car l’effort reste important, surtout après une grosse quinzaine de journées à randonner matin, midi et soir.
5h50. Une heure plus tard, je suis au refuge, à 3260 mètres d’altitude. Il reste 2 km, 1 heure de grimpette et la pente annoncée est de 16%. Jusqu’ici, tout s’est bien passé. J’ai fait une bonne partie de l’ascension seul, observant au dessus et en dessous de moi un certain nombre de frontales, une vingtaine peut-être. Je croise un peu plus de monde à présent. Ceux qui ont dormi là mais ils sont finalement peu nombreux, se mettent aussi en route pour atteindre le sommet pour le lever du jour et pour en redescendre afin qu’un permis ne soit nécessaire. L’accès au pic du Teide est en effet réglementé, l’endroit étant sensible, contraint et par ailleurs… actif volcaniquement parlant ! La solution de l’ascension nocturne est donc un bon moyen pour ne pas réserver une place pour une journée de mauvais temps, elle permet de s’adapter à ses envies. Ceci dit, le coucher de soleil doit également être assez sympathique. Enfin bref, je digresse. C’est à ce moment-là que la montée devient raide car il reste un gros 500 m de dénivelée mais ils coûtent un peu plus cher à cette altitude.
6h35. Le sentier, toujours globalement très lisible pendant l’ascension précédente, reste parfaitement dessiné pour la dernière section, peut-être un peu plus même. Me voici au téléphérique du Teide, à 3555 m et il me reste à gravir le pain de sucre, le cône volcanique sommital de ce géant océanique qu’est le Teide. Les 163 derniers mètres d’ascension nécessitent, comme les quelques centaines précédents d’ailleurs, de petites pauses régulières. Je ne me sens un peu moins en forme olympique à dire vrai et mon coeur s’emballe quand je tire trop longtemps, aussi je préfère ralentir, respirer 10 secondes le temps que mon cardio se stabilise à 140 bpm avant de reprendre l’effort. Le sommet reste finalement facile à atteindre quand on a déjà fait l’essentiel et m’y voilà. Je ne sais pas quelle heure il est mais je suis là un peu trop tôt, je suis monté finalement trop vite !
7h00. L’aurore commence à poindre si mes souvenirs sont exacts. Ma première photo avec le téléphone, impossible d’en faire sans trépied avec le reflex, date de 7h10. L’île de Gran Canaria se découpe dans une lueur orangée transitant ensuite vers des nuances extrêmement variées de bleu, c’est tout à fait exquis. A 7h24, la vingtaine ou trentaine de forcenés que nous sommes commence déjà à y voir un peu plus clair et je suis bien content d’avoir emporté une veste et des gants et un change de t-shirt ! J’ai toutefois… froid. Il fait pourtant « seulement » 0°C et il n’y a pas de vent. Quelle bonne idée de ne pas être monté là quand étaient annoncés -10°C ressentis ! Toujours est-il que la prochaine fois, il faudra que je m’équipe un peu mieux et ça tombe bien, je reviens de trois mois en Laponie suédoise…
7h40. Le soleil commence à poindre mais l’ombre du Teide n’est pas encore visible. Il faut attendre 7h54 pour que ce soit le cas et que le cône, bien visible, vienne recouvrir La Palma. C’est incroyable, absolument incroyable. La Gomera et El Hierro baignent dans une lumière pastel, posées sur un océan luisant comme de l’huile. Le ciel prend toutes les teintes de rose, orangé, jaune et or avant de virer doucement mais sûrement vers un bleu plus uniforme, minute après minute. Le soleil qui frappe désormais franchement le sommet commence à réchauffer les présents et certains commencent à redescendre. Je pousse pour ma part le plus loin possible afin de savourer un maximum la vue imprenable tout en gardant en tête le fait de devoir rejoindre la zone non protégée à 9h au plus tard.
8h25. Je commence à descendre, il faut bien m’y résoudre ! J’arrive un peu avant 9h aux portes de la zone réglementée, où les rangers commencent à arriver via les premières montées du téléphérique. Le pain de sucre du Teide prend la lumière encore chaude du soleil mais le fond de l’air est encore bien loin de l’être, il faut rester actif pour ne pas trop se refroidir ! Je profite de ma montée sur zone pour aller admirer les différents miradors qui étaient fermés pour cause de neige lors de ma seule ascension du Teide, en téléphérique. Il y a celui de la Fortaleza, splendide, du côté est du volcan. Y accéder coûte une petite redescente mais ce n’est pas bien grave, au point où j’en suis…
9h00. Je m’étais laissé la possibilité, psychologiquement parlant, de faire la descente par le chemin d’ascension mais me sentant encore bien en forme, j’ai choisi l’autre option ! A savoir le sentier faisant la jonction entre le Pico Teide et le Pico Viejo, ce sublime volcan découvert deux ans auparavant lors de ma dernière journée sur place. Le sentier part du téléphérique pour rejoindre un autre mirador, effectivement magnifique avec le Viejo qui se détache sur fond d’océan avec La Gomera, La Palma et El Hierro à l’arrière plan. Incroyable, cette vue, encore ! C’est ensuite parti pour une longue descente vers les abords du Pico Viejo, l’occasion pour moi de compléter mon ascension par le « vrai » sommet du volcan Viejo car je l’avais raté la dernière fois !
10h30. Les retrouvailles avec le Pico Viejo sont un bonheur et, même s’il y a encore un vent à décorner les cocus sur place, je me trouve un petit coin abrité au bord de sa caldeira, avec vue sur ses sables et pierres de couleurs incroyables et les îles voisines. Encore un peu et je me faisais une sieste mais j’ai eu peur de me réveiller beaucoup trop tard et beaucoup trop cramé par le soleil à cette altitude ! La pause déjeuner était en tout cas bien nécessaire et c’était le parfait endroit pour la faire, avant d’entamer une longue, très longue descente jusqu’aux Roques de Garcia. En chemin, de multiples et massifs « oeufs » de lave, quelques jolies vues de la caldeira mais surtout une descente en mode automatique, en cherchant un peu de vitesse pour vite retourner à la maison faire la sieste…
13h00 environ. Je dépasse les Roques de Garcia pour retrouver le parking du parador nacional… Le Teide est toujours là, dominant la caldeira. Son pain de sucre me semble si lointain, tandis que je me pose à l’ombre d’un panneau pour avaler ma gamelle de dessert (papaye locale mon amour) et attendre le prochain départ de bus qui m’emmènera au parking de Montana Blanca. J’aurais tout aussi bien pu boucler à pieds… ou faire du stop… mais franchement j’avais une flemme du diable et j’avais envie de rester là, à observer cet incroyable sommet, enfin conquis. Ce sentiment, là, cette conquête de l’inutile, ça n’a pas de prix et j’en redemande. Rendez-vous est pris pour l’année prochaine.