Audi Endurance Experience – les larmes d’une nouvelle Finale

Novembre 2015. L’épreuve de sélection au Mans d’une nouvelle saison de l’Audi Endurance Experience. Janvier 2016. La finale en Laponie, une surprise, des sensations uniques et un goût très particulier. C’était censé s’arrêter là. Pour de bon. Une splendide histoire, une expérience unique, réjouissante.

Novembre 2016. Je suis à Barcelone. C’est une Finale, encore. L’Audi Endurance Experience, encore. Qu’est-ce que je fous là ? On a rembobiné d’un an et changé de lieu ? Il fait meilleur, ça fait plaisir… et tiens, je connais cet équipage, c’est celui qui a participé à la finale de l’édition 2014, en Laponie déjà. Qu’est-ce qu’ils foutent là, eux aussi ?

Mon agenda indique bien 2016. Les finalistes de 2015 sont là. Ceux de 2014 aussi. Des potes de longue date, des gens adorables que l’on croise rarement, engagements professionnels respectifs obligent, circonstances de projet et de vie obligent aussi. Nous sommes là pour nous affronter, finalistes contre finalistes, heureux une fois, malheureux une autre. Nous sommes là pour être ensemble aussi, pour vivre, retranscrire et envoyer un maximum d’émotion à celles et ceux qui n’ont pas pu être là.

Jean-Charles, Saâd, Arnaud et Kwamé. Antoine, Thomas, Nicolas et moi. C’est (re)parti pour un #Audi2E.

La soirée est calme, forcément. Après un briefing exécuté de main de maître par les équipes Oreca toujours en charge de l’organisation pour Audi de cet évènement unique en son genre, nous voici en balade entre le sommet de notre hôtel, le W et le restaurant Ultramarinos sur la Rambla de Barcelone.

L’ambiance est à la joie, matinée d’un zeste d’appréhension. Le programme du lendemain est connu : une arrivée aux aurores sur le circuit de Catalunya, les retrouvailles avec nos teams managers, respectivement Benoît et Steven, les retrouvailles avec nos numéros de voiture aussi, 310 et 300. La suite, vous la connaissez aussi : des roulages libres, des essais ensuite puis un tirage au sort de la grille de départ et enfin la course.

Six heures sur un circuit de F1, ou plutôt de MotoGP puisque l’organisation a choisi la configuration « méchante » de ce tracé bien connu du cirque de la compétition mécanique, oubliant la chicane coupant la vitesse des F1 au profit d’un beau droite donnant ensuite sur le dernier droite du tour et la ligne droite. Une version gros cœur pour les motards. Une version piégeuse et plus usante pour les pneus pour les pilotes d’endurance que nous serons le temps d’une journée supplémentaire d’Audi Endurance Experience.

Il est temps pour l’ensemble des équipages, y compris les deux nôtres, de rejoindre leurs chambres pour une courte et quelque peu anxieuse nuit. De quoi demain sera-t-il fait ? L’enjeu pour la plupart était de rejoindre la finale et cet accomplissement est réalisé. Il n’empêche, chacun aura forcément à cœur le lendemain de dominer sa catégorie et, qui sait, de remporter le général et le trophée Michel Raffaelli. On ne se refait pas.

Le lendemain matin donc, me voici sur le circuit de Catalunya. Les voitures sont alignées, le soleil se lève tout juste et reste masqué par le paddock et les tribunes qui lui font face. Benoît et Steven sont là, la mine triste. Encore ces fichus blogueurs ! En plus, leurs voitures sont floquées de @ ! Mais quelle drôle d’idée !

Bon, la réalité c’est qu’ils ont le sourire, que nous ici, qu’on sautille comme des gosses mal réveillés et qu’on se rue bien vite dans le stand pour en prendre possession, l’œil encore un peu humide de voir son nom et son pseudo sur une voiture de course, la fameuse Audi A3 1.8 TFSI de 180 chevaux que l’on commence à bien connaître.

La lumière est incroyable à cette heure matinale. On a à dire vrai presque plus envie de se balader pour humer l’ambiance que de s’équiper. Il le faut pourtant car la matinée va vite passer ! Gants, cagoules, casques, HANS, bottines, chacun de nous quatre monte dans l’auto pour trouver le réglage idéal pour tout un chacun.

Pas le temps de se poser une seconde, Steven s’installe dans le siège du pilote pour deux tours embarqués avant de nous laisser le volant. Antoine, Thomas et Nicolas partent les premiers. Je me glisse en tout dernier dans l’auto, aux côtés d’un Steven concentré et professionnel au possible. L’enjeu, tout de même, se dessine. On ne se refait pas.

La ligne des stands est limitée à 45 km/h. Interdiction de dépasser. Il faut se mettre sur un filet de gaz en trois jusqu’à la ligne de sortie, tomber un rapport et mettre plein gaz. L’allure des voitures qui longent la bande blanche de sortie de stands est impressionnante. On a beau se mettre en vitesse, eux déboulent à presque 200 km/h. Hors de question pour eux comme pour nous de mordre cette ligne de vie. Certains le feront et se feront copieusement réprimander.

Bout de ligne droite. Frein et premier pif-paf droite gauche sur une belle remontée avec un trèèèèès long droite. Il faut un peu sacrifier la vitesse d’entrée du pif-paf pour assurer une belle vitesse tout du long du droite. On arrive ensuite sur un droite resserré et un gauche qui s’élargit, en descente. Nouveau pif-paf très intéressant avec une belle montée. Hors de question ici aussi d’être trop ambitieux à moins de vouloir déclencher l’ESP et bouffer du frein, du pneu, du temps.

Le droite en remontée est intéressant et conditionne la petite ligne droite sur angle droit à gauche et second gauche dans la foulée, avant un droite qu’il m’aura fallu… 6 heures pour bien prendre ! Deux virage à droite de plus avec dans un cas un soulagement et dans l’autre un léger frein et le tour s’achève par la gigantesque ligne droite de 1.3 km. Rater les deux droits est synonymes de ratage de ligne droite. Sur 1.3 km, ça compte vite pour beaucoup.

Bordel, il est technique, ce circuit. Voilà ce que je me dis en sortant du baquet de droite pour glisser aussitôt dans celui de gauche, Steven faisant l’exercice inverse. Quelques tours pour apprendre, engranger tous les conseils en terme de projection du regard dans toutes ces longues courbes dont l’issue reste invisible jusque tard.

Le freinage du bout de ligne droite me pose problème, j’ai du mal à bien poser mon dégressif. Même chose avec ce fichu droit avant les deux enchaînements rapides menant à la ligne droite. En revanche, pour ces derniers, ça va. Même chose pour le pif-paf en remontée du milieu du circuit et pour le frein de la petite ligne droite.

Il y a du bien, du moins bien. J’ai du mal à me réveiller, à me remettre dans le bon rythme en terme de projection du regard. Comme d’hab’ à dire vrai, je commence à me connaître sur les circuits !

Steven continue ses tours en passager avec chacun d’entre nous. Toujours autant de conseils, de patience, de pédagogie. Je mesure le chemin parcouru depuis un an avec lui, entre mes premiers tours au Mans, la Laponie et maintenant Barcelone. J’ai beaucoup appris, je roule mieux, nous roulons tous mieux à dire vrai et nous faisons toujours corps.

Les essais libres sont en cours. Les relais s’enchaînent et les chronos commencent à tomber. A chaque changement de pilote, nos réflexes reviennent, ceux-là même qui avaient fait la différence sur la première course du Mans : un à la sucette, un à l’ouverture porte, le siège mis en butée arrière et l’extraction à la main du pilote, un enfin pour s’occuper du nouveau pilote, les sangles, le harnais, le HANS. Moins d’une minute, largement moins. De quoi assurer quelques secondes de calme et de concentration supplémentaires au nouveau rouleur.

Steven donne le go. Go go go. Accélération à pleine charge jusque 45 km/h. Patienter ensuite. Envoyer du lourd juste après et rouler propre, propre, propre. Nos chronos ne sont pas mauvais, voire même plutôt bons par rapport aux autres extra-teams. Si les équipes 300 et 310 sont censées s’affronter, elles affrontent aussi les voitures d’Audi France, de Dunlop et de la Presse. Sept voitures, trois places seulement sur le podium final.

Les essais sont désormais terminés. Du côté de la voiture 300, je crois que nous sommes plutôt contents et confiants quant au fait de pouvoir aller embêter les autres extra teams mais il faut d’abord passer par la case briefing et celle, plus délicate, du tirage au sort.

Briefing. Encore de main de maître par Oreca et avec quelques mots bienvenus du patron d’Audi France. La tension dans la salle est palpable. Tout un chacun est attentif, oscillant entre le sérieux et les rigolades salvatrices aux différentes blagues destinées à dédramatiser le tirage au sort à venir !

La main innocente arrive. Les petits billets de papier sur lesquels sont notés les numéros des équipes sont sortis un à un de l’urne. Je me souviens qu’en Laponie, le tirage ne nous avait guère état favorable. En sera-t-il autrement cette fois ? 24 voitures. 10 déjà passées. Rien. 12, mi-grille. Rien. 15. Rien. P.u.t.a.i.n.

20. Le haut de la meute. Les copains de la 310 ont déjà été tirés, tout comme les autres extra-teams. Il ne reste que nous et trois autres équipages. Mes épaules sont nouées, celles de Thomas, Nicolas et Antoine ont l’air de l’être aussi, les sourires sont en tout cas un brin crispés, loin des couillonneries habituelles.

Trois. Deux. Un. Il reste un ticket dans l’urne et c’est le nôtre. Pôle position. Les autres se retournent vers moi et me disent, goguenards : « alors, t’es prêt pour un nouveau départ ? ». Les petits cons. Le pire, c’est que Steven confirmera plus tard, autour du déjeuner servi au réceptif de l’Audi Endurance Experience. J’ai gagné le droit de mener la danse, devançant 23 voitures au premier freinage.

Je ne sais pas ce qui est le pire. Partir au milieu de la meute au Mans, sous la pluie et de nuit ? Ou bien en Laponie là-aussi au milieu et avec l’objectif de remonter le plus vite possible sur ceux de devant ? Ou là, sur le circuit de Catalunya, avec 23 pilotes dont les couteaux coincés entre les dents brilleront de mille feux dans mon rétroviseur. Il paraît que partir de la pôle position est le plus confortable. Mon estomac, mes lobes cérébraux et mes mains me disent un peu le contraire alors que je déjeune, léger, très léger.

C’est donc décidé, ce sera moi au départ, suivi de Antoine, Thomas et Nicolas. On enchaînera ensuite, à priori pour un second relai qui sera le dernier. 40 minutes chacun à chaque fois, deux relais avec passage au stand à caler au mieux en fonction de l’état de la jauge d’essence, de l’usure des pneus et plaquettes. La principale inquiétude ? Les pneus. Plus exactement le pneu avant gauche. Certaines équipes en ont déjà changé un sur les simples essais libres…

Je suis installé. Antoine, Thomas et Nicolas viennent me prendre la main d’une poigne virile (oui oui je vous assure) avant que Steven n’en fasse de même. J’ai mes lunettes de soleil, c’est bien pratique pour ne pas leur montrer que mes yeux brillent quelque peu, d’émotion déjà et d’un gros zeste de trac.

Devant moi, une Audi R8 V10 Plus avec Fred Rouvier à son bord. Juste devant moi ? Hugues de Chaunac. Le fondateur de Oreca est une légende de la compétition automobile, un grand Monsieur que j’admire sincèrement et le voilà qui va me faire signe de partir pour le tour de formation.

Que de chemin parcouru depuis 1973, que de réussites, de déceptions, d’injustices et de succès tonitruants, c’est à tout ça que je pense pour me vider le crâne. Merci Mr de Chaunac, vous m’avez permis de me calmer un peu juste avant le départ !

Le tour de formation me rappelle celui du Mans, si ce n’est que c’est moi qui suit l’Audi R8, donnant un peu le rythme, observant dans mes rétroviseurs le comportement des autres, leur alignement aussi, nécessaire pour que le départ soit autorisé. C’est un peu brouillon de ce que je vois, moins bien aligné que ce que j’ai pu voir et vivre au Mans. Va-t-on partir pour un second tour ? Il faut attendre le dernier moment pour le savoir. La R8 se jette au dernier moment dans les stands.

A partir de cet instant, c’est moi qui mène vraiment la danse. 60 km/h maximum, je suis en troisième, sur un filet de gaz, je sens la pression venant de derrière, les couteaux que l’on affûte, le sang qui bouillonne. Le mien a dépassé ce stade, on est plutôt dans le vapor lock, dans l’évaporation complète, je scrute les feux bloqués sur la couleur rouge, la ligne de chronométrage approche et je descends d’un rapport pour être dans la bonne plage de régime.

Vert.

Vert, putain c’est vert, gaz gaz gaz. Ne pas réfléchir, claquer les rapports au régime de puissance maxi, bien avant le rupteur. J’ai pris un peu d’avance, un départ correct mais le premier freinage arrive, je suis à 160, 170, je ne me souviens plus. Je ne répète que tout ne va pas se jouer ici, que tout ne DOIT pas se jouer ici, il y a six heures de courses à vivre, à tenir. Steven a été très clair, depuis ce mois de novembre 2015 et je m’y tiens.

Je sens que la voiture juste à côté de moi est légèrement remontée, elle est pile dans mon angle mort et se trouve par ailleurs à l’intérieur du premier virage. Je reste à l’extérieur et freine, je la sens freiner plus tard, me dépasser. Alors je dose et me cale sur elle. Il faut maintenant tourner, la suivre, remonter ce fameux pif et paf et ce fantastique long droit que l’on aborde en deux temps.

Tourner le volant à droite à ce moment-là tient du pari, de la gageure. Ai-je quelqu’un d’autre dans mon angle mort ? Quelqu’un va-t-il tenter la manœuvre suicide, stupide, gâcher la course ? Allez, braque, mon con. Personne. Les premiers tours s’enchaînent sans problème. Certains ont clairement prévu de changer des pneus et je les laisse passer, me calant sur un rythme qui me semble être bon.

Premier relai, premier passage au stand. Je suis en eaux, trempé, je sue comme un petit goret (sportif, quand même, me dis-je, pour me rassurer) dans ma combinaison. Il doit être 14h20 ou quelque chose de ce type et je ne sais absolument pas où j’en suis du classement si ce n’est que je n’ai pas laissé passer grand monde ! Peut-être deux ou trois voitures ? Où sont les copains ? S’en sont-ils sortis aussi ?

Second relais, c’est reparti, une minute à peine après mon arrêt. Je repars le couteau gentiment entre les dents. Les autres sont encore bien énervés et le rythme assez élevé sur la piste. Je double, ne me fais pas doubler, continue ainsi quand j’entends « pit pit pit » dans ma radio.

Déjà ? Le temps a filé. Je sors de la voiture pour apprendre deux choses : j’ai trop tapé dans le pneu avant gauche, premiers relais obligent et sur-attaque de ma part aussi et surtout. J’ai merdé un poil, là, on est toujours premiers au classement général. Voilà la bonne surprise.

Pour la suite, c’est à Antoine, Thomas et Nicolas de faire le boulot ! Et ils vont le faire, ces petits cons qui me regardaient d’un air goguenard quelques heures plus tôt. Antoine part pour son double relais et tout se passe bien avec des chronos très réguliers. Les pneus ressortent dans le même état que je les ai laissés, une vraie performance.

C’est au tour de Thomas de s’élancer et le constat est le même : de la régularité et du bon rythme ! Quand il rentre aux stands, c’est en revanche la mauvaise nouvelle qui tombe : le pneu avant gauche s’est quelque peu décomposé et a perdu beaucoup de gomme sur ses flancs extérieurs. Nous sommes toujours autorisés à rouler mais il est désormais clair que nous aurons besoin de changer de pneu à un moment dans la course.

La victoire générale semble un peu s’échapper et tout un chacun commence à regarder ce que les autres font. Où en sont les autres voitures en terme d’arrêts et d’usure ? On espionne un peu, on regarde la tête des gommards alors que Nicolas se met en route avec la mission extrêmement délicate de pousser le plus loin possible sans éclater le pneu. Le pire dans tout ça, c’est que la température baisse un peu et que les temps descendent ! Il va vite, le couillon !

Steven est un peu blême, dans le stand. Antoine, Thomas et moi avec. Il force ou il ne force pas ? Il nous dit que non, que ça va. Il n’entend pas le « pit pit pit » à un moment ! Damn ! On a peur de perdre le pneu, d’un coup. C’est arrivé à une autre voiture quelques tours auparavant. Une belle crevaison, un tour au ralenti, tout espoir de bien finir perdu. Et si ça nous arrivait ? Bon, il n’y a pas d’arbres sur ce circuit, alors on est confiants malgré tout. Steven les a tous coupés avant notre arrivée.

Nicolas rentre, tout sourires ! Il ne forçait pas, le pneu est définitivement mort. On change, il a remarquablement géré ! C’est mon tour ensuite, avec encore un peu de jus dans la voiture et un double relais à venir à la nuit tombante.

Je ne sais plus vraiment où nous en étions en terme de classement à ce moment-là, si ce n’est que la 310 était devenue notre pire et notre meilleure ennemie à la fois. Blogueurs 1 et Blogueurs 2 en tête du classement général, en tête des extra teams également, avec des nombres de relais corrects. Le changement de pneus nous a bien fait descendre dans le classement mais de nombreuses équipes en ont fait de même, ce qui a été de nature à nous rassurer.

Dernier relais pour moi, avec une lumière magnifique dans les rétroviseurs ou dans le pare-brise, au soleil couchant. La bonne nouvelle, c’est un gros nuage qui est venu se caler pile devant le soleil, permettant justement de rouler sans être aveuglé à l’heure la plus critique. Par-fait ! Je suis serein au volant, je double, je double, ne me fais pas doubler. Je force moins sur le train avant, j’ai compris la leçon. Mon objectif est de rouler vite et propre pour que les trois copains puissent taper un peu plus dans le pneu ensuite.

Le témoin d’essence s’allume alors, je commence le premier des trois tours autorisés en réserve. Plus, c’est joueur, dira-t-on, mais faisable. Je me dis que je n’en ferai que trois quand Steven me rappelle au pit ! Le timing est parfait, je passe à l’essence, fait le plein. On pourra ne faire qu’un troisième stop et on ira au bout, première mission accomplie, un stop essence ou même un flash d’économisé. Le podium semble acquis.

L’équipe Blogueurs 2 n’a toujours pas changé de pneus. Ils sont devant nous et il est clair qu’ils vont tenter d’aller au bout avec ce seul train de pneus. Nous sommes en tout cas toujours premier et second au classement extra teams et en progression vers le sommet du classement général. Il est également clair à ce moment-là que la victoire pourrait être jouable, le podium du général aussi.

C’est le début de sentiments mitigés qu’on ne va pas chercher à cacher… D’un côté, nous ne sommes pas les premiers. De l’autre, les premiers sont nos amis ! Oui, mais nous ne sommes pas premiers. Difficile de se satisfaire, du moins je crois ne faut-il chercher à se satisfaire à tout prix. Avoir les deux voitures en positions 1-2 serait une énorme satisfaction, pour nous tous !

Sauf qu’une course, ce n’est jamais terminé, cela dure jusqu’au drapeau à damier.

La nuit est tombée, les relais s’enchaînent et la hiérarchie semble se stabiliser. Antoine sort de son double relais frustré alors qu’il n’a aucune raison de l’être. Antoine dans le texte, perfectionniste, exigeant envers lui-même, toujours. Les pneus sont toujours frais pour nous. Il reste Thomas et Nicolas à passer. La pression monte, plus que 1h30 de course et c’est à ce moment-là que la course bascule, à tous les niveaux.

La voiture 310 chute dans le classement, peu à peu. Les teams Presse 1 et 2 semblent vouloir remonter à toute vitesse sur eux et sur nous ! Sur quelle stratégie sont-ils ? Ont-ils changé leurs pneus ? Qu’en est-il des autres voitures autour de nous ? Toutes ces questions virevoltent dans nos têtes alors que ça décante, que ça bouge encore dans toutes les sections du tableau de course.

Thomas sort de l’auto. Les pneus sont encore bons, l’essence est faite. C’est bon pour Nicolas, il peut aller au bout, il faut qu’il aille au bout. Du côté de la 310, c’est confirmé, cela va être dur, très dur, jusqu’au bout. Il faut économiser le pneu à tout prix alors que tout vibre dans l’auto en permanence, au freinage et ailleurs. Le dernier relais va être celui de l’enfer pour nos amis.

Nous sommes premiers en extra team et clairement, nous finirons sur le podium final, sauf grand problème. Il y a de quoi être heureux. Sauf que nos amis, eux, ne sont plus là et risquent fort de ne pas être sur le podium de catégorie. Impossible de se satisfaire de ça et pourtant, c’est la course, nous ne pouvons rien faire pour eux. Nouvelle dose de sentiments mêlés, je crois que je préférais quand nous étions premier et second.

Derniers instants. Les jeux semblent faits. L’équipe Continental du côté des partenaires ne sera pas atteignable. Surtout, l’équipe myAudi 7 est première, sans avoir effectué un seul changement de pneus ! Vont-ils en changer en dernière minute ? La réponse sera non.

La pression monte derrière, nous sommes donc troisième au général. Une myAudi, une Partenaires, une Extra Team. Derrière, les autres partenaires augmentent le rythme dans l’espoir de venir nous chercher. C’est sans compter sur Nicolas qui enchaîne les meilleurs temps en autant de tours. Nous avons douze secondes d’avance. Et douze secondes de retard sur le second. Il faut rester ainsi, jusqu’au bout, ne pas faire d’erreur dans le trafic alors que tout le monde semble dégoupiller en terme de temps !

L’émotion qui monte. Le stress des deux derniers tours. Hugues de Chaunac passe à deux pas de nous. S’il y a bien quelqu’un qui sait que rien n’est jamais acquis jusqu’au damier et que la course peut être d’une violence et d’une injustice absurde et implacable, c’est lui.

J’ai le panneau dans une main. Il est numéroté 300. J’ai le numéro 1 dans l’autre main. Il est hors de question de les mettre l’un avec l’autre avant le dernier tour, le dernier virage du dernier tour. Superstitions. Gestes magiques. Ne pas tenter le diable.

Voilà Nicolas. Il passe sous le damier, c’est bon, le panneau est là pour lui et nous avec à travers les grilles de la ligne droite à hurler comme des demeurés. On se saute dans les bras, les larmes coulent un peu, là. Toute la pression qui part, l’œil et la truffe humide, le sentiment est unique. On a gagné. Oh, pas tout mais notre catégorie et on est sur le podium final !

Je repense à cette finale en Laponie en début d’année. Nous étions bien placés jusqu’à ce que tout bascule. Nicolas a gagné aujourd’hui le droit de ne plus jamais entendre cette fichue blague sur les arbres. Enfin, ça c’est ce qu’on dit aujourd’hui. Lui, Thomas, Antoine, Steven et puis moi avons fait le boulot, de bout en bout. Constants, rapides dans les stands. Bordel, si nous n’avions pas changé de pneus… on aurait tout gagné. C’est la course. Ne rien regretter.

Nous remballons nos affaires, nous évacuons le stand pour rejoindre la zone du podium et récupérer ce fieffé Nicolas qui va devoir garer sa voiture aux côtés des équipages myAudi 7 et Continental pour le podium. Nos amis de l’équipe 310 sont moins joyeux. Le dernier relais fut un calvaire, la dégustation d’une coupe jusqu’à sa lie. Voiture instable, plus aucune confiance. Ils nous ont mené la vie dure pendant toute la course avant cet effondrement. Alors quand je croise Jean-Charles, il y a des larmes dans sa voix, dans la mienne aussi, des frissons dans mon dos. Les larmes de la finale, les larmes de la victoire, les émotions contraires et le bonheur malgré tout d’avoir été là, ensemble.

Podium. Autour de nous, les deux voitures Presse, à plus d’un tour de nous, pourtant si proches. C’est là que je mesure à quel point nous avons bien roulé car ces gens n’amusent pas la galerie quand on observe leurs classements sur toutes les éditions des Audi Endurance Experience. Celle-là sera peut-être la dernière alors il faut savourer ce petit clin d’œil final entre gens qui autrefois se détestaient et désormais se respectent comme le font les blocs complémentaires du grand mur qu’est l’information et la passion automobile.

Les autres catégories défilent aussi sur le podium. L’émotion est toujours là, la joie bien justifiée éclate chez les uns et les autres avant que nous ne soyons rappelés pour le podium final. Il aurait été déplacé d’être premiers pour ne pas recevoir ce trophée Michel Raffaelli, les extra teams ne concourant à juste titre pas pour lui.

Une fois de plus : je ne le connaissais pas mais je crois qu’il aurait été fier de cette équipe myAudi 7 et de sa victoire sans un seul changement de pneus, en enchaînant les tours comme des métronomes et sans massacrer leur monture. Dans Audi Endurance Experience, il y a « endurance » et c’est exactement ce qu’a réalisé cette fantastique équipe. Bravo, messieurs, vous l’avez largement mérité, ce trophée et les regards émus des équipes Audi et Oreca au moment de sa remise.

Après ce podium et ces nouvelles larmes qui s’obstinaient à perler, une question s’est mise à résonner dans mon crâne, amplifiant encore l’émotion d’être là : seront-ce les derniers Audi Endurance Experience ? Le retrait d’Audi du WEC et du programme des 24 heures du Mans semblent le laisser présager et ce serait finalement logique.

La réponse n’est pas encore connue aujourd’hui. Ne présumons de rien car avec l’engagement de la marque en FormuleE, il y aura forcément de belles histoires à raconter. Audi a fait l’histoire du Mans et du WEC pendant de si longues années qu’on ne peut les imaginer ailleurs qu’au sommet dans ce nouveau championnat. De leur côté, les Audi Endurance Experience se sont imposées comme un programme cohérent de cette même histoire incroyable, racontant d’une autre manière l’engagement de la marque, faisant vivre à ses clients, partenaires et à quelques heureux dont je suis fier de faire partie, les émotions de la course automobile.

On répète souvent autour de moi cette phrase de Shakespeare, depuis quelques semaines : « Those violent delights have violent ends. » ! Les émotions des 24 heures du Mans et celles de l’Audi Endurance Experience sont assurément violentes, de nature à nous consumer, à nous exalter. Elles ne peuvent avoir d’autre fin qu’un ultime bouillon d’émotions et de larmes, de sourires et de souvenirs joyeux nés de cette vision d’arrêt, de renoncement et de disparition.

Jusqu’à la prochaine fois. Peut-être.