C’est franchement un peu étrange d’aborder un livre en sachant que celui-ci a été publié à titre posthume… d’autant plus étrange quand on sait que son auteur a décidé de quitter le monde il y a peu, à un âge fort peu avancé. Cette sensation, on a du mal à s’en détacher alors qu’on prend en main le livre et que l’on plonge dedans, dans un univers assez sombre.
Owen Brynmor ne comptait plus retourner dans la Pennsylvanie profonde de son enfance, pays provincial et rétrograde partagé entre « Habits rouges » et « Bataves », autrement dit entre beaufs américains et amish rigoristes. Mais à peine engagé comme reporter au journal local, il décroche un scoop : le retour du Démon de Blue Bail, cette bête mystérieuse qui jadis ravagea la région. À moins qu’il ne s’agisse d’un canular… Or, si son enquête l’amène à exhumer la légende du Kornwolf, ce loup-garou qui hanta l’Europe du dix-septième siècle, elle croise aussi, à chaque pas, la trajectoire d’Ephraim Bontrager, un orphelin muet qui vit en marge de sa communauté religieuse. Mais où s’incarne vraiment le Mal ? Dans un monstre quelconque, ou parmi les humains qui le pourchassent ?
Si le roman est un peu lent à démarrer, c’est parce que l’auteur prend son temps pour nous décrire le contexte très particulier dans lequel se déroule son roman. Il s’agit de l’Amérique profonde, rurale, brute de décoffrage, marquée par la cohabitation entre les menonnites, ces Gens Simples que l’on imagine toujours dans leurs calèches et leurs habits traditionnels, et la population locale, les Anglais. D’un côté, une communauté qui a perdu de son lustre d’antan et s’est quelque peu repliée sur elle-même, se reproduisant en cercle fermé depuis des générations. De l’autre, des américains eux aussi embourbés dans ce qui s’annonce être la crise actuelle. Tous vont être touchés par ce qui est le retour du Démon de Blue Ball, le loup du maïs (Kornwolf) ancestral.
Le début est donc un peu lent… on découvre le portrait de cette Cuvette sans trop y rien comprendre au travers des yeux d’Owen Brynmor, un local sur le retour que l’on devine être une sorte d’incarnation de l’auteur dans son roman. Passionné de boxe, passionné d’enquête et doté d’un sens logique prononcé, celui-ci s’attaque à la couverture de la réapparition du Démon. L’auteur nous entraîne alors dans un imbroglio qui a tout du sac de nœuds ! On passe de point de vue en point de vue, de personnage en personnage et on démêle tant bien que mal les différentes intrigues et relations reliant les protagonistes. Nul n’est au final ce qu’il paraît être, si ce n’est le témoin Owen et celui que l’on sait être une des clefs de l’intrigue, Ephraïm.
Le rythme augmente peu à peu pour devenir étourdissant et il faut resté accroché aux pages pour bien saisir tout le dénouement dont la partie se nomme tout simplement la Curée… L’écriture n’est pas en reste puisqu’elle est excellente et bien traduite, riche de détails, riche de formulations sans tomber dans l’emphase. On referme le livre comme on quitte un tableau de maître, en se disant qu’on l’a très fortement apprécié mais que certains détails nous ont assurément échappé.
Reste la peinture d’une Amérique quelque peu dégénérée et bloquée dans un cul de sac et la merveilleuse relecture du mythe du loup-garou que constitue Kornwolf. On oscille entre fantastique, fable humaniste et enquête policière et j’en redemande ! Les deux autres livres que Tristan Egolf aura eu le temps d’écrire avant de nous quitter semblent donc être deux suggestions de lectures supplémentaires pour les mois à venir.