La sortie d'un tome d'Enki Bilal est toujours un évènement : c'est un fait. Sa trilogie Nikopol, sa tétralogie du Monstre, sans oublier toutes ses oeuvres précédentes, font partie intégrante de l'histoire de la BD élevée au rang d'art, aux côtés d'autres très grands noms qui ont marqué les 50 dernières années.
Alors, voici Animal'z, un essai sur ce que pourrait être le monde, assassiné par le dérèglement climatique, sujet d'actualité s'il en est ! Car le monde que nous connaissons a été totalement assassiné, le "coup de Sang" de la Terre a profondément bouleversé les équilibres mondiaux, chacun cherchant désormais à rejoindre tant bien que mal l'un des quelques eldorados qui paraît-il se trouvent encore à la surface du monde. Existent-ils seulement … ?
Soit, dérèglement climatique, catastrophes mondiales … tout cela est du déjà vu. Là où Bilal se distingue dans ce monde apocalyptique, c'est en abordant une question liée à notre approche environnementale : l'hybridation d'espèces, la transgénèse, sauf qu'il s'agit ici directement d'hybridation de l'espèce humaine avec d'autres animaux. Curieux, dérangeant, étrange, mais qui fait bien réfléchir sur le fait que nous ne sommes après tout que des animaux, luttant pour notre survie.
Enki Bilal nous assène donc ce monde apocalyptique à la gueule avec son dessin caractéristique, variant ici autour du gris. Quelle couleur infâme que le gris : gris brouillard, gris marin, gris peau, gris mécanique, Animal'z regorge de gris, nous plongeant dans une atmosphère étouffante, une atmosphère de fin du monde. Mais là où tout aurait pu être gris opaque, le dessin de Bilal regorge de détails, de quelques fulgurances rouge vie/sang, et se nourrit aussi du discours des personnages dont on suit l'avancée.
Du tueur hybride au savant génial, en passant par les duelistes nihilistes, c'est toute une brochette de personnalités variées que l'on croise et qui s'entrechoquent, se trahissant pour mieux s'allier et tenter d'atteindre ainsi le but commun. Drôle de panorama d'une humanité à la dérive et qui oscille toujours entre son penchant destructeur et son penchant humaniste et sociable.
Cette BD est en théorie un one-shot. L'ambiance atroce qui en ressort me convainc que c'est là une bonne idée … mais les idées abordées, et ce dessin, et tout ce qu'il y a encore à creuser me font regretter ce choix.
Qu'importe, Bilal reste fidèle à son credo : un dessin exclusif, une histoire retorse, des personnages ne répondant à aucun critère et toujours une belle part de réflexion sur ce que nous sommes, pauvres humains. Une BD à avoir, parce que c'est Bilal, mais aussi pour tout ça.