Ad Noctum, Les Chroniques de Genikor – Ludovic Lamarque et Pierre Portrait

Une belle couverture qui me parle, une quatrième un peu aguicheuse, deux noms totalement inconnus : je ne savais pas trop quoi penser de ce roman écrit à quatre mains par deux auteurs issus de domaines créatifs, à savoir la photographie et le graphisme. Disons plus simplement que j’étais prudent, ne sachant pas trop sur quel pied danser, comme toujours dans le cadre d’un premier roman me direz-vous !

Grâce à sa large gamme de produits, summum de l’ingénierie génétique – clones, androclones, prosticlones, hybrides, thérapies géniques -, Genikor répond à tous vos besoins, devance tous vos désirs. Pour vivre le meilleur sans avoir à redouter. Le pire, laissez-vous tenter par nos clones de plaisir. Pour l’ennui, osez une de nos chasses Zaroff, sur les traces d’une manticore ou d’un cro-mag. Pour la guerre, envoyez nos satyres la gagner à votre place. Même pour la mort et la pénurie d’eau potable, Genikor a une solution. Chaque jour nous donnons la vie. Avec AD Noctum, Ludovic Lamarque et Pierre Portrait nous présentent, non sans humour noir, la multinationale génétique de demain, en route vers le rêve de tout un chacun : beauté et immortalité. Un rêve qui ne sera pas donné à tout le monde.

Ces Chroniques de Genikor, car il s’agit bien de chroniques, s’étalent sur plusieurs générations de personnages tous liés les uns aux autres par un quelconque ancêtre commun. La filiation, avec en filigrane l’influence plus ou moins diffuse de Genikor, sert de trame à autant de nouvelles qui vont servir à présenter telle ou telle invention de la multinationale reine de la génétique. Disons que ce roman est à la fois décousu et bien construit et cohérent. Le lecteur se retrouve balancé d’une histoire à l’autre, à la fois émoustillé par les nouveaux thèmes abordés et rassuré en cherchant et trouvant le lien avec la ou les nouvelles précédentes. Déroutant.

Cela commence avec les satyres, machines de guerre et chimères à la fois, réflexion sur l’usage de la guerre régressive face à la Chine, sale, à l’ancienne, faite de massacres et de viols alors que le côté opposé utilise quant à lui avec bonheur le contrôle climatique. On continue avec les clones destinés à un usage sexuel en observant la vie quotidienne des Cités-Dômes, sobre, sans intérêt, mélange de survivance et d’obligations sociales. La Terre ravagée n’invite pas trop à la balade, plutôt à la chasse et c’est bien ce que l’on découvre dans une autre chronique avec les Cerbères et autres hommes de Cro-Magnon. L’ensemble est un mélange de quêtes identitaires et de réflexions et élucubrations sur la génétique, ses dérives et son impact sur l’humain.

L’écriture est généralement belle même si la méthode narrative change régulièrement. Le contenu est quant à lui un peu inégal, certaines nouvelles étant particulièrement puissantes et violentes, d’autres plus contemplatives et moins chargées émotionnellement. Genikor se fait en tout cas de plus en plus présente, de plus en plus odieuse, de plus en plus obsédante et inhumaine, gérant l’humain, lui dictant son « Genikor way of life » et le coupant de ses racines. L’ensemble est surprenant et réserve un gros lot de surprises, beaucoup d’émotions aussi pour certaines, toujours des chutes marquantes, parfois inattendues.

Je suis très satisfait de ce que j’ai lu et de l’impression de force qui se dégage du roman, mais aussi partagé car j’en voulais plus. J’ai souffert de la frustration de la nouvelle, vous savez, celle que l’on lit et qu’on souhaiterait voir étendue à un roman de 500 feuillets. Mais j’ai aussi souffert de la frustration du roman où l’on repère des idées succulentes mais où l’on voudrait une trame plus construite, pas un méli-mélo oscillant en permanence entre le roman et les nouvelles indépendantes. Ludovic Lamarque et Pierre Portrait ont donné naissance à un univers puissant, intéressant et propice à l’écriture autour des thématiques qu’ils semblent affectionner : la vie, l’humain, la génétique, notre rapport aux autres et au reste de la planète et ainsi de suite. Certaines de ces nouvelles mériteraient une seconde vie, un roman dédié qui intégrerait plus légèrement les thématiques des autres « chroniques »… Si d’aventure les auteurs (et l’éditeur) souhaitaient se lancer dans une telle affaire, je leur en saurais gré !