Les visites Versailles Intime sont, avec désormais trois années d’existence, l’un des rendez-vous que j’attends avec le plus d’impatience dans l’année. Cette fois-ci, nous avons pu découvrir un lieu qui devrait ouvrir très rapidement au public ; plus exactement le 2 février et le 2 mars 2014, de 12h à 17h, gratuitement ! Ce lieu, ce sont les Petites Écuries du Roi.
Sises en face de la Place d’Armes, les deux Écuries, Grandes et Petites, ont été construites à la même époque et dessinées par le même architecte. Toutefois, là où les Grandes abritaient les chevaux du Roi, les Petites servaient essentiellement aux chevaux « utiles », tels ceux tractant les voitures de la noblesse. Des stalles, du foin et autres joyeusetés équestres, il ne reste rien sinon la grandeur du bâtiment. Une statue monumentale nous accueille alors que nous découvrons les lieux. Des statues bordent la première grande allée menant à la rotonde… Qu’est-il donc arrivé aux Petites Écuries ?
L’explication vient en marchant alors que l’on progresse silencieusement, quelque peu impressionnés par le silence de cathédrale qui règne ici. Silence, majesté, regards des statues… Cette visite a un petit goût particulier par rapport à toutes celles que nous avions pu faire dans le domaine de Versailles. Nous sommes bien évidemment à Versailles, nous admirons certaines de ses merveilles et tout à la fois nous découvrons une autre de ses multiples facettes, non moins intéressante et fascinante que les « traditionnels » Grands Appartements.
Depuis quelques années, les Petites Écuries hébergent en effet un trésor inestimable ! D’un côté, de nombreuses copies de statues illustres ; de l’autre d’autres copies utilisées par les étudiants dans leur étude du Beau et enfin, au milieu de tout cela : des originaux. Fabuleux. Inaccessibles habituellement.
Avant de parler de ces merveilles, je vais m’attarder sur ma déambulation le long de ces deux allées fascinantes et dérangeantes à la fois. Il n’est pas rare qu’une statue vous marque, vous touche, vous donne l’impression d’être… observé ; quand bien même vous êtes l’être de chair et de sang et qu’elle n’est que bois, pierre ou plâtre. Imaginez-vous au milieu de ces dizaines de moulages, de sculptures, certaines identiques, certaines en parfait état et d’autres marquées par le temps. Imaginez que vous avez sous les yeux quelques centaines d’années d’histoire de l’Art, quelques pièces tout juste sorties des Jardins ou bien évacuées après une dégradation et vous comprendrez mon sentiment. Ces Petites Écuries, de prime abord austères, ont une vie propre. L’ambiance est comme je le disais précédemment très particulière, un mélange de mausolée, de cathédrale, de cimetière et de bal masqué. J’aurais pu rester des heures et des heures à déambuler ici, en quête de détails et de perspectives clonées, la tête parfois tournée vers le gigantesque plafond de la rotonde et ses imposantes colonnades remontées là.
J’en reviens aux merveilles… Si je vous dis « Apollon servi par les Nymphes » de François Girardon, est-ce que cela vous parle ? Cette œuvre maîtresse, créée en 1666 et composée de 7 statues, servit à la composition de la grotte de Téthys avant d’être déplacée pour composer ce que nous connaissons actuellement comme le Bosquet des Bains d’Apollon. Les statues d’origine, accompagnées des Chevaux du Soleil, sont toujours présentes dans les jardins mais sous la forme de copies. Les originaux, dégradés par le temps, ont été déplacés et restaurés. Ils sont là, sous nos yeux ébahis, à quelques centimètres seulement de nos souffles. Le marbre de Carrare resplendit, souffrant à quelques endroits de faïençage mais parfaitement restauré. Blancheur éclatante, douceur de la texture polie par les ans, finesse incroyable des détails et aspect « mouillé » des différentes pièces de vêtements sculptées… Incroyable de pouvoir observer de si près des œuvres aussi importantes et d’ordinaire si lointaines.
Je parlais de restauration, de conservation et c’est précisément ce dont il est question avec ces Petites Écuries puisque les bâtiments abritent également l’atelier qui sert à protéger les merveilles des temps passés. Ainsi, lors de notre passage, nous avons pu découvrir plusieurs des « Allégories » et des « Heures » en cours de restauration. L’Heure du Midi était donc en pleine séance de toilettage, voyant sa surface saupoudrée à moins d’un bar de pression d’un mélange conçu pour la chose. Nettoyage sans dommage. De la même manière, ces opérations intègrent aussi un comblement des éventuelles fissures ou encore des reprises de structure et la restitution de parties manquantes. Dans un autre registre, l’Allégorie du Feu était en pleine préparation pour une autre opération que je vais détailler ensuite…
Cet atelier sert donc également à la duplication. Les statues datant de la période Louis XIV (Grande Commande et autres) sont précieuses et uniques. Au même titre qu’Apollon, il a bien fallu trancher. Laisser l’original dans le jardin à la merci des éléments avec au final la perte de l’œuvre ; ou placer une copie à sa place et protéger autant que possible l’original. Ce choix étant fait et assumé, tout a été mis en œuvre pour assurer une fidélité parfaite de la copie. On découvre ainsi qu’un grand nombre de statues a d’ores et déjà été nettoyé, restauré et enfin dupliqué.
La statue est donc tout d’abord nettoyée au plus près de son état d’origine puis revêtue d’une solution alcoolique garantissant son isolation du monde extérieur. L’étape suivante consiste en un badigeonnage d’une solution polymère qui va solidifier en une dizaine de jours. Cette couche est ensuite séparée de la statue et les différents éléments du moule, précis au millimètre, sont assemblés de nouveau et enrobés d’une gangue de plâtre qui supportera la charge de la coulée.
Le mélange utilisé, mélange de polymère et de poudre de marbre, est appelé « Versailles » et est spécifique aux statues du grand domaine. Sa longévité est paraît-il garantie 300 ans tandis que le moule peut être utilisé une dizaine de fois. L’opération coûte la bagatelle de 50.000€ (10.000€ pour une restauration « simple ») ! L’opération a déjà mis en place pour une grande partie des statues mais il reste encore 40 statues à dupliquer afin de les sauver des affres du temps. Un mécénat existe d’ailleurs sous la forme d’une adoption, un peu comme ce que le Château avait mis en place pour les bancs, les arbres… : un bon moyen de s’attacher et de s’approprier un peu de l’histoire du lieu.
Fin de la balade, on traverse les réserves où les bronzes de certaines fontaines se reposent à l’abri des regards, tout comme d’autres statues. Il faudra revenir quand les Petites Écuries ouvriront, exposant tant « Apollon servi par les Nymphes » que d’autres œuvres majeures ; présentes par conséquent aussi bien dans les Jardins que dans cet endroit à part. D’un côté, le Faste. De l’autre, l’Intime.