Essai – Tesla Model 3 Grande Autonomie

Dire que j’attendais de pied ferme et avec enthousiasme la Tesla Model 3 est un euphémisme. Lors de mon voyage de trois semaines entre Californie et Wyoming en septembre dernier, je n’ai cessé d’en croiser ; y compris dans les coins les plus isolés et désolés des montagnes Sawtooth, de Yellowstone ou encore dans les forêts et paysages volcaniques de l’Oregon. La Tesla Model 3 est partout, là-bas, c’est effarant.

Les chiffres européens et français vont dans le même sens, puisque le constructeur a tout simplement vendu plus de Tesla Model 3 que les allemands de voitures équivalentes l’an passé. Même la BMW Série 3, pourtant tout fraîchement sortie, est battue. On s’en doutait un peu lors de sa présentation, on voit désormais la réalité des chiffres maintenant que Tesla sait produire en masse !

L’apprentissage aura été douloureux car Model S et Model X étaient tout sauf des modèles de grand volume et production… Mais voilà, la Tesla Model 3 répond à un autre segment du marché sur lequel il y a un peu plus de volume à faire et il est d’autant plus important quand on voit que les autres constructeurs sont enfin sortis du bois et que la concurrence tant attendue par Elon Musk est là.

Vous l’aurez compris : c’est LA voiture clé pour le constructeur, qui n’a pas le droit de se rater sur ce modèle (et petit frère du Model X) s’il veut continuer à grandir et peser dans le paysage automobile. Pour toutes ces raisons, je ne pouvais qu’être enthousiaste à l’idée de me mettre enfin à son bord.

Il a beau faire un froid de canard – oui, pas vraiment les conditions les plus sympathiques pour un véhicule électrique, je prendrai dans le weekend plusieurs fois le temps de faire le tour de ce drôle de véhicule. Le style et son appréciation, toujours éminemment subjectifs et personnels, est en tout cas largement plus clivant et en décalage que celui des grandes soeurs de la Tesla Model 3.

D’aucuns ont qualifié la face avant de « grenouille » et j’avoue les comprendre. La Model 3 n’a pas un museau commun et il surprend, dans un monde automobile où les calandres s’approchent doucement mais sûrement du mètre carré, où les haricots deviennent des dents monstrueuses et où le chrome ou le noir se plaquent partout. Aucune fioriture de ce type sur la 3, avec un capot plongeant, une bouille en rondeurs et cette ligne lippue faisant office de démarcation entre capot et face avant.

Au début, j’étais circonspect. Et puis j’ai commencé à apprécier et à m’y faire. En fait, à la fin, j’aime bien. Surtout avec cet habitacle très vitré et lumineux posé au sein de la robe grise. La qualité et la précision d’assemblage des panneaux de carrosserie a encore progressé par rapport à S et X, c’est désormais au niveau du reste de la production automobile.

A l’arrière, c’est nettement plus classique tandis que l’on retrouve ailleurs des recettes connues chez le constructeur : rétroviseurs bien intégrés, jonc chromé autour des vitres (mieux assemblé), système Autopilot et ses multiples caméras, poignées masquées dans les portières et trape de recharge intégrée aux feux arrière. On note l’appellation Dual Motor à l’arrière, synonyme de version quatre roues motrices et de Grande Autonomie.

Pour la version Performance, on aura droit un petit trait de soulignement. Dernier point : les roues ! Normalement, la version Grande Autonomie est fournie avec de jolies roues de 18 », couvertes quand on le souhaite par des enjoliveurs améliorant le flux d’air et donc l’efficience. Ici : j’avais des roues de 19 », jolies certes ; mais pas un cadeau en sus des conditions hivernales.

Finalement, si l’on excepte la « bouille » singulière, cette Tesla Model 3 s’inscrit totalement dans la lignée des Model S et X, achevant de construire l’image stylistique de la marque. Autant on peut très facilement confondre certaines autos, autant le profil et la face avant d’une Tesla se reconnaissent très facilement.

Il en va de même pour l’habitacle et c’est en fait de ce côté-ci qu’il faut regarder pour voir le nouveau saut qu’a réalisé Tesla sur sa Model 3 ! Si Model S et X embarquaient de belles singularités (rangement, espace à bord, style épuré), elles souffraient aussi de l’utilisation de certains composants communs avec d’autres constructeurs et restaient finalement, si l’on excepte l’écran et son système, assez « classiques ».

La Tesla Model 3 marque une réelle rupture de ce point de vue, tout en conservant ce qui faisait déjà la richesse d’un voyage à bord d’une voiture de la marque. La sellerie en cuir vegan blanc est reconduite, toujours aussi lumineuse et confortable. Les multiples espaces de rangement le sont aussi, avec de grands vide poches et un astucieux système de branchement de smarphone que l’on peut masquer ou non.

C’est en fait dans la partie haute que Model 3 fait sa révolution. Si les commandes d’ouvrants sont désormais « maison » et de bonne facture, on remarque surtout la disparition complète du tableau de bord ! La planche de bord est… vide. Un volant, avec deux boutons. Deux comodos « maison » ici aussi désormais. Et l’écran a changé de sens, trônant au centre de l’habitacle. La rupture est réelle par rapport à tout le reste de la production automobile.

Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur cet habitacle, en positif comme en négatif. J’étais pour ma part un peu dubitatif quant à la disparition du tableau de bord et des compteurs en face des yeux, derrière le volant. 600 km plus tard, je dois dire que j’ai changé d’avis. Le fait de n’avoir aucune information directement devant les yeux n’est pas une gêne, c’est plutôt un gain en terme de visibilité sur la route, une augmentation de la sensation d’espace également.

La partie gauche de l’écran, mis au format paysage justement pour compenser cette disparition des tachymètres et autres archaïsmes, sert à informer le conducteur de sa vitesse et des informations de base de l’auto, autopilot inclus. L’information vitesse tombe directement sous les yeux, d’un simple et rapide coup d’oeil à droite. Très peu de perte de vue de la route par conséquent ; même si un affichage tête haute sera toujours un peu mieux de ce point de vue.

Je reste néanmoins convaincu que Tesla propose ici une vraie rupture en terme d’ergonomie et d’affichage, qui finalement me plaît beaucoup ; au même titre que le reste de l’interface. Le réglage des rétroviseurs et de la direction se fait avec les deux boutons du volant, le réglage de la ventilation au doigt sur l’écran. Les commandes sont simples, l’ergonomie évidente, les fonctions somme toute limitées et accessibles, compréhensibles surtout.

Est-ce que je suis en train de me transformer en fanboy Tesla ? Non. Mais un peu. Je hais le terme « disruptif ». C’est pourtant ce à quoi on fait face quand on voyage à bord d’une Tesla Model 3. Toutes celles et ceux montés à son bord en ma compagnie (sans parler de ceux ayant voulu jouer aux différents jeux installés…) en ont convenu : on est ailleurs, on a la sensation d’avoir fait un bond dans le futur de l’automobile alors que c’est bien 2020 qui nous occupe.

Certes, j’ai déjà vu nombre de véhicules premium allemands, dotés des toutes dernières technologies et d’un million de réglages, menus et possibilités de personnalisation et oui, ils sont encore quelques crans au dessus en terme de qualité de finition, de richesse perçue. Mais leur complexification progressive, avec la surabondance d’écrans, réglages et sous-menus, de plus en plus critiquée par ailleurs, est une route vers l’overdose. Tesla prend un chemin opposé et je me dis qu’au fond, ils ont raison. Comme une sorte de « less is more ».

Le bond en avant supplémentaire réalisé par Tesla ne veut pas dire pour autant que d’autres aspects de la praticité au quotidien sont oubliés. La capacité de chargement des coffres, avant ou arrière (double, à l’arrière, 530L au total) ou encore le toit vitré pour ainsi dire intégral depuis le capot jusqu’au coffre sont autant de points qui rendent le voyage aisé. Surtout quand on parle « Grande Autonomie ».

La Tesla Model 3 Grande Autonomie est donnée pour 560 km en normalisation WLTP. Si on rajoute les roues Sport en 19 » et des conditions hivernales vraiment pas terribles, on peut se poser bien logiquement quelques questions ! Regardons donc plutôt quelques chiffres d’efficience relevés pendant mon essai…

Je tiens à préciser par ailleurs que j’avais toujours la clim’ activée et que j’ai utilisé la nouvelle fonction de récupération d’énergie de l’auto, jusqu’à l’arrêt complet du véhicule ! C’est une vraie nouveauté et si cela nécessite bien sûr un léger temps d’adaptation (l’auto fait plus de 1800 kg…), on finit par ne plus jamais utiliser le système de freinage hydraulique, sauf cas d’urgence ! On est loin, mais alors très loin, de l’approche d’une 208 électrique par exemple.

Et donc, ces efficiences ? 19 kWh/100 de moyenne… et encore, j’ai appuyé fort par moments ! Lors d’une session ville / A86 à allures assez constantes, j’ai réussi à chuter à 14.1 kWh/100. Sur autoroute, j’étais aux environs de 22.5 kWh/100. En hiver, avec la clim’ et avec les « mauvaises » roues. Autonomie impossible à calculer en toute honnêteté, mais je pense avoir atteint pas loin de 420/440 km avant de rejoindre le Supercharger de Rouen avec 16% de batterie restants.

C’est un autre avantage de la Tesla Model 3 : elle profite avec ses nouveaux moteurs et batteries de la capacité améliorée du réseau Supercharger. 150 kW disponibles, avec un 130/140 relevé le temps de ma recharge d’une grosse demie-heure. 16% à 17h34. 88% à 18h11. Recharge bluffante, passée à jouer aux échecs contre la voiture (elle a beaucoup gagné) et efficience bluffante, vraiment. Tesla franchit un nouveau cap à mes yeux, par rapport notamment aux chiffres que j’avais pu relever sur Model S et Model X !

Toujours dans le registre des progrès, on sent au fil des kilomètres que la Tesla Model 3 marque également une belle étape dans la maîtrise par les ingénieurs de la marque des composants qui font le sel de la conduite automobile. Malgré la monte pneumatique supérieure, j’ai en effet été étonné par le meilleur isolement de la caisse des trépidations extérieures.

La suspension de la Model 3 est moins sèche que peut l’être celle des S/X que j’ai essayés. La qualité de l’amortissement est meilleure et désormais adaptative (Model S/X en bénéficient également désormais), la tenue de caisse également bien qu’elle bénéficie toujours d’un centre de gravité particulièrement bas. Si l’on rajoute à cela des flux d’air particulièrement discrets autour de la caisse, le confort de roulement est en net progrès et le silence règne à bord.

On peut donc gager qu’avec les roues aéro et la monte d’origine en 18 », il y a de quoi faire plusieurs centaines de kilomètres à bord de cette Tesla Model 3 sans souffrir du dos et des oreilles, avec toujours cette absence de vibrations mécaniques qui a tout pour plaire – sauf à comparer à un V8/10/12, mais ce n’est du tout le propos ici.

Pour la partie freinage, je me répète : je ne les ai que peu utilisés pendant mon essai ! Les quelques brusques décélérations nécessaires l’ont été à cause d’énergumènes me coupant la route ou conduisant comme des sauvages sur l’A86. Bon, aussi sur quelques sections sinueuses pour tester le dynamisme de l’auto. Les décélérations sont satisfaisantes au regard des 1800 et quelques kilos de l’auto.

Aucun intérêt à parler de leur endurance, on conservera cette partie pour l’essai de la version Performance. Du côté du toucher de pédale de frein, la transition entre la récupération du moteur électrique et l’hydraulique n’est pas forcément parfaite. Le saut d’effort est assez important, j’ai l’impression que tout a été fait / réglé pour que les freins ne servent qu’en cas de forte décélération, le reste étant à gérer avec le mode de récupération d’énergie.

Ce n’est pas gênant en soi, c’est simplement qu’à force de gérer 95% du temps avec la récupération, on se fait un peu surprendre par la consistance de la pédale au moment de réellement utiliser les freins dans une situation normale ne nécessitant pas 100 bar d’appui sur la pédale ! Question d’accoutumance j’en suis sûr, cette sensation aurait sûrement fini par disparaître avec quelques centaines de kilomètres de roulage supplémentaires.

La dynamique du véhicule est en tout cas bien servie par la direction, autrement plus communicative et vive que sur les Model S et X ! On sent enfin ce qu’il se passe au niveau des roues avant et le nez semble très nettement plus vif que les grandes soeurs. Là-aussi, on voit que Tesla progresse peu à peu.

Ils livrent en tout cas à mes yeux leur meilleure direction et si le rayon de braquage de l’auto n’est pas forcément remarquable, la consistance de l’assistance de la direction en mode Normal est parfaite pour moi. Le mode Sport est caricatural et nuit en réalité aux sensations, pour ce qui me concerne.

Si l’on regarde la Tesla Model 3 dans son ensemble, force est de constater que c’est autre chose qu’un grand navire électrique agréable à vivre comme peuvent l’être les Model S et X. La maturité dont elle fait preuve, alors que la marque n’a que quelques années derrière elle, est impressionnante. C’est toujours une voiture à vivre, mais cela devient aussi et surtout une voiture à conduire avec un réel plaisir.

Ne parlons pas forcément performances, ce n’est pas son objectif premier. Reste qu’avec un 0-100 tombé en 4.6 s et des reprises ahurissantes, même jusqu’à 130 km/h (et à priori, au delà également…), on a largement de quoi réaliser quelques dépassements en toute sécurité ou encore de quoi s’échapper d’une situation périlleuse. L’avantage de l’électrique, à ce niveau de puissance, c’est aussi ça.

Dans son ensemble, la Tesla Model 3 est bien LA voiture que l’on attendait de la part du constructeur. Elle vient corriger et améliorer la copie déjà livrée sur les deux grands modèles de la marque : une meilleure efficience, une ergonomie encore plus épurée, des finitions et assemblages en progrès, un gabarit nettement plus vivable au quotidien, une habitabilité toujours excellence et enfin des sensations de conduite agréables !

Il n’est donc décidément pas surprenant d’en croiser à foisons sur les routes américaines mais aussi européennes et il y a fort à parier que cette montée en puissance va continuer avec le Model Y ! Reste à savoir si la Tesla Model 3 finira par être disponible dans ses versions « low cost » annoncées initialement, le ticket d’entrée étant tout de même juste en dessous de 50k€, voire 67k€ pour la version essayée (57k€ en base – 10k€ d’options dont la « Capacité de Conduite Entièrement Autonome » à 6300€).

Mon dernier point revient à saluer une nouvelle fois (c’est mon quatrième essai Tesla) la stratégie visant à avoir voulu déployer des véhicules électriques sans oublier le réseau de recharge. Le réseau Supercharger était et reste une des meilleurs raisons d’acheter une Tesla de part son maillage et sa puissance. J’ai essayé de recharger sur d’autres bornes ne faisant pas partie du réseau de recharge à destination du constructeur et soyons clairs : c’est plutôt une plaie !

Avec tous ces très bons points, il me tarde désormais de me remettre au volant d’une Tesla Model 3 pour un voyage au plus long court. Une version Performance ? Sûrement. Car les bonnes qualités dynamiques aperçues sur cette version Grande Autonomie me font penser qu’il y a sûrement de quoi s’amuser au volant. De très bon augure pour l’avenir du constructeur, nouveau Roadster en tête !