Cendres et Crépuscules – Thierry di Rollo

Thierry di Rollo est un auteur que j’aime beaucoup, que ce soit en terme de style ou en terme d’univers. Ses romans m’ont toujours laissé un goût de cendres en bouche et changé ma bonne humeur en pensées crépusculaires. Alors les titres de ces recueils parus chez ActuSF ont forcément attiré mon attention. Le premier, Cendres, est sorti il y a quelques temps tandis que le second, Crépuscules, vient tout juste de paraître. Aussitôt le second acheté, aussitôt le premier commandé et livré. Voici donc une double chronique de ces dix nouvelles au total.

On commence avec Cendres et la nouvelle éponyme. Une plongée dans un camp situé on ne sait trop où ni à quelle époque si ce n’est qu’elle semble tout à fait contemporaine ou bien peu éloignée dans le temps. Ce camp, c’est un mouroir, un antre cendreux qui pue la mort, la merde et la pisse, où les gens tentent tant bien que mal de se raccrocher à la vie. Di Rollo y raconte rapidement l’histoire d’un homme qui a oublié pour quelle raison il est là. Très noir, le goût de cendres en bouche et une once de vie qui apparaît, un soupçon d’amour, aussitôt effacé et une chute surprenante et parfaitement à propos.

Jaune Papillon est dans la même veine, ou comment un clochard agressé et enlevé au milieu de la foule sans que celle-ci ne lève les yeux se retrouve pantin désarticulé et bête de foire pour un rituel politique. Une nouvelle qui ne m’a clairement pas laissé indifférent sur la manipulation de la vérité, des foules, le tout saupoudré de raison d’Etat. A méditer, parce que parfois, je me demande si la marge entre notre réalité et celle de cette nouvelle sont si éloignées que cela.

Ensuite, Les Hommes dans le Château. De loin l’histoire la plus glauque et la plus oppressante de ce recueil. On y suit la course effrénée contre la mort d’une jeune fille cherchant à échapper à de multiples tortionnaires, course perdue d’avance ponctuée de flashbacks et dont l’issue nous entraîne dans un puits d’horreur. Dérangeante, indubitablement. Enfin, les Quelques grains de riz raconte la folie d’un homme fan des Beatles et rêvant de tourner un film adaptant à la perfection l’un des titres du groupe. On y parle voyage dans le temps, interprétation et mise en image de l’art et de la musique. Une nouvelle étonnante mais un peu décevante au final si l’on excepte cette réflexion sur l’art. Dommage.

On passe maintenant aux six nouvelles de Crépuscules, nettement moins sombres en apparence et on retrouve, ainsi qu’indiqué sur la quatrième de couv’, une once d’espoir et de vie.

Éléphants Bleus, la première des nouvelles (et la plus longue je crois), est une petite merveille de cynisme sur l’exploitation minière et sur le capitalisme. On y suite deux inspecteurs détachés sur une planète minière cherchant à élucider les morts suspectes bien que naturelles de plusieurs mineurs. Le tout finit sur une réflexion sur la symbiose et l’évolution / adaptation des espèces et cette petite once de douceur évoquée auparavant bien que l’Enfer perdure pour les mineurs.

Ensuite, Hippo ! est l’histoire de ces convoyeurs chevauchant les répliques IA des hippopotames terriens (éteints depuis bien longtemps cela va de soi), draguant les fonds de rivière à la recherche d’or. Une nouvelle se penchant cette fois sur le remplacement de l’Homme par les Machines… A vous de lire pour en connaître la fin.

Seconde Mort est peut être la nouvelle qui m’aura le plus marqué dans ce recueil. Elle oscille entre roman noir et fantastique, celui-ci faisant son apparition de manière progressive et bienvenue. C’est l’histoire d’un employé de sex-shop s’amourachant d’une prostituée boiteuse, voilà une bonne base pour un texte noir, triste, efficace et beau à la fois.

On attaque les trois dernières nouvelles : Un dernier sourire, histoire de loup-garou matinée de SIDA, sympathique mais sans grand intérêt.  Puis La ville où la mort n’existait pas, un drôle d’univers que l’on devine post-apocalyptique avec un peu de Philip K. Dick dans A Rebrousse Temps pour ce qui est du principe. Une nouvelle jouissive où la vie célèbre la mort et réciproquement. Et pour finir, le Crépuscule des dieux, une drôle de nouvelle sur le sacrifice volontaire sur la Croix d’un petit groupe de survivants. Impossible de comprendre ce texte en ce qui me concerne mais toujours, là-aussi, une once d’amour pour finir.

Si Cendres se veut un recueil complètement noir et effrayant, Crépuscules quant à lui introduit un peu de beauté et d’ode à la vie et à l’amour dans ses textes. J’avoue que ce presque-positivisme m’a surpris chez Di Rollo qui d’ordinaire a tendance à nous mettre la tête dans un cul de basse-fosse et à la maintenir en immersion le plus longtemps possible avec seulement quelques respirations deci delà ! C’est cet esprit que l’on retrouve dans plusieurs de ces nouvelles tandis que d’autres nous laissent un peu d’espoir. Si l’ensemble est plutôt bon, certaines nouvelles en revanche me semblent un peu ratées ou incomplètes, pas assez longues pour que l’auteur ait le temps d’y faire naître son univers malgré un style toujours tranchant et propre à lui. Ces deux petits recueils, vendus à prix d’ami, sont malgré ces menus défauts un excellent moyen de plonger dans l’univers de Thierry Di Rollo avant d’attaquer l’un de ses romans.