La cheville abîmée le jour précédent tient. Il fait beau. J’ai compulsé autant de sites internet que je pouvais pour trouver une voie d’accès au Psiloritis qui ne soit pas au départ de Anogia et du plateau de Nida, trop éloignés de Zaros à mon goût.
Mon choix s’est donc porté sur la voie ouest, au départ de Fourfouras ou de Kouroutes, paraît-il moins bien balisée bien qu’elle fasse également partie de l’E4, le sentier européen qui traverse la Crète de part en part et dont j’ai déjà arpenté quelques (jolis) tronçons.
Il y a une feinte toutefois, par rapport à l’accès par ce côté-ci, l’ascension commençant à proprement parler au niveau du refuge Toumpotos Prinos. Soit on démarre à Fourfouras et on monte au refuge à pied… soit on bifurque à Kouroutes sur une route d’abord asphaltée puis carrossable en général.
J’ai tenté ma chance sur le chemin carrossable, avec ma petite Peugeot 208 tout à fait standard ! Je n’ai pas réussi à atteindre le refuge malheureusement, la faute à un petit passage un peu trop risqué à mon goût. Oh, je pense que ça passait, mais avais-je vraiment envie de faire un pneu au milieu de la montagne ?
Par contre, si vous louez un SUV ou mieux, un 4×4, ça passe crème jusqu’au refuge tant qu’il n’y a plus de neige. Pour moi, c’est le bout de la route et je me gare à côté d’une petite bergerie qui a aménagé une sorte de parking. Par-fait. C’est parti pour une heure de grimpette jusqu’au refuge, avec déjà de belles vues !
Les poteaux de l’E4 et le balisage jaune, doublé de points rouges plutôt frais en vue d’un ultratrail ou autre course de fous furieux rend la détection du départ de sentier assez aisée. De même, les traces de l’ascension sur OpenRunner sont plutôt précises et on trouve donc vite et bien son chemin dans une première coulée caillouteuse, bordée de premiers névés. (bien penser à la crème solaire, en quantité)
La progression devient ensuite un peu plus compliquée puisque les névés ont partiellement recouvert les traces mais heureusement, il suffit de les longer pour retrouver le poteau suivant, la double trace rouge suivante, etc. Pour le moment, c’est plutôt facile et la pente est certes un peu raide mais très progressive. En fait, on avale les premières grosses centaines de mètres de D+ sans sourciller.
Le sommet se laisse même deviner en haut d’une ultime crête, mais il y a encore largement de quoi faire, tandis que l’on fait fuir moutons et chèvres qui vivent paisiblement loin du monde ! Certaines sont mêmes de sacrées drôles, se laissant glisser sur les névés. Fou comme ça a l’air simple.
C’est forcément là, alors que tout allait bien, que la première difficulté de montagne fait son apparition. D’un côté d’un névé, un poteau de l’E4. De l’autre, un autre. Au milieu, des traces de mouton, avec une descente qui semble interminable à gauche. Je tente un passage en plantant le nez de mes chaussures dans la neige, pas à pas, dos à la pente. Ereintant, franchement pas sécurisant, c’est une connerie.
Comme il est hors de question de s’arrêter là (je suis un gros con têtu…), je grimpe plus haut pour traverser le névé dans une zone plane et nettement moins large. Il faut alors progresser en crête, à travers un pierrier impressionnant mais « sûr » (grosse caillasse bien stable), en grognant un peu, pour retrouver peu ou prou la zone de départ et surtout viser la trace OpenRunner un peu plus loin.
Le sommet est toujours-là mais il ne semble pas se rapprocher. Heureusement que les fleurs sont jolies et qu’il y a une bonne zone que l’on peut monter sans franchir de névés ! Sauf un petit. Mais un facile.
Est arrivé le moment où il a bien fallu franchir un névé à plus de 40° de pente… Il n’avait pas l’air bien longuet celui-ci mais ce fut en réalité un sacré moment de gainage ! Pied à pied, 15-20 cm par 15-20 cm de hauteur, les bâtons plantés dans la glace en synchronisation avec les pieds pour toujours avoir deux ou trois points d’appui sûr. J’ai continué seul mon ascension à partir de ce moment-là.
L’étape suivante, après avoir convenu d’un point de rencontre pour la descente ? Deux autres névés, en pente douce quant à eux ! La bonne nouvelle dans tout ça, c’est qu’il n’y a pas de crevasses ou de forte épaisseur de neige. Il n’empêche : je sondais à chaque coup, rendant la progression d’autant plus lente mais un rien plus sûre. Quitte à être seul là-haut, autant essayer de limiter de taux de connerie.
Le sommet est enfin là, à la merci d’un dernier passage enneigé ! Je sonde toujours, prudemment, pour rejoindre la crête sommitale. Il ne me reste plus qu’à atteindre la petite église qui trône au sommet du Psiloritis ! Il paraît qu’il faut en faire sonner la cloche mais je vous avoue que je n’ai pas voulu réveiller les deux dormeurs qui faisaient la sieste là, au soleil.
Les vues depuis le sommet du Psiloritis sont à couper le souffle, avec cette neige encore bien présente et toute la Crète à mes pieds ! Le golfe de la Messara, les Montagnes Blanches, toute la côte Nord aussi. Les yeux ne savent plus trop où donner de la tête tandis que le vent se levait peu à peu alors que je m’éternisais sur place.
Je redescends, prudemment. Le premier névé est passé tranquillement, quasiment plat. Le second et le troisième aussi, à faible pente et en me laissant doucement glisser sur la semelle, me dirigeant à faible allure vers le bout du chemin. Je franchis quelques zones empierrées pour retrouver le tout premier névé, celui à forte pente.
C’est là qu’aurait pu s’arrêter le blog, quand j’y repense. J’ai chu, comme un con, dès le premier mètre du névé. Je ne voulais pas descendre en glissant, la pente était trop importante. Sauf que mon premier pied est parti, que le second a suivi et que je me suis retrouvé à dévaler la glace. C’est fou comme on accélère vite, avec le bon coefficient de friction cul / glace.
Alors j’ai tenté de me freiner tant bien que mal, le sommet des bâtons rentré dans la glace, avec ma main au passage (belle petite brûlure de glace…), les talons qui n’arrivaient pas ou très peu à rentrer dedans. Orientation vers une zone de végétation basse, dans laquelle il y a forcément des cailloux. Bon, au moins je je fonce pas sur une barre rocheuse.
L’arrivée est un peu brutale, surtout que la neige tassée s’est transformée en vieille neige / glace à l’approche des cailloux, prodiguant une dernière accélération ! Je plante les bâtons pour me relever au dernier moment et me met à courir comme un dératé dans les cailloux ! Bon, le cul a frotté un peu dans les épineux, tout comme les mains, mais je finis par m’arrêter. Sans bobo.
J’ai eu chaud au cul. Je repense au passage plus bas, avec la longue traversée sur forte pente. Putain, heureusement que je n’y suis pas allé. C’était encore plus un coup à y rester. En bref : les névés, c’est joli, mais c’est surtout putain de super dangereux, même quand on les aborde avec une belle dose de prudence.
A partir de là, c’est une longue descente, en cherchant justement à éviter le fameux passage évoqué ci-dessus et son contournement. J’ai trouvé une autre voie, qui aurait bien fait l’affaire pour grimper ! Tant pis, ce sera pour une prochaine fois. Pour le moment, je retire les épines dans mes mains, dans les poignées de mes bâtons et de mon séant !
Les vues sont toujours aussi belles, la baie de la Messara est toujours sublime, tout comme le sommet, goguenard. Couillon va, tu pouvais pas faire fondre ta neige un peu plus tôt ? Allez, vite, un peu de CO2. Je plaisante, jaune, évidemment.
L’ascension du Psiloritis n’est en tout cas pas une sinécure, c’est en fait même de la haute montagne à une altitude qui fait rigoler les Alpes. 2454 mètres d’altitude, quelque chose comme 1400 mètres de D+ pour cette ascension, ce n’est pas la mer à boire. Sauf que sur une île, de taille finalement contenue, cela crée des climats bien singuliers.
Le Psiloritis est donc bien une vraie montagne, qui s’aborde avec respect, prudence, raison et attention. Je ne manquais de rien de tout ça et pourtant, elle a quand même très sérieusement trouvé le moyen de me le rappeler et je vous avoue que j’ai eu du mal à m’endormir à plusieurs reprises en repensant à cette fameuse glissade.