Moi, Lucifer – Glen Duncan

Moi, Lucifer. Titre aguicheur n’est-ce pas ? Et que dire de la couverture, un poil bandante ? Après tout, ce n’est pas tous les jours que le Prince des Enfers se retrouve planté comme un con dans une enveloppe mortelle. Pas n’importe laquelle ceci dit !

Prisonnier (par la volonté de Dieu) du corps d’un écrivain fraîchement suicidé et chichement membré, Moi, Lucifer, Ange Déchu, Porteur de Lumière, Prince des Ténèbres, de l’Enfer et de ce Monde, Seigneur des Mouches, Père du Mensonge, Suprême Apostat, Tentateur, Antique Serpent, Séducteur, Accusateur, Tourmenteur, Blasphémateur et, sans contestation possible, Meilleur Coup de l’Univers Visible et Invisible (demandez donc à Eve, cette petite garce), j’ai décidé – ta-daaah ! – de tout dire. Tout ? Presque : le funk, le swing, le boogie, le rock. C’est moi qui ai inventé le rock. Si vous saviez tout ce que j’ai inventé : la sodomie, bien sûr, la fumette, l’astrologie, l’argent… Bon, on va gagner du temps : tout, absolument tout ce qui vous empêche de penser à Dieu. C’est-à-dire à peu près tout ce qui existe.

C’est donc parti pour presque 300 pages d’un grand délire d’ange déchu en pleine réflexion décousue sur son parcours, sa place aux côtés de Papy, sa chute, son emprise sur les maux humains et la pourriture naturelle de cette Humanité qu’il adore et méprise à la fois, son combat permanent pour remporter un maximum d’âmes face au Fiston, à Papy et au Saint-Esprit. Beau programme. Tout commence toutefois par cette proposition de Gabriel, messager de Dieu pour l’occasion : il faut que Lucifer passe un mois dans le corps d’un écrivain plus ou moins raté et nommé Declan Gunn (oh oh) afin d’avoir une chance d’être réintégré avec ses anciens copains en Sa présence…

Challenge accepted comme dirait l’autre ! Après tout, envahir le corps moche, gras et sans intérêt de ce bonhomme, se laisser envahir par certaines de ses névroses, découvrir ses anciennes histoires et puis finalement mener sa propre barque de chair et de sang alors qu’il avait l’habitude de les posséder, tout ça est intriguant. Avec une grande vie assurée par les comptes sans fond des Enfers, Lucifer se prend au jeu de la conquête humaine. Il se met en scène, décide d’écrire son autobiographie au travers des doigts de Gunn, peinant à trouver les mots parfois, veut en faire un film et s’entoure de ceux à même de réaliser la chose, le tout sous l’influence d’un nombre maximal de substances psychotropes et mêlé d’une grosse grosse dose de stupre.

Le livre raconte de manière très décousue ce parcours, il oscille de bord en bord : la biographie et la vie sur Terre dans le corps de Gunn. Ces sauts du coq à l’âne sont autant d’occasion pour Lucifer de nous conter notre histoire, depuis la Genèse jusqu’à notre époque contemporaine. Pédophilie, abus en tous genres, tentative de corruption du Fiston, transformation de la douleur en un système, inquisition, guerres diverses et variées… tout y passe, crûment, brutalement, cyniquement et avec une lucidité détachée à vous coller la gerbe. Lucifer est en cela fidèle à l’idée que l’on se fait de lui même si l’auteur nous réserve quelques surprises sur la toute fin du roman. Une fin étonnante d’ailleurs, qui m’a plu.

Je tempèrerai toutefois mon propos avec quelques (gros) défauts du livre : Lucifer apostrophe le lecteur beaucoup trop souvent, de manière insistante, un effet de style quelque peu usant et contreproductif à la longue. De même, se pose parfois la question suivante : « et tout ça pour quoi faire ? »… car oui ce livre ne sert au final pas à grand chose si ce n’est à nous dépeindre, nous, l’Humanité, tous travers inclus. De plus, comme je le disais plus haut, l’ensemble est terriblement décousu et on peine à chercher une trame puisque c’est après tout ce que l’on fait tous, tout le temps. Enfin moi, en tout cas. Sauf que c’est Lucifer… et qu’on s’y fait, ça colle bien au bonhomme toutes ces digressions.

Bilan ? Un peu partagé parce que j’ai passé de très bons moments à la lecture de ce livre. Je me suis aussi un peu emmerdé parfois, ai sauté quelques lignes, ai ronchonné sur certains effets de style… mais ce qui me reste au final, c’est le cynisme, la satire, la cruauté : c’est sans pitié et j’ai pris mon pied avec ça. Si vous n’aimez pas le cynisme, oubliez ce livre. Mais si comme moi vous aimez les bons mots et un ton bien piquant, ça se lit pas mal.