Il y a des auteurs que j’appréhende de retrouver parce que tout ce qu’ils ont pu écrire auparavant m’a globalement séduit, mais aussi parce que certaines de leurs oeuvres sont cultes à mes yeux et aux yeux du monde et que le reste de leurs productions semble presque anecdotique. Frank Herbert est l’un de ceux-là. Dune, la Mort Blanche, la Barrière Santaroga, la Ruche d’Hellström et tant d’autres. Et si certains de ces livres ont leur place dans mon petit panthéon de lecteur pas tout à fait calé, pas tout à fait néophyte, d’autres m’ont clairement laissé sur ma faim.
Du coup, quand j’ai vu le Cerveau Vert en rayons, je me suis demandé si j’allais l’acheter mais la quatrième de couverture m’a convaincu de part le sujet traité qui semble tellement d’actualité : une sorte de révolte de la nature face à une Humanité conquérante, dominatrice et dont le but est tout simplement d’éradiquer toute espèce « inutile » pour l’Homme. Sinistre prédiction.
Dans un futur très proche, notre planète est désormais coupée en deux zones : la Zone verte, où les humains ont dominé et asservi la nature, et la Zone rouge qui reste à conquérir. C’est le cas de l’immense forêt du Mato Grosso au Brésil que l’Organisation Écologique Internationale compte bien contrôler définitivement. Grâce à des bombes chimiques mortelles et des armes utilisant les vibrations, l’OÉI élimine tous les insectes et nuisibles de la surface de la Terre.
Mais cette fois, les habitants de la zone rapportent d’étranges histoires : insectes mutants, humains aux yeux étranges et au comportement inhabituel, disparitions… Une équipe de l’OÉI est envoyée en mission afin d’enquêter au cœur de la jungle. Et ce qu’ils vont découvrir dépasse de loin l’idée qu’ils se faisaient d’une Nature soumise…
Et nous voilà partis pour quelques centaines de pages (ce roman est très court) en guise de plongée aventureuse et fantastique dans un monde en pleine restructuration écologique. D’un côté, celles qui sont les « nouvelles puissances » de notre époque : Amérique Latine (Brésil en tête) et Chine et qui œuvrent pour équilibrer une Nature qui les a toujours quelque peu envahis (insectes, « nuisibles », etc.) tandis que le reste des nations majeures (Ouest en tête) s’oppose à cet équilibrage qui leur semble malsain et surtout dénué de tout sens logique. Drôle de morale, soit dit en passant quand on voit ce qu’on fait lesdites nations à notre planète !
On suit donc ces inspecteurs de l’OEI ainsi qu’un des chefs d’escouade de ces « soldats » dont la mission est d’éradiquer le Rouge en pleine jungle amazonienne à la recherche de la source de ces résistances et de ce qui ressemble bien à une organisation végétale hiérarchisée ! Le point de vue oscille entre ces différents protagonistes mais nous plonge aussi en plein cœur de ce Cerveau Vert dont on comprend peu à peu la nature et l’origine. Une plongée étouffante dans la moiteur des sentiments humains et dans la logique presque mécanique de ce cerveau nouvellement né.
Simple essai de science-fiction ou prémonition d’un avenir promis à l’humanité ? Les leçons à tirer de ce livre, écrit en 1966 (!), sont multiples mais l’idée dominante reste : à trop vouloir dominer et régulier, on rencontre finalement une résistance de plus en plus forte, la sélection naturelle éliminant peu à peu les plus faibles et forçant les plus forts à muter pour affronter l’ennemi. Et c’est amusant comme on se prend aussi au jeu d’imaginer une telle sélection pour ce qui est du contrôle de l’internet qui se dessiner pour les années à venir.
Ce livre m’aura finalement beaucoup plu par son intensité, par la plongée et le brio des changements de points de vue, agrémentés de quelques passages mettant en valeur la psychologie humaine. L’ingéniosité d’Herbert en tant que créateur est aussi présente dans sa vision de l’évolution d’une Nature sous pression, créant des formes de vie de plus en plus coriaces et résistances à l’Homme… Reste la conclusion, quelque peu… facile même si le final précédent la conclusion, sorte de huis-clos oppressant est jouissif.
Un livre à lire et à méditer quoiqu’il en soit !