Julian – Robert Charles Wilson

Robert Charles Wilson est l’un de mes auteurs favoris, et de loin. Alors quand Lunes d’Encre a annoncé la sortie prochaine de son nouveau roman, Julian, je me suis mis à frétiller et j’ai fait de gros yeux quand j’en ai reçu un exemplaire la semaine dernière. Aussitôt Destination Ténèbres achevé, je me suis donc jeté dessus pour découvrir une splendide citation qui m’a laissé coi pendant quelques minutes, la laissant s’infiltrer en moi, l’utilisant pour jauger ce(ux) qui m’entoure(nt) à son aune.

« Ne cherche pas de roses dans le jardin d’Attalus, ni de fleurs saines dans une plantation venimeuse. Presque personne n’est mauvais, mais certains te peuvent du mal, aussi ne tente pas la contagion par la proximité et ne te hasarde pas à l’ombre de la corruption. » – Sir Thomas Browne

Mais revenons au livre et à son histoire, celle d’un XXIIème siècle post-apocalyptique, basée sur le continent nord-américain qui est bien malgré lui revenu à un mode de vie très proche du XIXème tout en étant enrobé des scories de la déchéance du XXIème. C’est dans ce monde que vit Julian Comstock.

« J’entends coucher ici par écrit la vie et les aventures de Julian Comstock, plus connu sous le nom de Julian l’Agnostique ou (comme son oncle) de Julian le Conquérant. Les lecteurs à qui ce nom est familier s’attendront bien entendu à du sang et des trahisons, notamment la guerre au Labrador et les démêlés de Julian avec l’Eglise du Dominion … j’ai assisté à l’ascension et à la chute d’hommes comme de gouvernements et plus d’une fois, j’ai trouvé au réveil la mort en train de me regarder dans les yeux. »

Voilà un domaine dans lequel je n’attendais pas du tout Robert Charles Wilson, tout comme je ne l’attendais pas sur un ton pareil par rapport à ce à quoi il m’avait habitué, restant très ouvertement accessible, presque trop parfois. Son personnage, Julian, est le neveu du Président et combine les qualificatifs suivants : apostat, conquérant, fugitif, esthète, philosophe. Tout ça, oui, et bien plus encore comme vous pourrez le découvrir. Ce personnage hors du commun est accompagné de deux amis : celui qui remplace son père assassiné et qui est son précepteur, Sam Godwin, et celui qui n’aurait jamais du devenir son ami car issu d’une autre caste, Adam Hazzard et qui nous raconte les évènements du livre. Si Sam représente une figure paternelle, Adam représente quant à lui la naïveté et la simplicité mais je reviendrai dessus.

Je ne souhaite, une fois de plus, pas vous détailler les aventures de Julian afin de ne pas vous gâcher le plaisir de la lecture, mais je vais en revanche m’attarder quelque peu sur le monde qu’a inventé l’auteur. Il dresse le portrait d’un monde post-apocalyptique tel qu’on ne l’attendait pas, ce type de romans étant plus généralement le théâtre d’un retour en arrière violent, d’une déchéance absolue de l’humanité voire de sa disparition. Le monde tel que nous le connaissons n’est plus, le pétrole a disparu à jamais, les villes ont chu et ne se relèveront pas de sitôt, la vapeur et le charbon ont fait leur grand retour tandis que l’armement et le mode de vie ont un air de XIXème siècle. De plus, l’intégrisme religieux a refait son apparition aux États-Unis et constitue un troisième pouvoir aux côtés de l’Exécutif et des deux grandes armées du pays. Censure, morale, le Dominion impose sa marque sur la société, n’hésitant pas à recourir à des techniques dignes de celles de l’Inquisition espagnole. Du côté du monde du travail et de la structure sociétale, l’esclavage a pris des formes un peu plus subtiles mais les anciens grands propriétaires d’avant la chute se sont transformés en Aristos (ou eupatridiens) tandis que les classes moyennes ont troqué leur droit de vote et la propriété de leur corps contre un travail et un logement dans les exploitations desdits Aristos. Triste monde. Pas si éloigné du nôtre que ça. Car finalement, s’il a perdu tout ou partie de sa part technologique, le monde dépeint par Robert Charles Wilson n’est qu’une extension, une évolution du nôtre, ne conservant que la religion, le social et la géopolitique (la guerre en somme) comme bases, mais sous leur plus mauvais aspect.

Ce que j’aime dans ce roman, c’est justement ce monde que l’auteur dépeint, joli mélange des codes de la science-fiction pour ce qui est des courants anticipation / post-apocalyptique et des codes du western, du roman de guerre et d’aventures. Ce que j’apprécie en revanche moins, c’est la narration et je n’aurais jamais cru pouvoir dire ça de Robert Charles Wilson. Au delà du monde créé par l’auteur, de son contexte, de ses réflexions sur l’environnement, sur la géopolitique américaine, sur la religion, le point bloquant à mon sens est le narrateur du livre : trop jeune, trop niais, trop marqué par son époque, trop redondant dans ses réflexions sur l’apostasie de Julian, trop facile à lire, pas assez incisif et adulte même si le ton évolue un peu au fil des expériences de l’auteur. Je me suis surpris à lire certains paragraphes de travers pour élaguer certaines réflexions et passer à la suite tout en évitant la plupart des commentaires de bas de page, inutiles pour la plupart.

Robert Charles Wilson n’est en général pas spécialement accessible comme auteur pour qui serait un profane de la science-fiction. Il l’est ici complètement, s’ouvrant à un public nettement plus généraliste. Loin de moi l’idée de critiquer cette orientation, le roman est un très bon moment de lecture et un bel exercice de création d’univers. Mais pour ceux qui sont habitués aux autres œuvres de l’auteur, le choc est un poil rude et il faut faire abstraction de ce à quoi l’on s’attendait pour vraiment profiter de cette nouvelle orientation.

Car oui, le livre est riche de réflexions sur notre monde et sur celui qu’il dépeint. Ainsi que je l’ai dit, religion, géopolitique et environnement sont au cœur du livre, le contexte est maîtrisé et le traitement est brillant. Sauf que le narrateur n’est à mon sens pas à la hauteur. Au final, Julian est un très bon roman pour ce qui est des thèmes qu’il aborde et pour ce qui concerne la qualité d’écriture mais il n’atteint pas l’excellence narrative des précédents ouvrages de l’auteur. Un bilan mitigé pour ce qui me concerne mais j’ai tendance à croire que le livre touchera avec succès un public plus large que d’ordinaire.