Seigneurs de Lumière – Roger Zelazny

Ce livre, je l’avais « en stock » depuis pas loin de deux ans je crois, il faudrait que je fasse un peu d’archéologie mais on va dire que c’est ça. Deux ans à le laisser au chaud dans la bibliothèque avant de me décider à l’ouvrir avec une ferme volonté : me remettre à lire plus régulièrement et combattre le rythme de merde dont je parlais dans ma dernière chronique. Seigneurs de Lumière ne m’a fort heureusement pas fait l’effet de Brasyl, je suis relancé.

Dans Seigneur de lumière (prix Hugo 1968), sans doute son roman le plus ambitieux, Zelazny revisite le panthéon hindou et replace la quête mystique de Siddhartha sur une planète extraterrestre dirigée par une caste d’immortels. Dans Royaumes d’ombre et de lumière, il décrit loin dans le futur la lutte d’Osiris et Anubis, la vengeance d’Horus et les visions d’apocalypse d’Isis. Dans L’Oeil de Chat, un de ses romans les plus sous-estimés, il lance un pisteur navajo à la poursuite de la plus dangereuse des créatures intelligentes – Chat – un extraterrestre télépathe capable de changer de forme à volonté.

Car oui, cet énorme pavé n’est pas constitué d’un seul roman mais de trois, tous revus et corrigés pour cette édition chez Denoël Lunes d’Encre. Je vais faire montre d’une originalité sans faille en commençant par le premier : Seigneur de Lumière. Je ne voudrais pas être dithyrambique au sujet de ce roman mais c’est pourtant ce à quoi j’aspire. Quand la quatrième de couverture parle de roman ambitieux, elle ne ment pas. Cette réécriture du panthéon hindou et la (re)naissance du bouddhisme sont jouissifs, surtout quand on découvre la trame de fond du roman, riche, résolument ancrée dans la science-fiction avec un zeste de post-apocalypse savamment gérée par les Dieux. On suit donc la quête d’un Dieu progressiste, doté d’une volonté farouche d’éradication du système actuel. Le style ne fait pas dans la fioriture mais se l’écriture coule et les pages se tournent sans que l’on s’en rende compte. Arrive la fin, le dénouement et un terrible sentiment de manque, j’en aurais bien repris pour 200 ou 300 pages. Vraiment brillant.

Royaumes d’ombre et de lumière m’a laissé quant à lui un peu plus dubitatif, lâchant sur moi autant de vagues de plaisir que de frustration. L’univers que Zelazny a tissé dans ce roman est complexe, sa structure aussi et s’il injecte au fur et à mesure des explications parcellaires, j’ai peiné au final à visualiser, à appréhender cet univers. Du côté de la trame narrative, c’est en revanche un régal avec une brochette d’immortels grimés en dieux du panthéon égyptien. Luttes de pouvoir, retours tonitruants de ceux que l’on croyait déchus, pouvoirs extraordinaires et gestion des marées de la Vie et de la Mort. Zelazny s’est au final approprié le mysticisme des « Maisons » égyptiennes, l’intégrant dans un cadre futuriste quelque peu bouleversant. Sans connaissances préalables, j’ai parfois été perdu, largué, frustré. Alors peut-être me faudrait-il un peu plus de culture générale pour me l’approprier complètement ?

Enfin, L’œil du Chat, un roman mené tambour battant générant moult réflexions sur l’identité, sur la quête de sens, sur l’étrangeté d’un monde qui nous est désormais étranger et qui, s’il ne nous rejette pas, ne nous considère jamais vraiment intégré. Le roman oscille entre chasse à l’homme, discussions philosophiques, immersions dans le crâne du pisteur, visions chamaniques et nous perd d’ailleurs parfois dans ces dernières. Impossible de s’en sortir, j’ai eu un peu de mal à m’accrocher, à ne pas sauter les pages de ces passages tant leur étrangeté est puissante. J’aurais peut-être du prendre un peu de peyote… mais c’était malgré tout fort bon et plaisant à lire.

Si j’ai bien quelques réserves à émettre, l’ensemble constitué par ces trois romans est excellent et cohérent. De là à dire qu’il s’agit d’une petite bible Zelazny à posséder absolument, il n’y a qu’un pas que je franchis allégrement, ne serait-ce que pour le fabuleux Seigneur de Lumière.