Essai – Alpine A110 Premiere Edition

Il est des essais plus sensibles que les autres, plus chargés en émotion, plus intenses en attentes, tressaillements et fébrilités, impatiences et frustrations. L’Alpine A110, dans sa déclinaison Premiere Edition limitée à 1955 exemplaires, est de ceux-ci. Les raisons sont multiples et je ne peux à dire vrai les passer sous silence, tant ils participent du retard d’écriture et de ma volonté de prendre mon temps pour clore ce que j’espère être un premier chapitre de contact avec l’objet passionnel.

Passion dit frustration, souvent. L’Alpine A110 s’est longuement faite attendre, terriblement longuement à dire vrai, plus encore que des supercars, plus encore que des monstres de sportivité pesant pour 3, 4 ou même 5 fois son prix. Voir le terrain de jeu des essais presse et saliver. Voir les multiples essais et roadtrips de la presse nationale et internationale. Attendre. Attendre. Attendre.

Priorisation logique combinée à une réelle rareté des voitures disponibles. Et puis un créneau d’essai calé, validé et que j’annule au dernier moment, météo infâme oblige. C’était en novembre 2018, soit déjà un an après les essais presse. Avril 2019, enfin. Le Cantal… ah eh bien non en fait, météo infâme encore et migration au sud.

Enfin. J’apprends aussi que la voiture a failli me passer sous le nez au dernier moment. Mais voilà, la frustration laisse place à la passion. Sera-t-elle à la hauteur de l’attente ?

La pression est retombée, ceci dit. Depuis le temps, tout a été dit sur cette voiture, réincarnation moderne de la légendaire berlinette qui me fascinait, enfant et adolescent. Mon père en voulait une (l’ancienne), je partageais avec lui ce rêve de gosse. Il ne l’aura jamais eue quand moi, j’ai eu cette chance d’avoir la nouvelle « pour moi », pendant 2600 splendides kilomètres et 5 belles journées. De nombreux passionnés de la chose automobile ont une petite histoire avec l’Alpine A110. Voici la première pierre de la mienne, familiale.

La seconde est professionnelle… Je ne mêle jamais directement mon travail à ce blog et je fais une petite exception pour l’Alpine A110. Cette voiture est l’une de mes plus grandes frustrations professionnelles, tout simplement. J’ai participé avec quelques collègues, à la phase d’acquisition de cette fantastique auto, malheureusement sans succès à la fin, Renault Sport ayant privilégié leur partenaire de longue date, Brembo.

C’était une période intense, entamée avec SAAC et en interface directe avec ces sorciers passionnés et à dire vrai géniaux de Caterham. Ils étaient dans nos locaux, enthousiastes, partageant à l’époque les premières spécifications. J’avais le cahier des charges perfo sous les yeux et je sautillais de joie d’avance.

Patatras, ce fut la fin de SAAC et tout fut à refaire avec les équipes Renault, avec énormément de motivation, d’échanges et de tentatives de persuasion, avec un planning à tenir aussi tout à fait délirant et dont on savait bien qu’il dériverait. On la voulait, cette Alpine A110.

Las, la déception fut à la hauteur de la passion engagée, en sous-marin de nos patrons qui ne pensaient pas qu’il soit pertinent d’aller chercher ce produit image pourtant porte d’entrée du groupe Renault-Nissan. De plus, des freins français dans une voiture française, ça avait de la gueule, non ?

Alors voilà, j’ai raté l’opportunité de bosser avec ces gens que je sais fantastiques et j’ai aussi raté la chance de mettre mes fesses dans un proto avant tout le monde. Vous comprendrez donc à quel point cette attente supplémentaire d’une année et demi fut un calvaire !

J’entame donc cet essai avec tout ce bagage, cet historique, un rien pesant mais passionné, oppressant mais enthousiasmant. Je ne suis pas inquiet. Comme je le disais : tout a été dit, elle est jugée merveilleuse, elle retourne les esprits les plus germaniques et a même reçu le plébiscite de la presse anglaise. Imaginez donc, une petite française qui convertit nos voisins les plus exclusifs, exigeants et pourtant habitués aux ORNIs les plus délirants, réglementation sympathique oblige.

Mais voilà, forcément, quand je me retrouve dans le parking avec la clé en main et qu’elle s’ouvre, j’ai la larme qui monte un brin et le palpitant qui tambourine sur le bord des lèvres. Cela commence fort, côté émotions. Il y a aussi ce sourire qui fait mal, vous savez ? Comme quand on rigole très fort pendant longtemps et que le zygomatique demande à être hydraté pour éviter de choper une vilaine crampe.

L’Alpine A110, quand je me glisse dans le baquet de gauche pour la première fois, c’est tout ça.

Je dois laisser passer un peu de cette émotion pour retrouver mes esprits et vous parler de la voiture car finalement, pour le moment, je n’ai guère fait que vous parler de ma relation à cette voiture. Les tripes c’est bien, mais un peu de détails, c’est pas mal non plus. 2600 km plus tard donc et surtout quasiment 3 mois après l’essai (les anciens comparses du GDB, JUGEZ MOI !), je me penche à nouveau sur mes photos et tressaille. Cette ligne…

L’Alpine A110 est sublime. Faut-il aller dans le détail ? Je ne sais pas, je ne trouve à dire vrai rien à jeter dans ce coup de crayon qui ne révolutionne pas la forme originale mais la modernise et lui rend un hommage appuyé, justifié aussi. Les potentiels acquéreurs amoureux de la grand-mère des années 70 n’en attendaient pas moins, les nouveaux acquéreurs font quant à eux face à une auto compacte, racée, charismatique aussi.

Le regard ne fait pas tout mais il y participe grandement. Qu’ils sont beaux, ces quatre petits yeux qui vous regardent, joliment cerclés d’un trait de LED identifiable de loin… Il y a juste devant eux le blason. A L P I N E. On ne se trompe pas, impossible. Le capot pointe vers l’avant, creusé, ajusté, galbant les ailes à la fois bien larges et étroites. Le gabarit de l’auto n’a cessé de m’étonner pendant cette quasi-semaine.

L’Alpine A110 est compacte, basse, pas si large en mesure réelle à dire vrai, mais elle en impose tout en semblant être un vrai jouet dans la circulation quotidienne peuplée de SUVs plus ou moins massifs. Une citadine semble même grande à ses côtés, tant on est près de la route, bien ajusté dans le baquet, le regard semblant toujours monter pour sourire en retour à celles et ceux qui la regardent avec affection. Ils sont si nombreux.

Si l’on excepte la belle robe bleue, il y a de nombreux autres détails qui attirent l’oeil, sans lui taper dessus. C’est aussi là la grande force de cette Alpine A110 qui s’impose sans trop en faire, comme une somme d’évidences. Les roues ajourées recouvrant des étriers fixes portant le nom de la maison et sa couleur. Un beau A fléché sur la trappe d’essence, évidemment située à l’avant. Les prises d’air sur la face avant, évidemment fonctionnelles pour rafraîchir les pinces sus-citées et aider à l’aéro. Ces bossages sur le capot, si délicieux. Le petit drapeau français au niveau des prises d’air du moteur ? Mignonne attention.

On transite ainsi vers l’arrière, en continuant ce faisant de tomber de plus en plus amoureux de l’auto, oubliant toute prétendue objectivité journalistique. En même temps, vous vous attendiez à autre chose ? Pas moi. A l’arrière donc, il y a ce galbe des roues arrières, avec des hanches musculeuses et cette grande vitre respirant par le bas pour soulager le nouveau bloc 1.8L qui anime l’Alpine A110. L’échappement central est presque classique après tout ça, chromé quand je l’aurais peut-être mieux vu noir pour s’intégrer complètement au diffuseur. Et la signature lumineuse des feux arrière avec la petite fossette sur le capot ? J’adore.

Je le disais, vous n’êtes pas surpris : il n’y a rien, mais alors rien à jeter dans le coup de crayon de cette nouvelle Alpine A110 qui surfe entre l’hommage nécessaire et mérité et la réinterprétation elle aussi nécessaire mais surtout réussie de la légendaire berlinette qui surfait sur les routes du Championnat du Monde des Rallyes. Oh tiens, c’est d’ailleurs elle qui m’a donné envie d’écrire mon mémoire de fin de DUT sur l’évolution dudit championnat sur trois décennies…

La légèreté de la ligne et la compacité, allant bien avec la petite tonne annoncée et mesurée ici et là, tranche avec la sensation d’espace à l’intérieur de l’habitacle. Point de toit vitré et des surfaces vitrées somme toute réduites mais cela n’empêche pas de se sentir à l’aise. Il faut dire que les exceptionnels baquets de cette Premier Edition de l’Alpine A110 épousent les rebords de la cabine, finement ciselés et revêtus d’un cuir matelassé rendant ici aussi hommage à l’aïeule dieppoise.

On pourrait croire que le confort en pâtit mais il n’en est rien. Ma compagne étalon, celle qui juge les sièges sans pitié (et les autos avec) adore ces baquets de l’Alpine A110 et en est ressortie – comme moi d’ailleurs – fraîche comme un gardon à peine pêché ! Le confort de ces coques allégées est insoupçonnable au regard, il faut les expérimenter pour se rendre compte, 1500 km d’autoroute et 2600 km au total plus loin, qu’il ne se fait pour ainsi dire rien de mieux dans le domaine.

Aucun mal de dos, aucune crispation, un maintien idéal pour rouler sur le long cours comme pour prendre pas mal d’accélération latérale, j’ai été positivement « choqué » par ces sièges qui doivent compter pour beaucoup dans le prix total de l’auto, en compagnie de cette grande somme d’aluminium et de procédé d’assemblage qu’il a fallu réapprendre.

On appréciera au passage le joli travail sur les portières avec un rappel du matelassage et le retour du drapeau français dans un coin de la sellerie. Les poignées allégées avec cette petite lanière de cuir sont également séduisantes. Le haut des baquets est également bien travaillé pour accueillir un casque même si c’est tout sauf le lieu d’exploitation idéal de cette définition de l’Alpine A110.

Plus étonnant, le style des haut-parleurs interpelle, très ajouré et autorisant à dire vrai quelques pénétrations pas trop souhaitées du côté de la membrane. Probabilité ? Faible. Mais bizarre tout de même. Au final, tout cela fleure bon le bel apparat mais ne revêt tout de même pas les atours du premium et l’Alpine A110 trahit assez rapidement sa nature de « Renault ».

Ce n’est pas une Porsche, en somme, pour ce qui est de l’habitacle, même si c’est plus qu’honnête et qu’il y a un gap avec le reste du groupe sur quelques éléments clé. Les efforts consentis sur l’assise sont remarquables, tout comme ceux sur la sélection du cuir ou encore quelques éléments de design. En revanche, certains matériaux ou composants communs peuvent choquer à ce prix.

Il ne faut pas oublier que cette Alpine A110 sort de nulle part et non d’une gamme de sportives établie et maintenue depuis plusieurs décennies. Difficile par conséquent de lui en demander beaucoup plus et je suis certain que nombre de propriétaires ne s’y tromperont pas et lui passeront ses quelques défauts et défaillances.

Il y a d’autres motifs de satisfaction ou d’agacement dans cet habitacle qui a nécessité sûrement pas mal de compromis pour ne pas alourdir la note finale et se retrouver hors compétition puisque l’Alpine A110 se place aujourd’hui idéalement face à la concurrence, sans demander 20 ou 30k€ d’options pour ressembler à quelque chose à l’intérieur ou pour aller à son niveau d’un point de vue dynamique.

Au registre des petits bonheurs, on nommera les petits détails comme le joli pédalier alu et le repose-pieds du même matériau pour le sac de sable du baquet de droite ; mais aussi la jolie découpe et le positionnement des commandes de la console centrale, aérienne au centre de l’habitacle. Quelques détails pseudo sportifs se remarquent aussi au dessus des compteurs ou encore le vide poche à l’avant de l’arche centrale. Réussi ? Pas sûr.

En revanche, il y donc matière à grogner un peu avec la partie basse de l’arche censée servir de vide poches mais tout à fait inaccessible sauf à reculer complètement les baquets en butée. Le « vide poche » devant les commandes de la boîte EDC s’avère lui incapable de tenir un smartphone en conduite dynamique et puis il y a toujours ces fichues palettes de boîte, trop courtes, à cause de Mr Comodo radio qui ne veut toujours pas mourir en 2019.

Encore raté. L’Alpine A110 était pourtant la bonne occasion de le flinguer une bonne fois pour toutes ! M’a tellement agacé que je l’ai pas pris en photo, tiens… ahah. Mention grand coeur en revanche pour le volant avec un poil d’alcantara, pile à la bonne dimension, tenant bien en main et allégé en fonctions. (bon, l’A110 a toujours ses touches de déclenchement régulateur / limiteur au milieu de l’habitacle… ça aussi ça mourra bien un jour)

Mais, mais, mais, c’est qu’on dirait un vieux ronchon qui ronchonne ça ? Oui. Et c’est pas fini. Les baquets et la position de conduite, aussi parfaits soient-ils, n’arrivent pas à me faire oublier la déplorable interface du système infotainment, ressemblant tristement à celle du Suzuki Jimny. Sur un Jimny, c’est ok. Sur une Alpine A110 à 60k€, c’est nettement moins cool, surtout que ça n’embarque ni Android Auto, ni Apple CarPlay mais une solution de mirroring smartphone qui plante 90 fois sur 100. Insupportable.

Heureusement, les compteurs situés derrière le volant se défendent avec une jolie interface et ergonomie, forçant le conducteur à se concentrer sur ce qui est essentiel : la conduite. Bon, sauf qu’on n’est pas non plus tout le temps en train de « conduire » et qu’une interface digne de ce nom serait la bienvenue pour les trajets dodo/boulot/dodo pour lesquels l’Alpine A110 est curieusement parfaitement faite également.

Bon, allez, je grogne, mais je dois avouer malgré tout qu’à chaque fois que j’ouvrais la portière, côté conducteur ou passager, j’avais un petit pincement au coeur en découvrant cet habitacle spacieux qui invite avant tout à s’installer, démarrer le moteur et rouler, rouler, rouler, à n’en plus finir.

Et voilà, j’avais prévenu, on pardonne à l’Alpine A110 tous ses défauts. Mais bordel, changez moi cette interface et collez-y Apple CarPlay, cela vaut tous les relevés perfo bien pensés mais dont on ne se sert finalement que peu au quotidien.

Finissons-en également avec les considérations pratiques. Les coffres ? Quels coffres ? Partir 5 jours à 2, pas très gourmands en espace ? Faisable ? Avec plein de tenues et en mode chico-chic ? Un gros nope. L’Alpine A110 s’envisage de façon spartiate car s’il y a un peu de place derrière les baquets et qu’on arrive à loger pas mal de sacs mous et de choses dans les deux coffres à l’avant ou à l’arrière, l’espace reste assez limité.

J’envisageais l’an passé de partir 10 jours en Août dans les Alpes, avec les bâtons de randonnée et les vêtements pour la durée. Je me rends compte avec ces 5 jours dans les Pyrénées-Orientales avec le même équipement que je n’étais déjà pas loin de la capacité maximale, même si j’ai réussi à ramener quelques bêtises du sud. Il n’empêche, je suis sûr que ça se tente… (dit-il innocemment)

En somme, l’Alpine A110 n’est effectivement que peu dotée pour ce qui est de la capacité de stockage et obligera assurément ses propriétaires à des compromis, pas tant que ça en partant sur un weekend de 3-4 jours maximum. Pour aller plus loin et plus longtemps, il faudra être très (très) raisonnables sur les tenues, les chaussures et l’équipement. Je ne demande qu’à tester… (dit-il très très innocemment)

Bon. Cet article est déjà fleuve et riche de photos que je n’ai pas encore commencé à vous parler de sensations au volant. C’était à prévoir, tout a été déjà dit et pourtant, il y a tellement à raconter au sujet de cette voiture tant elle était attendue !

Me voilà de retour dans ce premier parking, au premier contact. D’une pression sur le bouton de démarrage situé au centre de l’auto, le petit quatre cylindres cubant 1.8 L développant 252 ch et 320 Nm s’éveille dans un grognement satisfaisant à l’oreille. Il vibre dans le dos mais pas trop, se signalant sans jamais devenir une gêne.

Le mode Normal est engagé et je me glisse dans la circulation de Boulogne, de Paris et enfin de Drancy. Je manque de me faire harponner par un imbécile planté sur son téléphone ; première occasion de voir que les Brembo ont un sacré mordant. La malédiction est conjurée, je peux continuer ma route et mon essai.

La boîte EDC se débrouille très bien dans ces conditions, se montrant douce et prévenante, progressive. Quelques hoquets se font sentir ici ou là, sur des rampes à très basse vitesse, quand elle hésite entre première et seconde, mais c’est le lot de beaucoup de boîtes, somme toute.

Le soir, je prends la route assez tôt, m’extrayant sans trop de souci de la circulation parisienne, testant aussi quelques raccords infâmes sur l’A86 et quelques nids de poules bien placés (nope). L’Alpine A110 reste douce encore dans ces conditions, ne se promenant pas sur la route, amortissant toutes ces petites choses sans jamais vous tasser ou casser une vertèbre.

Ce n’est pas un monstre de raideur et on peut définitivement l’envisager comme une voiture quotidienne tant elle est facile à vivre, relativement silencieuse et plutôt bien isolée du monde extérieur. Seules quelques vibrations du moteur et grondements de l’échappement vous rappelleront à quel point cette auto est vivante et attend de vous que vous la sollicitiez.

L’autoroute vers les Pyrénées-Orientales, traversant le Massif Central et les Causses, est une vraie merveille pour appréhender encore un peu plus le confort de roulage et de suspension de cette Alpine A110. La combinaison des baquets et de la qualité d’amortissement rendent le trajet, pourtant longuet, largement vivable. En fait, à mon arrivée à Céret, je me sentais autant en forme que si j’avais fait le trajet en Volvo !

Les grandes courbes de l’A75 sont aussi l’occasion de tester la stabilité de l’auto à plus haute vitesse. A allure légale, on a la sensation que l’Alpine A110 est une ballerine, passant de pointe en pointe, sur la fine bande de contact entre pneu et bitume. Elle est stable mais légère, fine, sensible, répondant à la direction avec un mélange d’indolence et de précision.

Ce n’est pas donc pas étonnant, à allure illégale et criminelle, de la trouver encore plus agile, nerveuse même. Il faut être fin dans les placements et corrections pour ne pas se sentir gêné. Avec sa suspension somme toute souple et sa légèreté, la haute vitesse n’est pas vraiment son domaine de prédilection.

Elle n’y est pas mal à l’aise mais elle n’y excelle pas. En même temps, une Alpine, ça s’imagine dans les Alpes. Dans les virolos.

Le lendemain, fort d’une bonne nuit avec un dos tout sauf en miettes, je me remets à son volant pour tester plus avant ce remarquable amortissement. Il y a dans l’arrière-pays de Perpignan quelques routes particulièrement étroites et sincèrement dégueulasses en terme de bosses, de cassis, de trous, de sauts, de déclivités et autres bouts penchés qui tendent à perturber fortement les petites GTi toutes raides ou les gros machins trop lourds à suspension pilotée.

Le terrain de jeu idéal pour une Alpine A110 telle que l’ont imaginée ses concepteurs et conceptrices ? Tout à fait. J’enclenche le mode Sport (une pression sur le bouton éponyme au volant) et l’auto prend tout de suite une bonne dose de hargne ! A l’échappement, à la réponse moteur, à la direction, tout est plus précis, plus fin, plus alerte, plus pétaradant. L’ESC est toujours activé et veille au grain. Il faut apprendre à se connaître.

Dans ces conditions et sur d’aussi petites routes, il faut garder la tête sacrément froide tant l’Alpine A110 en demande, en redemande, hurle pour en avoir encore plus, toujours plus. Mais diantre, elle avale toutes les bosses, toutes ! Pas de perte d’adhérence, pas de gesticulations de l’ABS, pas d’allumage du contrôle de traction, elle enchaîne les courbes, se jetant dans les cordes dès que la visibilité l’autorise.

Mais QUELLE PUTAIN DE MERVEILLE ! Pardon, j’ai crié en écrivant et en me souvenant. Le sourire sur mon visage devant mon clavier est le même qu’à l’époque et je suis à deux doigts de rigoler nerveusement comme cela fut le cas de nombreuses fois pendant ce long weekend. Les freins sont là pour rassurer, toujours, tandis que la direction ne déçoit jamais.

Sans rire, les limites sont trop loin sur une route comme celle-ci pour aller encore plus vite. Mais le bonheur dans tout ça, c’est que l’Alpine A110 est comme une Caterham, une Miata, une Lotus et quelques autres poids plume : elle n’a pas besoin d’aller très vite pour vous procurer des plaisirs inavouables en bonne société autophobe. Nul besoin de franchir la sacro-sainte nouvelle limite des 80 km/h pour vous vriller les zygomatiques !

Elle est pas belle la vie au gré des pétarades de cet échappement tellement plus communicatif que sur la Megane R.S. (bon, la Trophy a remis les pendules à l’heure, ne pas tirer sur l’ambulance) ? C’est qu’il commencerait même à faire chaud dans l’habitacle, que les mains ont un peu chaud à force de faire bouger le cerceau et qu’à force de monter et descendre de la montagne et de l’auto, je suis en sueur. Mais quel bonheur et quelle formidable confirmation de la majesté de cet amortissement.

Le jour même, je me rends sur le littoral de la côte Vermeille, l’occasion encore de savourer le bonheur de rouler dans cette berlinette. L’auto, certes très bien vendue, reste rare et elle attire les passionnés, voire les amoureux. Beaucoup de discussions, beaucoup de photos, beaucoup d’appréciations, quelques-uns qui demandent à s’installer à bord aussi, timides. La réponse est toujours oui. La passion, ça se partage.

La route des Crêtes m’accueille pour quelques photos au soleil couchant, tandis que les entrées maritimes ont pris le pouvoir sur le bleu du ciel. La route est ici bien plus propre et roulante, étroite toujours, avec des à-pic inquiétants sur les bords. Il faut ici encore garder la tête froide car l’Alpine A110 est encore une fois dans son élément.

De virage en virage, elle plonge et se cabre, se cale sur l’appui bien franc de ses pneus si gluants et gourmands d’asphalte. Les Mich’ Pilot Sport 4 adaptés à l’auto sont excellents, légèrement glissants à froid, bien collants à chaud et raides ce qu’il faut pour s’équilibrer avec les mouvements de caisse.

Il faut dire qu’avec toutes les voitures modernes essayées ici, on a plutôt l’habitude de caisses très verrouillées, ultra fermes, plongeant très peu et se cabrant encore moins. L’A110 prend le contrepied de tout ça pour autoriser quelques mouvements que l’A110S verrouillera sûrement pour une utilisation plus typée « piste ».

Celui qui exploite une Alpine A110 sur circuit et non pas sur route s’est un peu trompé d’auto je pense car ces mouvements, si savoureux sur route pour vraiment sentir les variations de l’asphalte et le placement de l’auto, seront plus gênants qu’autre chose sur un circuit où la rigueur prévaut.

Je commence en tout cas à me sentir particulièrement à l’aise au volant, sentant le châssis pivoter autour de son point milieu, rendant ce qu’il faut d’information dans mes reins au travers des coques Sabelt. La confiance que donne cette auto est l’une de ses caractéristiques les plus remarquables : on la « sent » comme on n’avait plus senti d’auto depuis longtemps.

Alors que la confiance croît et que la connaissance de l’auto et de certains de ses comportements s’affine, la tentation est grande désormais d’allumer le mode Track. L’ESC se relâche (non pas qu’il ait bossé des masses ces derniers jours), tout en sachant qu’il est possible de le désactiver dans n’importe quel mode. J’ai testé la boîte en automatique ou en manuel, j’avoue que mon coeur balance.

La boîte EDC est vraiment plus intelligente qu’auparavant et fait montre de ce qu’il faut de vitesse et d’adaptation mais ce n’est tout de même pas encore une PDK côté rapidité. En mode Sport, on peut envisager de rester en D même si j’ai pour ma part adorer manipuler en permanence les petites palettes (coucou Mr Comodo…).

En Track, c’est l’engagement maximal qui est demandé et après l’appui long sur le bouton Sport qui permet d’enclencher le mode, on appuie également sur la touche D de la console centrale pour passer en Manuel. La couleur bleue du cerclage lumineux confirme que la boîte est comme il faut. L’auto est chaude. Il est temps de tester une nouvelle route, plus large et roulante, avec une visibilité idéale.

Je mets les gaz… et ça tire à l’arrière. Le frein de parking Brembo est d’une lenteur assez gênante au serrage comme au desserrage. Oubliez les « drive-away » des véhicules modernes, le mieux est clairement de bien penser à desserrer avant de partir en trombe ! Vous allez me dire que je ne suis pas objectif puisque c’est la concurrence ? Non, la concurrence est au niveau ; là, c’est bien en deçà.

Enfin bref, c’est bon, mode Track, boîte en mode M, échappement qui s’ouvre et crépite, pétarade, jappe, l’élastique toujours tendu qu’est l’Alpine A110 montre encore un nouveau visage, celui d’une petite folie furieuse qui s’arrache des virages en contrebraquant, avec des jetés à la corde qui ont tout de coups de fusil et de relances du même acabit, mais à double canon !

MAIS QUELLE … ah non je l’ai déjà faite, celle-là. Mais ça mérite encore, tant c’est bon. Y a-t-il voiture plus enthousiasmante, légère, agile et communicative, sur le marché ? Non. Ces dix dernières années de blog ? Non plus. Oh, il y a bien des choses plus furieuses chez Cat’, Lotus ou Donkervoort mais ces autos ne peuvent rivaliser en polyvalence… Porsche ? Il faut que je me remette au volant d’un Cayman mais franchement… le flat4 va avoir du boulot…

Elles sont rares, les voitures qui me font dire tous les soirs en rentrant de visite, randonnée ou balade : « attends, je repars faire un tour… ». Le tour en question dure 70 km et c’est une bouclette absolument géniale depuis Céret, des enchaînements de virages fantastiques tout du long, des villages magnifiques où l’auto génère une quantité jamais vue de pouces levés…

Tous les soirs, la bouclette. Tous les jours aussi, de nouvelles routes, comme celles du Cap Creus et celle de la côte Vermeille, entre ce promontoire de la Catalogne où les coups de fusil de l’échappement ont longuement résonné, tandis que les grandes courbes de la côte étaient autant de raisons de sourire bêtement tandis qu’à ma droite, on me regardait d’un oeil pas très tendre. Ahem.

L’Alpine A110 est… je manque de qualificatifs. Tout a déjà été dit. Même les cyclistes en ce dimanche matin du départ ont levé le pouce et souri béatement en me voyant passer, à allure tout à fait légale mais engagée (nota : je faisais bien attention à ne pas les mettre en danger, c’est aussi ça le jeu et le respect). Que puis-je dire de plus ? J’ai l’impression déjà que cet article est long, long, long. Il y a tant à dire, tant de sensations, tant de bonheurs au volant…

Le pire dans tout ça ? C’est que même en jouant furieusement de l’élastique (4.5 s sur le 0-100 km/h, pour rappel), à taper comme un grand gosse sur le second, le troisième et le quatrième rapports, j’ai réussi à finir mes 2600 km avec une conso moyenne de 8.9 L/100. Le poids, c’est l’ennemi. Du dynamisme vous l’aurez compris, mais bien évidemment aussi de la consommation.

Que dire de plus… non ça y est, je sèche. La boîte est un peu lente. Le moteur est communicatif, un vrai petit bouilleur bien servi par un échappement pétillant. La motricité est increvable. L’ESC est calibré pour qu’en mode Track, vous sortiez partout en crabe. La direction est légère mais réactive et précise. Le train avant indique toujours ce qu’il est en train de faire. Bref : un châssis équilibré comme jamais.

Les suspensions ? Parfaites, je vous l’ai dit en long, en large et en travers. Oh, les travers en sortie de courbe à 60, 70 ou 80. D’un léger contre-braquage et ensuite d’un petit claquement de palettes l’élastique qui se détend de nouveau pour atteindre… ah non mince, illégal. Frein, frein, frein. Increvables, eux aussi, même si ça couine fort en refroidissant. On s’en fout, l’essentiel est ailleurs.

Trois mois déjà. Trois mois et les sensations, les souvenirs, les sentiments, qui sont toujours là, brûlants. L’Alpine A110 s’est faite attendre, depuis ce moment où je discutais avec les équipes en charge de sa conception, depuis ces premiers essais presse, pendant cette attente interminable pour enfin en prendre le volant.

L’attente était-elle méritée ? Non. Enfin oui, mais non. C’était un supplice que d’attendre car je la savais exceptionnelle, je n’en doutais pas une seule seconde. Cet essai est venu me confirmer tout ce que je soupçonnais déjà, tout ce que j’avais lu aussi sur elle, tout ce que j’espérais aussi.

L’Alpine A110 est merveilleusement bien née, elle représente l’archétype d’une race d’automobile en voie d’extinction, celle des plaisirs simples, des poids et consommations très raisonnables, du voyage, de la route que l’on emprunte pour le seul plaisir de rouler, de se perdre, de chercher le bel angle de vue et le bon angle au volant…

Trop de positif ? Pas assez d’objectivité ? Je ne sais pas. Je crois bien que si. Elle n’est pas exempte de tout défaut et il y a encore du travail pour atteindre la perfection dans tous les domaines. Plus de coffre, plus d’habitabilité, plus de qualité perçue dans l’habitacle, oui, ce serait mieux.

Mais voilà, les équipes en charge du développement ont bien choisi, bien tranché, bien trouvé les compromis puisque c’était de toute façon nécessaire, toujours au service de ce qui est essentiel quand on s’appelle Alpine et qu’on porte le patronyme A110.

Il faut être à la hauteur d’une légende de la conduite, du pilotage même. Pas de doute sur ce point, l’Alpine A110 est au niveau et oui, l’attente était méritée car nous avons là l’auto de la décennie et il me tarde de la retrouver.

Pourvu que l’attente soit moins longue, il y a tant de routes qui la méritent…