Contes de la fée verte – Poppy Z. Brite

Poppy Z. Brite. Quel nom étrange au premier abord, un nom que je ne connaissais absolument pas mais la description de ce qu’elle écrit m’a conquis, m’a intrigué, m’a donné envie de plonger en eaux troubles. Car troubles, ces eaux toujours proches de la Nouvelle-Orléans le sont et c’est Dan Simmons lui-même qui nous en parle dans une préface brillante et enthousiaste, un exercice rare de sa part. Or, vous savez tout l’amour que j’ai pour Dan Simmons. En le sachant aimer Poppy Z. Brite, je me suis dit que la suite serait logique, que j’aimerais moi aussi la prose de cette dame.

Que se passe-t-il lorsque deux frères siamois séparés à la naissance n’ont qu’un seul souhait : redevenir un ? Quand chaque apparition d’un chanteur de rock s’accompagne d’un drame? Quand un entrepreneur de pompes funèbres du quartier de Chinatown vous charge de surveiller un cadavre ? Et quand vous vous perdez dans Calcutta livrée aux morts-vivants ?
Tout le talent de Poppy Z. Brite se dévoile dans ces douze nouvelles à l’odeur de souffre et au goût d’absinthe, dont «Calcutta, seigneur des nerfs», récompensée par le Grand Prix de l’Imaginaire 1998.

On commence par « Anges », la nouvelle parlant de ces frères siamois souhaitant être de nouveau unis. On plonge au cœur de l’Amérique, dans une ferme où vivent ces deux êtres pas comme les autres rencontrant Steve et Ghost, deux jeunes gens pas vraiment ordinaires non plus. Une nouvelle bouleversante sur cette destinée hors du commun, celle de jumeaux qui ont été séparés alors qu’ils ne l’avaient pas demandé. Le « Conte georgien » qui fait suite à « Anges » est étrange, saignante, elle nous raconte l’expérience partagée par quatre jeunes hommes au dernier étage d’une église squattée par leurs soins. Destruction, création, expérimentations et amour. Le tout pour finir aux portes des enfers.

Ensuite, « Sa bouche aura le goût de la fée verte », une histoire emplie de la folie de deux êtres blasés que rien n’arrête, qui cherchent toujours à aller plus loin dans leur quête de sensations. Jusqu’à se frotter au vaudou. Jusqu’à goûter l’absinthe et rencontrer celui dont la bouche a son goût. C’est noir, c’est profondément morbide et pourtant, c’est d’une beauté à couper le souffle.

« Musique en option avec voix et piano » est quant à elle une ode à la musique, à la chanson et aux émotions qu’elle génère quand notre corps est touché par la grâce d’un génie. Cette nouvelle s’échelonne sur trois périodes dont deux passées qui nous éclairent sur le présent de ce génie retiré du monde. Une nouvelle qui oscille entre beauté et horreur, toujours parsemée d’émotion.

« Xénophobie » nous plonge quant à elle dans l’horreur de ces deux hommes à qui l’on propose de garder un cadavre en plein Chinatown… Je vous laisse lire, c’est glauque et dérangeant au possible. « La sixième sentinelle » est quant à elle une splendide nouvelle d’amour et de destins brisés et déchirés, matinée d’horreur, de putréfaction et de blessures morales insondables si ce n’est par un fantôme. La fin nous laisse étrangement sereins, tempérant l’horreur par la sensation de libération. Splendide.

« Disparu » est une nouvelle ode à l’amour, les « Traces de pas dans l’eau » sont à lire absolument, tout comme « Prise de tête à New York », une plongée dans ce que peut être l’enfer de nos villes, leurs névroses, leurs personnages…

Enfin, « Calcutta, seigneur des nerfs » est la nouvelle qui a révélé Poppy Z. Brite à Dan Simmons. Celui-ci à écrit « le Chant de Kali« , un roman d’une noirceur rare, splendide, éblouissant même. On comprend donc que Simmons ait été quelque peu circonspect en voyant une gamine arriver avec une nouvelle sur sa ville ! Et on comprend son ébahissement à la lecture de cette nouvelle. Calcutta y est encore plus noire, encore plus oppressante, encore plus inhumaine peuplée de ses morts. Une vraie bonne histoire de zombies, ça change !

« Paternité » suit, une bouleversante histoire d’un couple confronté à l’horreur de la perte de l’être cher mais aussi confronté à sa propre déchéance. D’une terrible banalité, malheureusement, mais Poppy Z. Brite arrive à insuffler dans ce cynique constat toute la force de son écriture. Et enfin, « Cendres du souvenir, poussière du désir » est elle aussi d’une beauté à couper le souffle. Je vous laisse la découvrir.

En bref, pas besoin de résumé, vous aurez compris que j’ai dévoré ce recueil de nouvelles avec un bonheur certain mêlé de beaucoup d’horreur et de sentiment d’oppression. J’ai d’ailleurs plutôt mal dormi pendant plusieurs nuits tandis que je lisais ces textes. Reste la puissance de l’écriture, la qualité de la musique des mots et les univers gothiques-underground-vaudou-cequevousvoudrez que Poppy Z. Brite crée autour de sa propre expérience, autour de son ressenti des villes qui l’entourent ou l’ont entourée. Folio SF nous fait un bien beau cadeau en rééditant cet ouvrage épuisé partout ailleurs. Si vous êtes sensibles à ces univers et à ces histoires, vous devriez bien vite pour le procurer et le dévorer.

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