Essai – Mercedes-AMG G 63

Classe G. Cette auto singulière de la gamme Mercedes, antérieure à la création des « classes » justement, a toujours eu une aura bien particulière depuis son lancement en partenariat avec Magna Steyr. Je n’étais d’ailleurs pas né mais c’était l’auto à tout faire, à tout franchir, le véhicule le plus rustique et capable de la production du constructeur étoilé. Alors bien sûr, à compter de 1993 (là j’étais né), il s’est un peu embourgeoisé mais a toujours conservé son architecture antédiluvienne, ses trois différentiels à verrouiller à l’envi et son extrême praticité le positionnant régulièrement face à la gamme Range Rover, Defender et autres.

Les planètes ne s’étant jamais alignées, je n’ai malheureusement jamais pu me mettre au volant de cette drôle de bagnole posée sur deux essieux rigides, au comportement dynamique… inexistant et pourtant hautement attachant si j’ai bien compris. Ce constat était d’autant plus vrai pour les versions 63 AMG, voire 65 AMG si je ne dis pas de bêtises, la « phase II » du Classe G ayant aussi bien accueilli des V8 que des V12 ! Du grand délire, rendant encore plus singulière la singularité, franchissant même gaiment le rubicon de l’acceptabilité sociale en proposant un mariage totalement délirant et donc forcément désirable et indispensable.

Quarante après sa première introduction, ce Mercedes-AMG G 63 a rendu les armes pour être remplacé par une auto autrement plus moderne, refondue de fond en comble mais ne reniant pas ses origines, ses spécificités et son positionnement de grand baroudeur extrêmement capable. Cette fois-ci, les planètes se sont bel et bien alignées et j’ai pu me retrouver le temps d’un weekend au volant de cette légende automobile qu’est le G 63 AMG.

Evacuons tout de suite plusieurs questions qui pourraient fâcher. Le prix tout d’abord. 167 k€ en base pour un Mercedes-AMG G 63, 191 k€ pour ma version d’essai intégrant ce splendide gris mat (et dieu sait que je déteste le mat, à la base), les roues forgées en 22 pouces, du carbone en veux-tu en voilà et autres menues attentions intérieures avec notamment les sièges dynamiques très bienvenus, le superbe volant AMG ou encore la vitesse maximale relevée à 240 km/h.

Passons aussi un peu de temps sur la notion d’acceptabilité sociale d’un Mercedes-AMG G 63. Le rubicon est toujours franchi, il n’y a pas de débat, c’est une voiture absolument inutile, démesurée, dingue, une folie d’ingénieurs, qui a gaiment consommé 19.2 L/100 sur mes 470 km d’essai, une paille. Il s’en vend environ 35000 par an dans le monde, reste à savoir combien de versions AMG ? Voilà. Passons donc à l’essai. Le problème n’est pas cette auto mais bien ailleurs, c’est juste qu’elle est particulièrement « visible ».

Il y a de ce point de vue pas mal à dire sur ce drôle de monument automobile. Le gabarit extérieur de l’auto impressionne, c’est tout simplement choquant au premier abord mais cela devient totalement criant quand on « monte » dans la voiture, l’utilisation du marchepied à la montée comme à la descente devenant une évidence après avoir manqué chuter une fois ou deux.

Ce même gabarit saute furieusement aux yeux une fois dans la circulation… Le Mercedes-AMG G 63 se manoeuvre facilement grâce à une direction parfaitement assistée et grâce à des « coins » bien identifiés grâce aux clignotants positionnées aux coins du capot avant et une visibilité parfaite du côté des angles morts. En revanche, il domine totalement les alentours. On toise les conducteurs de Porsche Cayenne. On taille le bout de gras avec les conducteurs de gros utilitaires.

C’est un autre gabarit automobile auquel il faut s’habituer mais la position très élevée du poste de conduite permet une parfaite visibilité et un placement facile de l’auto dans un environnement urbain dense. Le respect des piétons et des cyclistes, ou des petites autos, est aisé pour quiconque est décidé à être un conducteur responsable. Oui, le Mercedes-AMG G 63 est gros et grand, n’a rien à faire dans une ville en première approche, mais on voit très bien tout ce qu’il se passe autour quand le trajet nous y amène.

Toujours en regardant l’extérieur, cette nouvelle génération du Classe G innove autant qu’elle reconduit ce qui a fait le charme et le caractère du mastodonte né en 1979. Les traits sont anguleux, taillés à grands coups de hache. La face avant intègre un regard circulaire caractéristique remis au goût des technologies actuelles, tandis que le pare-choc est tout simplement massif. La hauteur du capot, quand on s’en approche, donne l’impression qu’on pourrait s’y accouder avec difficulté.

Les charnières très basiques du capot comme des portières, avec leurs poignées et les protections latérales en plastique très brut et dur, participent de l’ambiance rugueuse qui se détache du Mercedes-AMG G 63. D’ailleurs, il ne faut pas hésiter à les claquer avec force pour les refermer, le son qui s’en dégage étant particulièrement métallique et rustique ! On est loin d’une Classe… A. Même pas besoin de parler de Classe S ici. Le G 63 est une auto totalement à part.

Au registre des multiples détails, on noter également les ailes et leurs extensions pour accepter le nécessaire et salvateur élargissement des voies allant avec la version AMG. Les deux doubles sorties d’échappement latérales sont un autre anachronisme qui m’a fait penser à certaines Caterham, ces trompettes se montrant particulièrement vivantes et sonores une fois les clapets ouverts et le moteur en charge. Un régal auditif pour qui est sensible à la chose mécanique.

N’oublions pas non plus le petit symbole AMG logé dans un insert en plastique ou encore les quelque peu ridicules (c’est affectueux) essuie-glace qui semblent effectivement dater de 1980 ! Les roues forgées et les étriers gigantesques à l’avant comme à l’arrière (en rouge, ça va plus vite) sont en revanche très modernes et splendides. Dernier point ? La roue de secours sur la porte arrière qui s’ouvre telle une portière et non comme un hayon et se claque également avec énergie, dévoilant un espace généreux sur lequel je reviendrai plus tard.

Non, vraiment, ce Mercedes-AMG G 63 mélange les genres avec beaucoup de bonheur. Des charnières, des joints rustiques, des portières qui claquent sec, des surfaces très simples et brutes. Une peinture très moderne, un regard et une calandre modernes et enfin une liaison au sol qui semble tout à fait de l’an 2021. Classicisme et modernité à la fois, cette refonte du Classe G est bienvenue et perpétue la légende.

A l’intérieur de l’habitacle, une fois hissé à bord à la force des bras ou avec l’aide du marchepied (il y a un coup à prendre… et une fois celui-ci pris, c’est plutôt la classe que de grimper dans cette auto !), on découvre un environnement autrement moins rustique que ce que la robe et les finitions extérieures prétendument brutes le laissent supposer. C’est très simple : le Mercedes-AMG G 63 embarque désormais l’essentiel de la technologie des autos de gamme supérieure de la marque, se permettant simplement le luxe d’avoir des composants spécifiques. Rien n’est trop beau pour lui…

Le matelassage des portières est splendide, avec une poignée d’ouverture toute en angles pour rappeler le design extérieur. On note avec étonnement la localisation des touches d’ouvertures de fenêtre et réglages de rétroviseurs sur la partie haute de la portière, c’est globalement inédit mais ça tombe à dire vrai pile sous la main quand le bras gauche s’étend négligemment sur le cuir. Les coutures et finitions sont irréprochables, tout comme le système son Burmester dont on retrouve les haut-parleurs un peu partout dans l’habitacle. A noter que ce système son couvre parfaitement bien les bruits d’air qui apparaissent à bonne vitesse, le Classe G poussant l’air plutôt qu’il ne le fend !

Les plus étonnants de ces derniers sont d’ailleurs ceux logés au pied du pare-brise dont la verticalité est stupéfiante. Ils sont rare, les pare-brises aussi verticaux, à dire vrai, preuve s’il en était encore besoin de la singularité de ce Classe G dans la production automobile. Si le volant sport AMG reprend le design et les touches configurables vues sur d’autres modèles Mercedes-AMG, le coeur de la console centrale abrite une autre spécificité du modèle, à savoir les touches permettant de verrouiller à 100% l’un ou l’autre des trois différentiels. Est-ce que j’ai essayé ? Non.

La revue de détails alternant classicisme de la marque et spécificités du Mercedes-AMG G 63 continue avec la drôle de poignée couverte de carbone sise en face du passager. Est-elle là pour se hisser dans l’auto ? Pour se tenir en tout-terrain ? Sûrement les deux. Sur le tunnel central, on retrouve une interface familière, elle aussi entourée d’un maximum de carbone, permettant de naviguer à la main dans les menus du grand écran central.

Pour ceux agiles du pouces, il est aussi possible d’en faire de même avec les petits pads tactiles situés sur le volant et introduits si mes souvenirs sont bons sur le renouvellement de la Classe E. L’interface MBUX Mercedes-Benz reste toujours une belle référence de complexité et praticité à la fois. Je m’y retrouve désormais sans peine mais il y a toujours un petit temps de réadaptation à ces petits pavés tactiles, l’un contrôlant l’écran sous mes yeux et l’autre celui à ma droite.

Si la qualité du système n’a pour le moment pas pris une ride, je ne manque pas sur le Classe G d’être impressionné par la prouesse qui a consisté à loger ces deux écrans au ras du pare-brise, sans la profondeur généreuse habituellement disponible ! Pour ne rien gâcher, les écrans sont également longés par une belle pièce de carbone, qui décidément pullule dans l’habitacle. Pas pour me déplaire, cela revient à mettre un bel écrin autour des deux écrans qui rythment l’expérience de conduite Mercedes. Est-ce qu’il y a trop de réglages possibles ? Oui. Est-ce que finalement, on met Apple CarPlay et qu’on paramètre l’écran conducteur sur le mode Sport pour ne plus en bouger ? Egalement oui.

Les deux derniers éléments de l’habitacle qui méritent un peu de description sont les sièges et le coffre. Oui, oui, le coffre, avec sa grande porte qui découvre un grand fond plat recouvert d’un tapis caoutchouc frappé d’un G tandis que la portière est quant à elle matelassée de cuir. Faites bien attention à ce que vous chargez dans le coffre, en somme… ! Le volume utile est en tout cas conséquent, devenant même très intéressant pour peu que l’on rabatte la banquette arrière. C’est simple, je partirais bien en road trip dans les Alpes avec un G diesel (ou avec un G 500 mais avec une carte essence…).

Trêve de boutade : les sièges ! Le confort de ces sièges spécifiques est royal malgré l’amortissement logiquement très raffermi du Mercedes-AMG G 63. Surtout, leur maintien est parfaitement réglable et intègre une compensation dynamique de la courbe dans laquelle on s’engage. Virez à gauche et le maintien latéral droit du siège viendra gentiment vous presser les côtes pour vous maintenir en position et compenser le fait que le centre de gravité de l’auto (et le vôtre) se trouve particulièrement haut. J’avais déjà pu tester avec un peu de circonspection une telle fonction dans l’ancienne Classe E 63 AMG ; j’ai trouvé la chose particulièrement pertinente sur le G.

Il y avait donc beaucoup à dire sur cet habitacle à la fois singulier, familier et à l’équipement pléthorique. Le contraire, pour une auto facturée quasiment 200 k€, aurait été quelque peu dommageable. Ce qui est indubitable toutefois, c’est que cet habitacle, aussi pratique soit-il, est désormais au même niveau de technologie embarquée que tout autre modèle de la gamme Mercedes-Benz ou Mercedes-AMG. Le temps où le Classe G et le Mercedes-AMG G 63 étaient de gros balourds hors-d’âge de ce point de vue est tout à fait révolu et voyager confortablement à bord de ce géant est désormais chose sûre et simple.

Voyager vite tout en préservant ce confort l’est également et c’est sûrement une plus grande nouveauté de ce Mercedes-AMG G 63, quand bien même je ne saurais le comparer à son prédécesseur, n’ayant donc pas eu l’occasion de rouler avec. Ce G embarque le désormais « classique » V8 4.0L, ici dans sa version développant 585 ch et 850 Nm. La boîte est également une habituée, à savoir la Speedshift à 9 rapports qui permet de jouer avec la montagne de couple précédemment annoncée et de s’accommoder de la coupure de la moitié des cylindres quand le rythme l’autorise.

Au démarrage, les quatre sorties d’échappement latérales grognent un bon coup, avant que le régime du V8 ne se stabilise dans un doux ronflement. Ce moteur mérite d’ailleurs que la touche d’ouverture des clapets soit activée, tant sa sonorité est addictive. En mode automatique, la mécanique déplace la masse du G 63 sans efforts particuliers. Il y a pourtant plus de 2500 kg à mouvoir, mais ce n’est pas un problème, la boîte 9 égrenant ses rapports entre 2500 et 3500 tr/min, à savoir la plage de couple maximum disponible.

Dans ces conditions, le Mercedes-AMG G 63 est un compagnon charmant et raisonnablement glouton, sonore mais pas trop, charismatique au possible. Stable, confortable et doté d’une tenue de caisse appréciable, il filtre également plutôt bien les imperfections de la route malgré un raidissement très significatif de sa suspension. Les chocs à basse vitesse ne remontent pas trop dans l’habitacle et la direction, logiquement très assistée, n’a pas la consistance d’un caramel mou pour autant.

En fait, si l’on fait fi de son gabarit, le G 63 se conduit comme un très gros utilitaire, agréable, confortable, bien équipé et maintenu, la poigne du V8 en plus pour s’extraire de la circulation, d’un virage ou d’une ornière. Je n’en attendais pas moins, évidemment, le train avant étant désormais équipé d’une liaison au sol conforme à l’état de l’art. La facilité de vie avec cette auto reste une surprise, si l’on conserve toujours bien en tête ses dimensions et sa masse gargantuesque.

Là où le Mercedes-AMG G 63 vient plus profondément choquer son conducteur, c’est quand le pied droit se fait lourd. On pourrait s’attendre à une saucisse qui vient se tordre, se déformer et peiner sous la charge mais il n’en est (presque) rien. Il y a déjà la mise et les remises en vitesse. Le V8, sollicité à pleine charge, explose à partir de 4000 tr/min pour rejoindre son régime maximal de 7000 (puissance à 6000). Ce n’est plus le grondement sourd des 2000 tr/min, c’est vraiment de la rage et la libération des 585 ch réussit à transporter le G 63 de 0 à 100 km/h en à peine 4,5 secondes.

Est-ce que notre cerveau réussit à assimiler le fait qu’une auto de plus de 2,5 tonnes se déplace aussi rapidement ? Difficilement. Les premières accélérations sont un choc, tant pour le déluge auditif que pour la mise en vitesse, velue et copieuse. Certes, des autos plus légères sont équipées du même moteur et accélèrent plus vite, certaines berlines ou compactes sauront également plus ou moins lui tenir la jambe mais le G 63 est un ogre qui avale le bitume et ne semble pas préoccupé par la quantité d’air qu’il doit pousser.

Alors bien sûr, on sent très bien la mise en contrainte du train arrière et le châssis semble parfois crier à l’aide mais il n’en est rien. La puissance passe au sol et le G sait aussi pivoter sur son train arrière pour peu qu’on y mette une grosse louche en sortie de virage serré (attention aux réactions… 2,5 tonnes, ça se respecte). La transmission intégrale calme en partie tout cela, tandis que la suspension fait son maximum pour éviter que le conducteur ne regarde le ciel à l’accélération. Et c’est réussi.

Là où tout cela devient encore plus surprenant, c’est quand les virages s’enchaînent et que le conducteur, soudainement, se dit qu’il conduirait bien ce gros camion comme il emmènerait la dernière petite GTi de ce monde d’avant. Suicidaire ? Pas vraiment. Le Mercedes-AMG G 63 sait faire et c’est bien la plus grande surprise de cet essai pour moi : il aime les virages.

Je me suis laissé dire que l’ancienne génération ne savait tout bonnement pas prendre les courbes, surtout pas si elles étaient successives. Les modes dynamiques engagés, on se surprend à partir à l’attaque de certaines courbes avec une drôle de gourmandise. Prendre les courbes avec une position si élevée reste une expérience surprenante, tandis que les maintiens des sièges, dynamiques, compensent la force centrifuge qui, centre de gravité haut oblige, tend à vouloir vous faire sortir de l’habitacle.

Le G reste quant à lui imperturbable, mordant la corde et s’extrayant avec toute la force de son merveilleux moteur pour se jeter dans le virage suivant. Reste la problématique du freinage et… disons que je ne m’amuserais à trop forcer dessus. Le système fait merveille sur quelques enchaînements et sa vigueur rassure, tout comme la consistance de la pédale. Quelques freinages appuyés me confirment que la chose est bien dimensionnée et performante, mais ai-je vraiment envie de savoir où est la limite ? Assurément pas.

Le Mercedes-AMG G 63 de nouvelle génération sait donc tout faire. Sait-il le faire très longtemps ? Je n’en ai aucune idée, même si je fais entière confiance aux ingénieurs allemands ayant présidé à sa conception. Le fait est qu’ils ont réussi une prouesse assez notable, à savoir rendre réellement dynamique ce qui était auparavant une grosse saucisse (avec tout le respect dû aux grosses saucisses) âgée de 50 ans et dotée d’un moteur beaucoup trop gros pour elle.

Ce grand et gros jouet peut désormais vous transporter dans le confort, grimper aux arbres, accélérer très fort avec cors, trompettes et tubas de sortie, mais aussi tourner très vite et faire s’écarquiller les yeux des passagers devant l’improbabilité de la chose. Oui, ces ingénieurs et metteurs au point sont de drôles de magiciens, la citrouille est bien devenue un carrosse complet. Toujours improbable, toujours aussi inutile, toujours hors monde mais toujours aussi désirable et indispensable.