Taman Negara – la plus vieille jungle du monde

Je quitte Kuala Lumpur. Dernière vision de la ville depuis l’autoroute qui me mène plus au nord, les Petronas écrasent de leur gigantisme le reste de la ville… Quelques kilomètres plus loin et déjà les paysages plus traditionnels de la Malaisie apparaissent : jungle, prairies et forêts verdoyantes, circulation délurée et routes bosselées parsemées de ralentisseurs tasse-vertèbres. Direction Kuala Tembaling, l’embarcadère qui permet d’accéder au parc national du Taman Negara, protecteur de la plus vieille jungle originelle du monde. 260 millions d’années, rien de moins que ça.

Jerantut, Temerloh et finalement Tembaling… et puis 2h30 de pirogue pour remonter jusqu’à Kuala Tahan, une ville champignon qui s’est développée à la bordure sud du parc, seul point d’accès d’ailleurs audit parc. Ambiance de jungle. Moiteur étouffante, on accueille la nuit avec bonheur, des varans se baladent tranquillement un peu partout, les petites navettes traversent le fleuve sur demande pour quelques ringgits, on bouffe pour une poignée de cerises et on déguste des jus de fruits frais à tomber. Les moustiques rôdent et tentent quelques approches avec plus ou moins de succès et tant mieux, on choperait bien vite une petite dengue ou pire, le palu.

Et surtout, mission du soir après la récupération d’une chambre de l’hôtel situé du côté du parc (le mieux, et de loin) : trouver un guide pour le trek de deux jours du lendemain matin ! Pas de panique, direction la maison des touristes, sur la petite place de Kuala Tahan où un petit bonhomme barbu gère la cahute et nous propose de nous emmener. Courte négociation du prix et voilà, rendez-vous le lendemain, 7h. Ouch.

La « balade » dans la jungle peut alors commencer. 6 à 7 heures de marches jusqu’à un « hide » dans la forêt, une sorte de cache sur pilotis, plantée en pleine jungle à proximité d’un point d’eau et d’un rocher à sel que viennent visiter les animaux le soir. Bruit permanent des animaux, quelques gibbons passent dans les cimes, une sorte de poulet géant s’enfuit à 20 mètres devant nous, les sangsues nous assaillent de toute part, petits vers dégueulasses dont les sens détectent le sang à plusieurs dizaines de centimètres ! Drôle de périscope tentant à tout prix de grimper sur mes godasses, perçant mes chaussettes et se dépêchant vite de se fixer à ma peau. Quelques-unes réussiront, on arrache, ça pique un peu et surtout ça pisse le sang pendant un bon moment, merci l’anticoagulant de ces foutues bestioles !

L’arrivée au « hide » est une délivrance même si je ne suis pas complètement crevé. La petite pause du midi, la traversée d’une rivière avec de l’eau à la taille et le matos photo sur la tête, les traces d’éléphants et les arbres qu’ils ont couchés, les champignons tous plus bizarroïdes les uns que les autres, les mille-pattes longs de 20 cm ou bien ces arbres de 40 ou 50 mètres de haut et de 10 de diamètre ! 400-500 ans de végétal qui te dominent… et la pourriture partout, la décomposition et la croissance permanente. Pas de doute, c’est la jungle, une débauche d’énergie de vie et de mort, un cycle permanent que l’on connaît pour le voir dans nos régions mais ici, tout va plus vite, les températures et l’humidité font de ces endroits un réservoir débordant d’énergie. On se sent soudainement bien humble en se baladant dans cette forêt originelle.

Et puis on ne perd pas de vue que de ci de là rôdent quelques araignées, serpents et salamandres… Une araignée, repérée par le guide… « Is it dangerous ? »… réponse : « si elle te mord, j’aurais du mal à te ramener à Tahan… » / OK. C’est la petiote en photo là. Hum. Et la nuit dans la « hide », le bruissement de la jungle dans la journée s’éteint soudainement. 15 minutes de calme, c’est le changement de taulier, car juste après, la population nocturne de la jungle s’éveille en même temps que les derniers hurlements des gibbons résonnent à nos oreilles. Un bruit oppressant, permanence, un fourmillement de vie que l’on devine. Descente en bas du hide, quelques pas dans la jungle et puis on remonte. Pas rassuré. Putain.

Le lendemain matin, une salamandre s’échappe du sac ! La salope. Elle a décalqué un petit paquet de gâteaux… bouffe de luxe dans cette jungle… ! Et direction le fleuve pour choper un bateau qui nous ramène à Tahan. On croise un petit groupe d’Orang Asli sur le chemin, ils vont pieds nus au milieu des sangsues, tranquillement, avec leur vie sur le dos. Des nomades, des vrais… Humilité.

Retour en bateau donc. Je pue la jungle. Je suis crevé par cette nuit à ne pas dormir, réveillé par une sensation poisseuse. Du sang sur ma hanche… et plein mon ventre. Ahah ! La saloperie de sangsue a du se caler là quand j’ai traversé la rivière ! Je n’ai rien senti, elle a mangé tranquille et s’est détachée, gavée. Bilan, j’ai toujours une marque à ce jour. Mais quel pied de redescendre la rivière, de voir la jungle défiler à nos côtés, rapides après rapides, virage après virage.

Je veux repartir là-bas. Une semaine de jungle pour m’enfoncer le plus profondément possible dans le parc et peut être voir des tigres, des éléphants… Reste à savoir quand je fais ça et avec qui.