Veuf – Jean-Louis Fournier

Jean-Louis Fournier, je ne le connaissais pas. Je l’ai entendu le weekend dernier sur France Inter où il venait parler de son dernier livre, « Veuf ». Il y raconte ses pensées après la mort de sa femme, les choses qu’il se dit, qu’il ne lui a pas forcément dites, fort d’une tendresse et d’un cynisme mêlés. Jean-Louis Fournier m’a touché par ses paroles, par la douleur que l’on sent poindre dans ses mots, par son humour cinglant. Le livre était dans mon escarcelle le soir même. Je l’ai dévoré d’un coup d’un seul, m’en suis abreuvé.

« Je suis veuf, Sylvie est morte le 12 novembre, c’est bien triste, cette année on n’ira pas faire les soldes ensemble. Elle est partie discrètement sur la pointe des pieds, en faisant un entrechat et le bruit que fait le bonheur en partant. Sylvie m’a quitté, mais pas pour un autre. Elle est tombée délicatement avec les feuilles. On discutait de la couleur du bec d’un oiseau qui traversait la rivière. On n’était pas d’accord, je lui ai dit tu ne peux pas le voir, tu n’as pas tes lunettes, elle ne voulait pas les mettre par coquetterie, elle m’a répondu je vois très bien de loin, et elle s’est tue, définitivement.
J’ai eu beaucoup de chance de la rencontrer, elle m’a porté à bout de bras, toujours avec le sourire. C’était la rencontre entre une optimiste et un pessimiste, une altruiste et un égoïste. On était complémentaires, j’avais les défauts, elle avait les qualités. Elle m’a supporté quarante ans avec le sourire, moi que je ne souhaite à personne. Elle n’aimait pas parler d’elle, encore moins qu’on en dise du bien. Je vais en profiter, maintenant qu’elle est partie. »

Jean-Louis Fournier souhaitait mourir le premier, il a perdu. Sa femme partie, il n’a plus personne avec qui parler de lui. Alors pour se consoler, ou pour se venger, en nous parlant d’elle, il nous parle de lui.

Ce livre, il l’a écrit pour qu’elle le lise, elle qui voit très bien de loin. Il le martèle d’ailleurs plusieurs fois, on sent ce besoin, cette frustration absolue de l’absence de l’autre. Ce livre, c’est la chronique d’un veuvage récent, c’est le constat des plaisirs de quarante années de vie à deux, ce sont les petites piques du quotidien, c’est le bonheur de la construction en commun, c’est l’admiration sans bornes qu’il lui voue et la conscience soudaine d’avoir perdu celle qui le supportait si bien avec tous ses défauts.

J’ai pleuré comme un con, j’ai ri, Jean-Louis Fournier m’a fouaillé les tripes avec ses phrases à la fois simples, délicates et cyniques parfois. La simplicité est là pour la tendresse, on sent l’homme qui peine à trouver ses mots alors qu’il est un écrivain renommé, pas facile de mettre des mots sur des choses qu’il n’exprimait pas de vive voix. Même si c’est selon lui bien plus simple. La délicatesse, ce sont les petits moments qu’il conte, qu’il polit, qu’il patine, qu’il chérit. La beauté de l’amour prend tout son sens ici, pour ses petits bonheurs comme pour les moments difficiles. Le cynisme enfin, celui qui lui fait lire son courrier, celui qui lui fait tancer Mme SFR, celui qui lui fait « mettre à la poubelle » Sylvie dans son téléphone, celui qui sabre les condoléances et les gestes dérangeants des proches et des moins proches face à cette disparition.

150 et quelques pages, autant de sujets, certains récurrents. Quelques plongées dans les abysses, quelques poussées de bonheur coupable, ces quelques lignes de chronique sont bien peu de choses au regard du contenu du livre. La forme, épurée, parfois seulement quelques lignes par page, est là pour renforcer le propos, pour nous obliger à réfléchir. Il nous faut nous gorger de cette rareté de mots, exprimant tellement plus dans nos crânes.

Je me suis retrouvé dans ce livre, j’y ai vu ma mère, j’y ai vu la mort de mon père et les longs mois qui ont suivi. J’ai retrouvé une partie de ma douleur, j’ai fait livrer un exemplaire du livre à ma mère, j’y ai lu quelques phrases qui touchent au sublime. Ce mélange de maladresse des mots doux et tendres, ce cynisme assumé face à la mort et à ce qui l’entoure… Merci Jean-Louis Fournier pour ces beaux mots, cet amour débordant, cette déclaration d’amour. Sylvie est belle et bien vivante dans ces pages et j’aimerais un jour écrire les mêmes phrases. Sauf si je meurs en premier.