Léviathan 99 – Ray Bradbury

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ouvert un Ray Bradbury, alors je n’ai pas boudé mon plaisir en dégustant les presque 500 pages de ce pavé, recueil de très nombreux textes échelonnés entre les années 1940 et le début des années 2000. Au menu, le Pyjama du Chat, Maintenant et à Jamais et enfin la nouvelle « La Chrysalide ».

En guise de préface, Ray Bradbury nous livre son écriture, son mode d’écriture, la perte de sa femme et la perte de son démon, celui de l’écriture, pendant plusieurs semaines. Et de conclure : « Mon démon vous parle. J’espère que vous l’écouterez. » S’il y a bien un démon que j’écouterai toujours avec plaisir, c’est celui de cet homme. Poète, génie d’imaginaire, écrivain hors pair, les qualificatifs manquent pour Ray Bradbury, je pleure d’avance le jour où « nous » le perdrons, au même titre que je suis resté prostré dans mon lit, pleurant à la suite de la lecture de Fahrenheit 451.

Le premier recueil de nouvelles, Le Pyjama du Chat, nous conte tour à tour une réflexion délicate sur la couleur de la peau au travers de sa capacité à bronzer (Le jeune homme et la mer), la perte absolue de repères sous couvert de voyage temporel (Un peu avant l’aube), une fable jouissive sur nos hommes politiques et la récupération de l’ensemble des territoires américains par les Indiens d’Amérique (Gloire à notre chef), un hommage personnel à une dame l’ayant élevé (Nous ferons comme si de rien n’était), une fable sur l’art (Olé, Orozco ! Siqueiros, si !), une autre sur ces maisons qui ont une âme, une présence (La maison)… et ainsi de suite. On passe sur le fameux convoi funéraire de John Wilkes Booth, sur cette horrible et fascinante nouvelle qu’est Mort d’un homme prudent, sur la petite merveille de délicatesse qu’est le Pyjama du Chat, sur ce fantasme qu’est « La bétonnière à mafiosi », et ainsi de suite une fois de plus. Je me suis laissé emmener par les talents de conteur de l’auteur, brinquebalé de nouvelle en nouvelle, passant du sourire amusé à celui, tendre, de la personne qui se reconnaît dans les textes ou reconnaît l’hommage d’un génie se considérant comme modeste à d’autre génies qu’il vénère. Point d’orgue à mes yeux, « Tous mes ennemis sont morts », une perle de sept pages résumant à merveille nos vies.

Attendrissement, délicatesse, finesse des mots, Bradbury tisse ses histoires, nous y distille son écriture pour mieux nous y dissoudre comme dans cette chrysalide focalisant toutes les attentions, abritant l’impossible. On tient ici aussi une nouvelle haletante, habile réflexion sur ce qui nous dérange, sur l’évolution de notre humanité. Un huis clos qui laisse entrapercevoir une fin grandiose.

Ensuite, le second recueil de nouvelles commence par « Quelque part joue une fanfare ». Je ne sais trop quoi vous dire à propos de ce texte qui m’a beaucoup marqué et me fait encore beaucoup réfléchir aux orientations que je donne à ma vie. Aussi simple que ça. Drôle d’effet pour un roman qui se trouve être l’amalgame d’une farandole de textes que l’auteur ne destinait pas forcément à la publication. Un texte renversant en ce qui me concerne. Ce n’est en revanche pas le cas de Léviathan 99 qui, s’il donne son nom au recueil, n’est à mon sens pas le meilleur des textes que compte le bouquin. Relecture et réécriture du Moby-Dick d’Herman Melville que j’ai adoré, j’ai été ici un peu moins sensible à l’univers créé par l’auteur. Voilà. Pas d’accroche de mon côté malgré un capitaine fou à souhait et une belle vision de l’espace profond.

Qu’importe cette petite déception finale que j’ai amoindrie en relisant quelques-uns de mes textes favoris, le reste du livre est une petite merveille que je garde dans un coin de bibliothèque et que je chéris. A lire absolument pour l’éternelle délicatesse et la poésie des textes de Bradbury.