Firmin, Autobiographie d’un grignoteur de livres – Sam Savage

Firmin est un cynique, un blasé, un intellectuel à la Lord Henry. C’est un Valmont des temps modernes ou un Chuck Bass avant l’heure, selon vos références. Un poil méchant et misanthrope, gentleman flegmatique de l’ordre des dandies dégingandés qui font craquer les filles. Parce que sous le vernis et il l’admet lui-même, c’est un « incorrigible romantique » qui donnerait cher pour faire valser Ginger Roger ou une de ses « mignonnes » ainsi qu’il surnomme les icônes hollywoodiennes des vieux films en noir et blanc qu’il voit passer au Rialto. Comme si nous n’étions pas déjà toutes sous son charme, il faut également le savoir pianiste jazz et féru de lecture, de la poésie d’Ezra Pound à la science fiction en passant par les ouvrages les plus pointus de la phrénologie.

Un souci seulement, ce cher petit rat de bibliothèque, est particulièrement trapu et poilu, il a le nez proéminent et son manque de menton est la cause de tous ses tourments. Pas facile pour lever des mignonnes. La faute à sa mère, rongeuse de son état, qui laissa le caniveau pour mettre bas sa portée de souriceaux au creux d’une petite librairie de Boston, dans les années 60.

Ce petit bijou présente l’autobiographie peu banale d’un être incroyablement touchant, né entre des morceaux de Moby Dick qui cherchera toute son existence à vaincre la baleine blanche de sa propre solitude. Plus tout à fait rat, très loin d’être à la hauteur (centimétrique) d’un humain, et à mille lieues des clichés muridés (adieu Mickey, Stuart Little et Rémi !), le petit personnage vous fera rire et probablement pleurer, particulièrement  si vous partagez son engouement littéraire. De fait, par-delà cette très jolie (quoique atrocement courte) narration, transparait la fable de l’auteur ou du lettré qui vivant sa passion se coupe forcément des êtres humains et ne peut jamais réellement se réhabiliter à cette réalité. Mais au fond, qu’importe, la fiction est souvent bien plus satisfaisante.