Crépuscule Ville – Lolita Pille

Dans toutes les bonnes histoires le héros, j’entends par-là le personnage principal, se voit faire face à l’antagoniste parfait, l’antihéros par excellence ou le super-vilain si l’on se trouve dans le confortable rapport entre le bien et le mal.

Vous allez dire que c’est incroyablement prétentieux, mais depuis toute petite, j’avance à la manière d’une lectrice d’un livre dont je suis l’héroïne. Vous voyez, je le savais, ma côte de popularité descend en flèche ! Hypocrites ! Avouez que vous l’avez déjà fait également, soit répéter une ligne dans le miroir, soit vous dire que le sort s’acharne contre vous (ça c’est un peu le summum de l’égocentrisme), voire voir la vie comme un Truman Show permanent et vous dire qu’un cameraman finira bien par sortir du buisson.

Quoi qu’il en soit, ce jeu est bien plus rigolo quand on trouve un adversaire contre qui partir en croisade. Les moulins à vent c’est sympa deux minutes par temps de canicule mais après ça fait naître des envies de carrière de meunière : Melly, tu dors, ton moulin va trop vite ! Eh ben, il fait sa vie de moulin, je suppose, fiche-moi la paix, je dois faire honneur à mes origines corses.

Les moulins, c’est chiant et ça sent moins bon que le maquis. Cependant, de mon côté je n’y ai pas eu à faire trop longtemps. Dès que j’ai eu envie de me faire publier il y a quelques années,  les gens agaçants ont commencé à pousser dans mon champ de vision, façon champignons plantaires sous les pieds du gamin qui trempe à la  piscine le vendredi. Dès mon premier recueil de haiku, la très chère Maison de Poésie Française (ça vous donne pas envie de faire des révérences ridicules à vous, toutes ces majuscules ?) a qualifié mon travail de « destruction » de l’art poétique et moi de « gamine qui aurait décidé de casser le jouet raffiné qu’elle ne comprend pas ». Difficile à avaler quand on a passé trois ans à construire un système, mais rudement stimulant ! Depuis, je travaille deux fois plus dur, pour leur montrer et puis peut-être un peu pour me montrer à moi que je peux faire mieux, bien mieux.

D’autant qu’arrive (presque) tout le temps le jour où Lao Tseu a raison, où le cadavre de l’ennemi passe devant soi sur la rivière, sans qu’on ait vraiment eu à sortir les dents. Je suis rancunière, très. Alors, je vais à l’occasion à leur  « journal parlé de la poésie » et je lis religieusement leur revue, le Coin de table. Je ne parle pas, ils ne me connaissent pas,  je reste là, comme la tique du Parfum. Toujours surveiller la rivière et garder près de soi, ses ennemis. Depuis la Maison de la Poésie est en train de faire faillite, fichue hors des murs du très bel hôtel particulier où il ruine de jeunes élans littéraires depuis des lustres par un autre groupe d’auteurs. Je suis leur déchéance à travers le coin de table, la gamine n’a jamais vraiment le droit de participer aux disputes des grands durant le diner, pas vrai ? Reste que j’aime ce plaisir mesquin de me dire que dans une autre vie, je serais outrageusement riche et je pourrais avoir décision de vie ou de mort sur ce petit comité pédant.

Pour occuper mes élans râleurs et vengeurs le reste du temps, j’ai un choix monstre dans la littérature contemporaine française. Mais ma tête de turc préférée est de très loin la jeune et jolie Lolita Pille. D’abord parce que commencer un roman par « Je suis une pétasse », c’est trop facile.  Je pars du principe qu’on ne peut critiquer que ce que l’on sait faire, voilà pourquoi je n’ai pas rendu de véritable pige avant cette année. Savoir lire et pouvoir écrire c’est bien, mais n’étant pas publiée, je me faisais un peu l’effet de la jalouse, celle qui n’a pas eu le privilège à 18 ans  d’avoir un papa fréquentant des éditeurs et qui ne sait même pas écrire un roman de gare qui commencerait par « je suis une pétasse». Depuis, j’ai essayé et je confirme, c’est facile. Lolita, c’est le Voldemort de mon Harry Potter, le Dark Vador de mon Skywalker, je n’irai pas jusqu’à parler du capitaine Achab mais vous avez suivi l’enchainement. J’attendais donc le moment où je pourrais lui envoyer une bonne cinglante, un aller-retour virtuel qui me défrustrerait du calvaire de Hell et de BubbleGum.

C’est dans cet esprit-là que j’ai succombé à l’appel de Crépuscule Ville, deux heures à tuer et moi avec dans une gare, justement. A l’époque de sa sortie, je me roulais de rire devant les interviews insipides de la rebelle. Partie à New-York, elle ? Mais pourquoi faire ? Chérie, même si tu vas à Columbia, tu ne remporteras pas le Pullitzer à la sortie, hein, regarde Katherine Pancol. Il lui faut environ 1300 pages pour sortir un passage potable…  (On y reviendra plus tard). Faut arrêter de croire que n’importe qui peut devenir Paul Auster en allant trainer à Central Park ! Et moi de me gausser grotesquement dans mon coin.

Maintenant que j’ai lu la nouvelle Lolita, je ne rigole plus. Blême, parce que je viens de réaliser que je n’ai pas lâché le maudit bouquin de la journée ! Éberluée, parce que pendant des heures, j’ai suivi Syd Paradine comme l’ombre de son ombre dans l’espoir qu’il trouve un solution, s’en sorte et emmène Blue loin de tout. Bluffée, comme une pré-ado qui ne croit plus à la magie et se laisse avoir par un nouveau tour de passe-passe.

Je pensais qu’elle n’écrirait que des romans d’autofiction cliché sur la jeunesse dorée du 16ème et me voilà dans quelques centaines d’années dans une ville de ce qu’il reste des Etats-Unis angoissée par une atmosphère putrescente digne d’un Ridley Scott ou même d’un Philip Dick. Je ne dirais pas d’un bon Philip Dick non plus, car la demoiselle n’invente pas grand-chose…  Cet univers d’anticipation si proche de l’apocalypse, noir et désabusé, je l’ai lu de nombreuses fois chez les auteurs américains. Reste que c’est très fort de se glisser dans le style d’un Californien cinquantenaire et paranoïaque, surtout si l’on est née à Sèvres et que l’on se roule dans la peau d’une belle jeune femme. La Pille signe ici un roman de science-fiction au poil, juste et si loin de ses romans précédents qu’on ne peut que souligner les grands progrès qui ont été accomplis et espérer que le prochain soit sinon mieux, à tout le moins, tout aussi mordant.

Ce dernier opus sonne pour moi le crépuscule des idoles, parce qu’on peut aussi adorer haïr quelqu’un et que je ne me sens vraiment pas maline maintenant que la super-vilaine a fait son mea maxima culpa à mes yeux… Mes drougies, il est l’heure de retourner au Relay de la gare.