Les Zo’é et le poturu

Rassurez-vous, je ne compte pas relancer le débat sur "l'Arche de Zoé", la justice a fait son devoir et de toute manière ce que je veux raconter ici n'a aucun rapport.
 
Il y a quelques semaines, en feuilletant un super magazine (Paris Match), je suis tombée, étonnée, sur un article présentant le dernier reportage de Nicolas Hulot. Non seulement les photos était splendides (signées par Georges Bsosio et Gilles Santantonio), mais le texte qui les accompagnait laissait rêveur.
 
Pour vous expliquer brièvement, je dirais que la tribu des Zo'é vit quelque part dans le nord de la forêt amazonienne, ils sont peu nombreux actuellement, et vivent en harmonie, avec eux-mêmes et avec leur environnement. Quand il y a un malaise ils évitent le conflit par les chatouilles, et tout rentre dans l'ordre de cette manière. Le poturu, bout de bois qui leur traverse la lèvre inférieure, permet de les distinguer des autres tribus. Chose curieuse, quand ils partent chasser, ils attachent le pied de leurs enfants (de 2 à 8 ans) à un poteau, par le biais d'une longue corde (2 à 4 mètres) afin qu'il ne leur arrive rien pendant leur absence mais qu'ils puissent tout de même jouer et se sociabiliser.
 
Je ne veux pas m'étendre sur le sujet car je ne prétend pas avoir les connaissances suffisantes et encore moins le talent pour "bien" écrire. Lisez plutôt ce qui suit, car Nicolas Hulot vous en dira plus.
 

" Depuis plus de trente ans que je fouille, entre autres pour «Ushuaïa», tous les horizons du monde, je crois avoir croisé ou côtoyé une belle palette de l'humanité. Même si je suis loin d'être blasé, la vue du premier indigène venu ne me tourne plus la tête. Mais ma rencontre avec les Indiens Zo'é a été une vraie tempête mentale. Jamais certaines vérités ne me sont apparues de manière aussi évidente. Comme si, d'instinct, ils nous délivraient un ultime message de raison et de sagesse, eux qui ne soupçonnent même pas notre existence. En séjournant dans leur univers, comme un chapitre oublié de la Genèse, m'apparaissaient tous les excès de notre civilisation.

Quelque part dans le nord de la forêt amazonienne, dans l'Etat de Para, sous l'équateur, une trouée de la forêt, le refuge des derniers hommes libres. J'ai l'impression de découvrir le royaume de l'harmonie. Aucun lieu, aucune rencontre ne m'a rendu ce mot si évident. A me demander si cette origine de l'humanité n'en est pas une forme d'aboutissement. (…)

Les Zo'é ont la beauté de ceux qui vivent sans angoisse. Ils parlent, se touchent, surveillent les enfants sans relâche et soutiennent les anciens sans effort. Il y a des tâches, mais pas de travail ni d'obligations. Les uns chassent ou pêchent, d'autres cuisinent, vannent, tissent, soignent et entretiennent le foyer pendant que certains se lavent ou aiguisent les flèches. Mais ils jouent aussi, chantent, dansent, câlinent, regardent, se parent, apprennent, enseignent et souvent ne font rien, sans pour autant s'ennuyer. L'esprit divague, le visage est épanoui. Ils savent vivre le moment présent. Le temps, comme l'Amazone, se dilate dans l'infini.

Et nous réalisons combien de liens nous avons sacrifiés à la notion de possession. On mesure l'outrance de notre société standardisée, basée sur le pouvoir, la compétition, le rendement. Et l'accumulation. On prend conscience à travers eux de l'absurdité de notre quotidien, régi par la satisfaction de nos désirs matériels, confondant plaisir et bonheur, oubliant que l'ombre de la convoitise, c'est la frustration, et que l'ombre du plaisir, c'est la douleur. Et nous traînons souvent derrière nous un mal-être indéfinissable, le désarroi tragique de ceux que rien ne relie à rien dans un monde parfois vide de sens. Les Zo'é, dont la seule fortune est la forêt, nous enseignent sans le savoir que le bonheur n'est pas dans les choses : il est un bien de l'âme. (…)

Dans un monde où le virtuel et l'artificiel occultent le réel, les Zo'é forcent le regard vers la réalité. Cette tribu inespérée, où l'être prime sur l'avoir, nous ouvre un chemin. Notre société matérialiste sans limites n'a pas d'issue dans un monde clos. Il y a une voie nouvelle et supérieure pour une civilisation fondée sur deux règles d'or : la modération et le partage." (source Paris Match, janvier 2008)
 
Cela relance le débat d'hier concernant le consumérisme, notre société, sa remise en question … mais cela nous donne surtout une petit leçon de vie, non ?