La Rafle – une histoire odieusement vraie de Rose Bosch

Pan ! … comme une étoile juive soudainement cloutée dans la veine cave. Voilà ce qu’il me reste de cette projection la semaine dernière de la Rafle, le film de Roselyne Bosch sur la rafle du Vélodrome d’Hiver de Paris : une douleur violente, lancinante qui me met la tête à l’envers et les larmes et autres tremolos de gorge en mode automatique. La Rafle, c’est l’histoire d’un épisode tristement célèbre de la seconde Guerre Mondiale puisqu’il a eu le droit à quelques lignes dans nos manuels d’Histoire, pourtant si prompts à planquer, avec ou sans astérisques, les actes du monstrueux gouvernement de Vichy dont on placarde encore la tête pensante dans certaines de nos mairies.

La Rafle, ce n’est pas un film documentaire, ce n’est pas un film non plus, c’est encore moins un assemblage de scènes axées « pathos » pour nous faire pleurer. Parce que c’est tout de même bien simple de faire pleurer des spectateurs en leur parlant de rafles de juifs (français ou pas). Là, la réalisatrice et ses acteurs nous torturent et nous infligent simplement une piqûre de mémoire historique réaliste avec une aiguille taille vélodrome. Roselyne Bosch a retrouvé par le plus grand des hasards l’un des seuls survivants de la rafle du Vel d’Hiv, un vieil homme alors âgé d’une dizaine d’années, évadé du camp de Beaune-la-Rolande. Ce film est le résultat de son témoignage et de trois années d’une plongée à corps et cœur perdu dans les archives françaises et autres.

La réalisatrice est justement là en tout début de séance. Marquée. Marquante. Un véritable trou noir aspirant toute joie et légèreté dans la salle soudainement silencieuse. Ce qui choque, c’est la justesse tout sauf mélodramatique du propos, l’émotion difficilement contenue, le bouleversement intérieur que l’on sent irréversible, la mécanique des mots qui vient se fracasser sans bruit dans nos crânes, je suis d’ores et déjà abasourdi alors que le film n’a pas commencé. J’ai rarement ressenti autant d’émotions en écoutant quelqu’un parler, énoncer ses sentiments. Le seul parallèle que je puisse trouver, c’est l’émotion ressentie lors de l’enterrement d’un proche. Et ça, je connais bien.

Le film commence alors. Paris, juillet 1942. Tout va bien. Les Juifs ont désormais des étoiles au cœur, une sorte de cancer en tissu qui va miner peu à peu la société et le tout-Paris sous domination allemande tandis qu’en zone « libre », on se demande comment on pourrait bien faire plaisir aux allemands. Ceux-ci sont en train d’activer la « solution finale », quelques images d’archives retournées pour le film viennent le rappeler. Le monde n’en savait rien. Les français non plus. L’horreur n’en est que plus (in)tangible, une « simple » déportation, une « migration forcée » vers une hypothétique terre juive. Vaste mensonge dont nous connaissons la teneur aujourd’hui. Le destin de ces déportés n’en est que plus tragique.

Et voilà, c’est ça, on rafle, on entasse 13000 êtres humains (moins les suicidés, quel choc, putain mais quelle brutalité que ce suicide filmé sans même qu’on le sente venir) dans le vélodrome. Pas d’eau. Pas de docteurs. Pas de témoins, surtout pas de témoins. Ensuite, c’est Beaune et la fin. Un film en plusieurs temps et autant d’émotions. La vie à Paris, d’ores et déjà marquée par les étoiles… la rafle et sa profonde inhumanité, les ravages du pouvoir corrupteur sur les « jeunes » flics embrigadés dans cette chasse au Juif, les familles brisées, les tentatives de s’échapper ou celles de quitter ce monde abject… l’entassement au Vel’ d’Hiv comme des bêtes ravitaillées en eau par un Thierry Frémont d’une justesse infinie dans ce rôle… et puis la vie en camp, à la fois douce et dure, une sorte de transition dont la violence ressort alors sous la forme d’une rafale de mitrailleuse venant faire taire les cris de ceux qu’on sépare.

Salle au diapason, à chaque fois. Mâchoires serrées, larmes roulant sur les joues même si finalement les moments les plus durs ne sont pas ceux qu’on croît, à savoir ces plans larges à musique triste… trop facile. Ils ne sont là que pour renforcer tout le reste, quand on serre les dents et qu’on regarde ces « anonymes » personnifiés notamment par Gad Elmaleh (qui s’en sort bien), Mélanie Laurent et Jean Reno (plus fades finalement) en plein milieu d’un maelström de haine et de destruction.

Piqûre de rappel donc. Piqûre d’information aussi avec tellement plus de détails que ce que l’on raconte à l’école… Pas de quoi se sentir honteux d’être français pour autant, au même titre que les allemands n’ont pas à être honteux de l’être, allemands. Ce film n’est d’ailleurs pas là pour ça, il vient juste nous montrer qu’un jour comme un autre, un fou a décidé qu’une frange de la population devait être exterminée. Pan ! comme ça… et que quelques fous l’ont suivi… et que d’autres lui ont obéi. Qu’aurions-nous fait ? Surement rien. Alors ne sombrons pas dans la grandiloquence des sentiments.

Ce film fouaille là où ça fait mal. Prenons le tel quel, un témoignage d’une réalité parfois abjecte de l’Histoire de l’Homme, parsemée d’horreurs, même si cette fois on parle bien de la mécanisation de la mort, première mondiale… Et gardons-le à l’esprit aussi, ce témoignage d’une population massacrée pour ses croyances, stigmatisée pour son appartenance à un culte, à une « race » (rah que je répugne à employer ce mot…).

Je vous rappelle que nous vivons des temps où l’on stigmatise facilement ceux qui sont différents de nous dans ce joli pays qu’est la France. Ce ne sont plus les Juifs, mais bel et bien les musulmans et d’autres encore.

Alors, gardons bien à l’esprit que la peur et la stigmatisation ont toujours mené à la colère, la colère à la haine, la haine à la souffrance et à la mort, etc. (Star Wars Spirit, je me devais de finir cette note sur une touche d’humour, pardon).