Stalker – Arkadi & Boris Strougatski

Le terme de « stalker », je l’entends souvent au boulot, sur le net et un peu partout ailleurs. Aussi, quand j’ai vu la couverture de ce roman, réédité chez Denoël, j’ai pensé à ce sens : des rôdeurs, des voyeurs… Je me trompais. Les stalkers de ce roman sont bien une sorte de rôdeurs mais pas dans le sens où nous l’entendons. Il faut dire que leur situation n’est pas banale…

Des Visiteurs sont venus sur Terre. Sortis d’on ne sait où, ils sont repartis sans crier gare. Dans la Zone qu’ils ont occupée pendant des années sans jamais correspondre avec les hommes, ils ont abandonné des objets de toutes sortes. Objets-pièges. Objets-bombes. Objets-miracles. Objets que les stalkers viennent piller au risque de leur vie, comme une bande de fourmis coloniserait sans rien y comprendre les détritus abandonnés par des pique-niqueurs au bord d’un chemin.

Comme le précise la quatrième de couverture, ce roman a eu un tel impact que le terme « stalker » a été utilisé pour nommer hommes et femmes qui ont étouffé le coeur du réacteur en fusion de Tchernobyl, entre le 26 avril et le 16 mai 1986. De la fin de son adolescence à sa dernière aventure dans la Zone, on suit dans ce roman le personnage de Redrick Shouhart, un stalker, un de ceux qui vont dans la Zone au mépris de l’interdiction des autorités, de la surveillance de l’ONU, etc.

Quatre chapitres, quatre phases de la vie de Rouquin. L’action se passe toujours dans la ville de Harmont, paisible bourgade sans intérêt et pourtant un des six points d’impact sur la planète disposés selon le fameux radian de Pilman. Rouquin est d’abord laborantin, revendant pour quelques billets les objets qu’il récupère en marge de ses excursions autorisées dans la zone. Ensuite, il redevient un stalker pur et dur, viré de son boulot de laborantin, en pleine addiction aux objets qu’il peut ramasser, recherchant méthodiquement les artefacts qui peuvent lui éviter de « compter son argent » et ainsi de faire vivre sa jeune femme et leur petit Ouistiti, une petite fille qui porte les stigmates de l’exposition prolongée de son père à la Zone.

Le roman est en fait une boucle autour des phases de bonheur et de déchéance de Shouhart. L’homme est basique, simple, sa détermination est sans faille et la Zone est son seul et unique moyen d’existence, il y est lié, corps et âme. Quelques scènes mémorables parsèment le roman : la première visite dans la Zone, la trahison du vieux receleur, la visite du vieil ami dans une famille en déliquescence et enfin, boucle bouclée, cette dernière visite dans la Zone à la recherche de l’artefact mythique : la Boule d’Or. Dans tous les cas : l’oppression, la charge émotionnelle et les peurs sont là.

Il n’est finalement pas question d’invasion ici mais bel et bien d’une réflexion sur la condition humaine, sur la propension de l’homme à s’autodétruire, sur la capacité des villes de se développer autour d’un point focal exceptionnel. L’écriture rapide et nerveuse de la traduction prend aux tripes, les personnages sont décortiqués avec finesse grâce à l’utilisation de la narration à la première personne, c’est efficace et ça fonctionne. On a mal avec Rouquin, on a peur avec Rouquin, on s’horrifie parfois de ses propos, de sa violence, de son absence palpable d’humanité quand il est dans la Zone alors qu’il est tout au fond, on le sait, une sorte de bon bougre. Stalker te colle une bonne droite avant de t’enchaîner avec un uppercut, on en ressort quelque peu hagard, les derniers mots du roman résonnant encore sur les lèvres, ultime soubresaut de tension libérée.