Ray Bradbury est mort…

Ray Bradbury est mort. Je ne vous l’apprends sûrement pas. Je n’ai pas non plus pour habitude de saluer ceux qui s’en vont, illustres ou anonymes, encore moins d’écrire un article sur eux si ce n’est pour mon père. Mais j’ai trop retenu mes larmes en apprenant la nouvelle pour ne pas expurger tout cela maintenant.

Vous me direz, il avait 91 ans. Vous me direz aussi qu’il ne mourra jamais et c’est absolument vrai. Reste que je ne supporte pas l’idée qu’il soit en train de se balader là-bas, sur Mars, nous regardant quitter nous aussi la chair pour devenir poussière, orphelins de toute la poésie dont il aurait pu nous abreuver, encore et encore.

Son œuvre est magistrale, colossale, culte. Vous le lirez partout. C’est un pan de la littérature qui s’en est allé aujourd’hui, laissant derrière lui une somme considérable d’écrits, de récits, de poèmes, d’idées et de réflexions d’une rare justesse, des décennies après leur écriture. L’humanité ne change guère mais elle accouche parfois de génies.

Cet homme était l’un d’eux. J’en entends râler, disant qu’ils le croyaient déjà mort, qu’il n’y a pas matière à pleurer. J’ai refoulé mes larmes et fini par pleurer tout à l’heure, marchant seul dans la rue, perdu dans mes souvenirs, dans les rires et pleurs passés qu’il a suscité chez moi. Je lis beaucoup, par phases depuis quelques années. Jamais un auteur ne m’a laissé prostré pendant plusieurs heures dans mon lit alors que j’avais achevé ma lecture.

Ray Bradbury l’a fait, m’assénant en quelques heures ses 451 degrés et beaucoup moins de pages, marquant à jamais mon imaginaire ainsi que ma manière de considérer les livres et ce qu’ils contiennent. Des années plus tard, je suis toujours à même de me rappeler cette lecture, les sentiments fulgurants qui m’ont traversé à ce moment et cet état de fatigue mentale et physique, ce vide absolu qui s’est emparé de moi alors que je refermais le livre. Prostré. Pleurant et pensant à la fois. Recroquevillé dans une position fœtale qui me semblait être la seule protection contre le déferlement de sentiments.

Depuis, cette lecture est un phare, une référence, un appel à lire le reste de ses écrits, découvrant ainsi de nouvelles perles, de nouvelles pépites, de nouveaux axes de pensée et de réflexion. La poésie faite science-fiction. La science-fiction faite poésie. Et encore, s’il n’avait écrit que de la science-fiction ! Il y a tant à lire et à apprendre chez lui.

Alors oui, je pleure Ray Bradbury, orphelin du père qu’il fut, parmi d’autres grands hommes, pour des générations de lecteurs émerveillés et touchés par la grâce de sa plume.