Gradisil – Adam Roberts

Après les mondes d’Alastor de Vance, je me suis mis à lire un autre énorme pavé, le genre de livres qui depuis quelques temps me fait un peu peur… Et pour cause, je n’ai pas toujours la place dans ma besace et surtout je manque parfois de temps pour lire ! Mais qu’importe, ouverture de Gradisil de Adam Roberts et immersion…

Klara et son père, Miklós Gyeroffy, font partie des rares chanceux capables de se placer sur orbite par leurs propres moyens. Là-haut, un nouvel espace de liberté s’offre à eux, un vaste territoire vierge de toute règle : les Hautes-Landes. Mais, outre les riches excentriques, cette nouvelle frontière attire aussi de dangereux criminels, bienheureux de pouvoir échapper aux poursuites des autorités terriennes. C’est, sur trois générations, l’histoire de cette nation naissante qui nous est contée, une histoire inextricablement liée à celle de la famille Gyeroffy.

Le livre avait attiré mon regard mais c’est surtout la quatrième de couv’ qui avait retenu mon attention et ma foi, je ne me suis guère trompé même si au final le livre est bien plus que ça. C’est une très agréable surprise, une belle fresque familiale et politique, située dans un avenir extrêmement proche du notre puisque le livre couvre la période 2050 – 2150, autrement dit « demain ».

Le monde a découvert une nouvelle technique de placement en orbite : l’utilisation du champ électromagnétique terrestre en guise de portance et de moyen de propulsion ! Alors bien sûr il est toujours nécessaire de décoller (souvent grâce à des avions classiques bien modifiés) mais une fois une certaine altitude atteinte, on bascule en mode elemag et hop, voguons sur les flux magnétiques… J’avoue n’avoir aucune idée de la faisabilité d’une telle chose mais durant les cinquante premières pages, une chose est claire : la NASA se fait tacler puissance 1000 sur son obstination à envoyer des fusées depuis le sol terrestre et c’est assez drôle.

Mais bon, cette avancée technique n’est pas le propos du livre même si elle sert de support à tous les évènements qui vont s’enchaîner au cours de cette centaine d’années de la famille Gyeroffy. Le livre est articulé en trois récits, celui de Klara tout d’abord (et narré par elle), celui de Gradisil (narré par Paul, son mari) et enfin celui de Hope, l’un des fils de Gradisil, de manière chronologique et imbriquée à la fois. Et là où le roman m’a séduit, c’est dans sa structuration : vengeance pour Klara, politique pour Gradisil et Paul et enfin de nouveau vengeance, différente toutefois.

Pour la partie de Klara, on suit la naissance de ces « Hautes-Landes » et le parcours parfois chaotique de ses habitants, les hautes-landais, on voit naître les premiers conflits et surtout l’intérêt de l’Amérique et de l’UE pour cette zone finalement très prometteuse et stratégique, peuplée d’hurluberlus pas forcément fous mais certainement perchés. Cette partie, c’est donc celle de la construction, celle du destin familial, ubuesque et celle de ce « pays » qui n’en est pas un ; en quelque sorte les balbutiements de l’Histoire, la lente mise en route de la machine à détruire les peuples, sur Terre et en orbite. L’ensemble est bien narré, traîne parfois en longueur à tel point qu’on décroche de certains passages mais on apprend à aimer Klara, ses interrogations, ses doutes, ses erreurs… et surtout on voit poindre ce que va devenir le récit : l’aventure d’une Nation en devenir.

Et c’est là où l’on passe à Paul, le mari de Gradisil, cette fille un peu particulière que Klara a eu presque par erreur et qui pourtant va bouleverser le monde dans son intégralité. Sans trop vous en dire sur le déroulement de l’histoire, là-aussi très riche et parfois un peu lente et longue à venir, l’intérêt de cette partie réside essentiellement dans la parfaite compréhension de l’auteur des sentiments et des déchirements qui interviennent dans la vie d’un politique en pleine ascension et de son entourage. Les sacrifices, le calcul, le détachement, la fermeté, le brio en tant qu’orateur, l’énergie à communiquer et enfin les stratégies pour édifier un sentiment d’unité nationale… Le petit Nicolas ferait peut être bien de lire ce bouquin, ça lui donnerait un peu de matière sur sa croisade actuelle et sur cette fameuse notion d’identité nationale ! Et comme je le disais, là-aussi, ça traîne un peu en longueur mais l’édification des Hautes-Landes est passionnante… ce n’est pas tous les jours qu’on lit un si bon équilibre entre histoire politique, histoire des sentiments et histoire de la construction d’un pays.

La dernière partie, nettement plus courte et surtout plus intense, met en scène les fils de Gradisil, en quête de vengeance… pour s’achever sur une conclusion abrupte qui m’a laissé à la fois sur ma faim et en même temps pleinement satisfait car tout ou presque a été dit.

Au final ? Un bon livre. J’ai particulièrement apprécié la partie anticipation technique et technologique ainsi que la dimension politique du roman, parfaitement combinée à des personnages attachants pour leurs forces et leurs faiblesses. Après, ce n’est pas non plus un chef d’œuvre car l’auteur traîne avec des longueurs inutiles et détaille parfois trop lonnnnnguement les sentiments de ses protagonistes. Moi qui me plains d’ordinaire que les auteurs ne détaillent pas assez la part psychologique de leurs personnages, c’est ici un peu l’inverse, même si cela permet assurément de se projeter dans leur histoire.

A lire, pour la perspective historique, technologique et politique, tout en ayant une bonne dose de motivation pour dépasser les longueurs !