Desolation Road – Ian McDonald

Après avoir lu Etat de Rêve, j’avais dit que je m’attaquerais à son premier roman : Desolation Road, dégoté lui aussi au Salon du Livre. Desolation Road se situe d’ailleurs dans le même univers qu’un des plus belles nouvelles du recueil évoqué : « La roue de Sainte Catherine » racontant le dernier voyage du dernier train de Mars, accompagné de flashbacks sur la fameuse Sainte Catherine, celle qui quitta son corps pour fondre son âme dans les machines présidant à la terraformation de Mars.

Mars se réveille. Jusqu’au fond du bout du pire désert martien où le docteur Alimantado décida de s’installer après avoir bu sa dernière goutte d’eau, et qu’il appella Desolation Road. Là le rejoignirent par accident des personnalités aussi singulières que Persis Tatterdemalion, pilote sans avion et tenancière du premier bar, Rajandra Das qui répare les machines d’une caresse, Paternoster Jericho, haut dignitaire du crime, qui fuit ses assassins. Et d’autres, et d’autres encore, tous plus étranges, tous plus humains. Ils connaîtront la pluie sur Mars, et le pouvoir de ROTECH la transplanétaire, et la Sainte de Tharsis, et la guerre, et les tempêtes du temps déclenchées par le docteur Alimantado.

Sept cent ans après le début de la terraformation, Mars commence à être vivable, voire agréable même. Elle est en fait en pleine effervescence ! Il y a comme un parfum de far-west en cours de découverte aux États-Unis, un zeste de Révolution Industrielle, un soupçon de Trente Glorieuses, du marxisme, de l’écologie, de la hard-science tout à fait cohérente avec une époque où l’on est capable de transformer peu à peu une planète.

Au milieu de tous ces thèmes très fortement imbriqués se trouve Desolation Road, l’un des plus grands carrefours de l’Histoire de Mars. C’est ici que le fameux docteur Alimantado, après sa rencontre fortuite avec une machine ROTECH, va accueillir une foule hétéroclite de gens perdus, des parias, tombés là par hasard ou menés au fin fond du désert suite à une quelconque fuite ou un énième retournement du destin. Les premières pages du roman sont d’ailleurs pour dresser le portrait des arrivées successives : Rajendra Das, Mr. Jericho, les Mandella, les Staline, les Tenebrae et ainsi de suite… Drôles de noms n’est-ce pas ? Ils ne sont pas choisis par hasard mais il vous faudra lire le livre pour savoir comment Ian McDonald va dérouler le fil de leur destinée à Desolation Road, comment les générations successives vont tisser les plus grands changements de la planète !Le paradis qu’était Desolation Road à ses débuts va se muer peu à peu en un creuset de l’Histoire.

On navigue en terre de poésie, de loufoque, de purement scientifique, de politique, de sociologie et de religion. Desolation Road est un melting-pot de l’histoire de la Terre, accéléré par une époque de grands progrès technologiques mais aussi riche de magie, de mystères et de mysticisme. Drôle de roman, mêlant tellement de thèmes et d’influences. L’ambition de l’auteur qui m’avait tant subjuguée dans le Fleuve des Dieux est ici du même niveau : un livre doté de nombreux niveaux de lecture, posant un univers complexe, sérieux et barré à la fois. L’écriture joue beaucoup et la traduction donne un ton rythmé, caustique, drôle et très contemporain à l’œuvre.

Une belle claque d’imaginaire, une vision de la terraformation qui m’a séduit, bien loin de la hard-science un poil barbante, une part d’émotion et un attachement à tous ces personnages malmenés par les vents de la planète rouge et par les tourbillons du progrès humain. L’imagination débordante de l’auteur servie par une écriture énergique font de ce roman un petit chef d’œuvre, à la croisée des chemins de ses illustres aïeux évoqués en quatrième de couv’ : Bradbury, Gabriel Garcia Marquez, Dick, Orwell et Huxley. La comparaison n’est ma foi pas imméritée.